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Nous avons retrouvé le duo dans sa boutique presque achevée, rue de l’Avenir. Nom prometteur. Entourées d’un savant mélange coloré de coupes et de culottes menstruelles, de serviettes lavables, de livres et de tisanes, les deux complices communiquent leur enthousiasme malgré quelques grelottements – les aléas du radiateur électrique. Eléonore Arnaud et Alexandra Wheeler ne se connaissent que depuis un an, «grâce au crossfit», et, bien qu’«alignées sur les mêmes valeurs», sont très différentes. Et c’est sans doute ce qui fonctionne si bien.
«Eléonore a énormément d’idées, elle est très créative et voit toujours plus loin. Tout ce qu’elle fait, c’est avec des convictions profondes. Elle me fait sortir de mon côté un peu… carré», analyse Alexandra. Originaire d’Afrique du Sud, la jeune femme a suivi un cursus à l’Ecole hôtelière de Lausanne, puis a œuvré dans la conception de boutiques de luxe pour de grands groupes internationaux avant de se lancer en free-lance.
A 1,5 mètre de distance, Eléonore Arnaud rit à l’énonciation du caractère «appliqué» de son acolyte… «Alexandra a les qualités que je n’ai pas! Elle est rigoureuse et sait dire non quand il faut. Mais elle est toujours partante et très solide, c’est formidable de pouvoir compter sur quelqu’un comme elle.» Eléonore est venue de France, elle a rejoint Lausanne il y a douze ans pour travailler dans le marketing joaillier. «Cet univers était en décalage avec mes valeurs, j’ai finalement réorienté ma carrière.» La voilà assistante de direction auprès de la Fondation pour la recherche scientifique (FORS).
Rañute est donc le fruit d’une rencontre humaine, mais surtout de convictions. Ecologique, d’abord. Si Eléonore Arnaud a toujours cru en la préservation de l’environnement – «A 7 ans, je voulais replanter le désert!» – la prise de conscience d’Alexandra s’est produite en 2019, lors d’un voyage avec l’ONG Sea Shepherd au Nicaragua. «Nous devions nettoyer les plages et quand j’ai vu la quantité de tampons qu’on récoltait, j’ai été très choquée.»
Les protections menstruelles jetables constituent une quantité rocambolesque de déchets (on estime que 45 milliards de serviettes et tampons finissent à la poubelle chaque année), et leur composition comprend parfois des résidus de pesticides comme le glyphosate.
Le second pilier est féministe: plus que dédramatiser les règles, il s’agit pour les deux fondatrices d’offrir un espace de conseil jusqu’alors inexistant. «Il y a très peu de réponses quant aux protections menstruelles, la manière de les choisir… Ce n’est pas forcément le gynécologue qui va en parler, ni le pédiatre. Souvent, ce sont les mères, et l’on perpétue leurs manières de faire. On transmet sa serviette ou son tampon comme une Jaeger-LeCoultre!» pouffe Eléonore, jamais en manque de métaphores.
«Avec ma mère, c’était à la fois normal et tabou. Rañute est donc aussi une manière de me réapproprier le sujet.» De son côté, Alexandra s’estime chanceuse, car «c’était un thème ouvert chez moi. En revanche, j’ai souvenir de tant de moments gênants, notamment pour sortir de classe avec son tampon discrètement… C’est une honte, un vrai stress qu’il faut abolir.»
Le pop-up store renanais n’est cependant qu’un premier pas pour ces deux fonceuses – il est situé dans un bâtiment qui sera détruit prochainement. A terme, elles envisagent de créer leur propre marque et, tout en conservant un autre pied-à-terre lausannois, de peut-être voguer de ville en ville avec Rañute. Mais pour l’heure, elles discutent d’un espace de parole, d’ateliers-conférences autour des règles et des affections comme l'endométriose, ou encore de la ménopause, et projettent d’acquérir des «boxers menstruels» pour les hommes transgenres dans un souci d’inclusivité.
Très engagée auprès des réfugiés, Alexandra Wheeler tient à ce que des dons puissent être faits à chaque achat pour que les personnes précaires s’offrent des protections menstruelles décentes. Parce que oui, durable ou pas durable, le confort durant les règles a un coût. Aussi, la réflexion qui nous vient en quittant ces deux boules d’énergie, c’est qu’il est surprenant que personne n’ait eu la même idée avant. Et on sourit en se remémorant leurs mots: «C’est vrai, ça, il y a des magasins spécialisés en lunettes, en vapotage… pourquoi pas en menstruations?»