Les hasards du calendrier sont souvent curieux : en ce 20 novembre 2012, alors que l'Eglise anglicane d'Angleterre se retrouvait pour son synode, et refusait une nouvelle fois de consacrer des femmes à la fonction d'évêque, celle d'Afrique australe entérinait la nomination de la première femme évêque anglicane du continent africain,
Ellinah Wamukoya, du diocèse du Swaziland. La cérémonie s'est déroulée devant près de 4.000 fidèles, à Manzini, capitale économique du Swaziland dont Ellinah Wamukoya fut maire pendant de longues années.
Et ce n'est pas fini : cette même branche sud africaine des Anglicans, bien plus progressiste que sa marraine britannique, s'apprête à ordonner bientôt une autre femme évêque, Margaret Vertue, une Sud-Africaine blanche, lors du nouvel an 2013.
Au même moment donc, dans la grisaille londonienne, un texte controversé proposant de permettre aux femmes d'accéder à la fonction d'évêque était rejeté à quelques voix près, repoussant même cette tentative paritaire aux calendes grecques, en raison du complexe processus législatif au sein de l'Eglise d'Angleterre.
Le projet devait être adopté par les deux tiers de chacun des trois collèges formant le Synode général de l'Eglise d'Angleterre, corps législatif de l'institution : évêques, clergé et fidèles. Les évêques et le clergé ont clairement voté en faveur de la réforme. Mais elle a été rejetée à quelques voix près par les fidèles, entité où le non a recueilli 74 voix et le oui 132, n'obtenant donc pas les deux tiers des voix requis.
Un processus lancé voilà 20 ans et stoppé net
Le résultat du scrutin marque un coup d'arrêt au processus amorcé en 1992, quand l'Eglise avait approuvé la prêtrise des femmes, qui représentent aujourd'hui un tiers du clergé. Depuis, le débat sur l'ordination des femmes évêques faisait rage et empoisonnait l'Eglise. "Les gens dans l'Eglise et plus largement dans le monde vont avoir de grandes difficultés à comprendre les résultats du vote", a réagi l'évêque de Chelmsford, Stephen Cottrell, qui s'est dit "extrêmement déçu". "On est complétement abattus... on a travaillé depuis dix ans sur ce texte, c'est un désastre pour l'Eglise d'Angleterre", a renchéri le révérend Rachel Weir, membre du groupe de pression "
Les femmes et l'Eglise".
Le vote de rejet représente un revers pour les progressistes et pour le nouveau primat de l'Eglise d'Angleterre, Justin Welby, qui prendra ses fonctions en décembre 2012. Il avait pris position en faveur du oui, comme l'actuel archevêque de Cantorbéry, Rowan Williams.
Ce dernier a fait part de sa "profonde tristesse" de ne pas avoir vu ce texte voté avant son départ, transmettant tous ses voeux à son successeur pour qu'il parvienne à résoudre cette question "le plus rapidement possible".
Les réseaux sociaux au service des plus conservateurs
Le vote électronique a été organisé au terme de sept heures de débats passionnés au sein d'un synode transformé en lieu d'intense lobbying via mails, tweets et tracts. En concluant le débat, Nigel McCulloch, évêque de Manchester, avait lancé: "Si on attend le moment parfait, si on attend le texte parfait, et bien on attendra toujours (...). J'appelle ce synode à donner ce soir son approbation".
Dans le camp du non, 325 membres du clergé opposés au changement avaient signé une lettre ouverte publiée vendredi 17 novembre 2012. Le texte avançait que "la Bible (...) enseigne que les hommes et femmes sont égaux devant Dieu, tout en ayant des rôles différents, complémentaires dans l'Eglise".
Une Eglise, plus moderniste que le catholicisme, mais fortement divisée sur les sujets de société
L'Eglise anglicane connaît depuis des années de fortes dissensions sur les sujets de société : en raison du virage "libéral" de leur hiérarchie notamment sur les femmes et les homosexuels, plusieurs prêtres et évêques traditionalistes anglicans ont rejoint récemment l'Eglise catholique qui leur a réservé un statut particulier.
Née en Angleterre au XVIème siècle d'une scission avec l'Église catholique, après le refus du pape Clément VII d'annuler le mariage du roi Henri VIII et de Catherine d'Aragon,
l'Eglise anglicane compte environ 85 millions de pratiquants sur tous les continents. Les traditionalistes estiment que l'Église anglicane, membre de l'Église catholique, sainte et apostolique, n'a pas le pouvoir de changer les règles. Un précédent vote organisé en juillet 2012 avait été reporté. Entre-temps, avait été introduite une disposition permettant qu'une femme nommée évêque puisse déléguer ses pouvoirs à un évêque homme si des paroisses traditionalistes refusent son autorité.
L'Eglise d'Angleterre n'a cependant pas la haute main sur toutes ses succursales : outre l'Afrique du Sud, des femmes ont aussi été ordonnées évêques aux Etats-Unis, en Australie, au Canada, ce qui témoigne de l'indépendance de décision et d'esprit des différentes Eglises anglicanes dans le monde.