La prison (re)visitée par la comédienne et réalisatrice Rachida Brakni

Pour son premier film, l’actrice-chanteuse et désormais réalisatrice, pose un regard original sur la prison. Son huis-clos fiévreux intitulé « De sas en sas » s’intéresse à ces femmes qui viennent rendre visite à un proche incarcéré et qui reste dans l'ombre. Entretien avec Rachida Brakni.
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Rachida Brakni Interview 1
L'actrice-chanteuse Rachida Brakni sort son premier long-métrage en tant que réalisatrice sur le milieu carcéral. 
©L.Baron/TV5MONDE
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Depuis le temps qu’elles viennent, certaines ont leurs habitudes. Elles connaissent le processus par coeur. Elles savent (parfois) s’armer de patience à chaque étape, à chaque sas qu’il faut traverser pour enfin retrouver l’être cher le temps d’une visite difficilement obtenue.

En plein chaleur caniculaire, une dizaine de femmes se retrouvent ainsi dans la prison de Fleury-Mérogis pour rendre visite à un compagnon, un frère, un fils, un proche.


Il y a l’allumeuse qui veut faire passer des choses en douce en draguant le gardien ; une mère qui veut divorcer accompagnée de sa fille d’une dizaine d’années ; une autre mère et sa fille d’une vingtaine d’années en rupture ; une future mariée voilée et sa belle-mère ; une femme enceinte au bord de l’accouchement ; une bourgeoise perdue dans ce nouvel environnement dont elle ne connaît pas encore les codes. Chacune se dévoile au fil de leurs conversations. 

Parmi elles, il y a un homme. Seul représentant masculin parmi ces visiteurs, effacé et silencieux. Par incidence, une figure paternelle onirique apparaît parfois aux yeux de la petite fille. 

Les hommes, absents, effacés

Ceux qui sont la raison de cette visite et qui occupent les conversations de ces femmes, on ne les voit jamais. On les devine aux bruits des pas, des portes qui s’ouvrent, se ferment, des voix au loin dans cette prison. Une prison dont ne voit presque rien sinon ses salles d’attente, ses murs décrépis et ses sanitaires hors d’âge. Le film n’a d’ailleurs pas pu être filmé dans un établissement pénitentiaire mais dans un hôpital psychiatrique désaffecté pour femmes.

Et puis, il y a ceux qui représentent l’autorité carcérale. Au premier rang desquels les gardiens, jeunes zélés et anciens désabusés. Ils créent un rapport de force immédiat avec ces visiteuses qu’ils en viennent presque à considérer comme des détenues, au fil du film. 

Bien que libres, elles vivent la prison par procuration. A chaque visite, elles se retrouvent en quelque sorte derrière les barreaux. Une "entre les murs" qui ravive les tensions familiales, les blessures liées à l'emprisonnement d’un proche, les difficultés d’élever un enfant sans le père, de continuer à aimer le fils pour qui on a tout sacrifié…  L’une d’elle, mère, finit par avouer son impuissance à faire face aux problèmes, seule à maintenir le lien : « J’ai trimé pour lui payer un école privée. Son père n’était jamais là ». Se sentant responsable, mais pourtant pas coupable.

Au fil du film, l’enfermement et l’attente dans ces sas exacerbent les tensions jusqu’à l’explosion, au pugilat qui va se muer en angoisse alors qu’une mutinerie semble se dérouler dans la prison. 

La réalisatrice Rachida Brakni qui réalise ici son premier film, s’est inspirée d’une expérience personnelle pour en écrire le scénario, et raconter la prison du côté des femmes. Elle nous explique sa démarche dans l’entretien ci-dessous.

Ces femmes se retrouvent ainsi dans ce lieu, le seul où elles ne seront pas jugées. Pour moi, c’était important de leur donner cette parole-là. 
Rachida Brakni​

Pourquoi avez-vous choisi de parler de ces femmes-là ? 

Rachida Brakni​ : Parce que je les ai rencontrées en prison. Ce qui m’a frappé dans ce lieu, c’est la diversité de ces femmes. C’est un lieu essentiellement féminin. Les hommes sont très peu présents. Ils viennent très peu visiter un proche.

Ce qui me plaisait dans ce groupe de femmes que j’ai plus ou moins rencontrées, c’est la diversité culturelle, sociale, raciale, et comment ces femmes que parfois tout oppose peuvent se retrouver dans un lieu clos, d’enfermement et qu’est-ce qui se joue entre elles. Mettre en contact des femmes qui ne se seraient probablement jamais adressé la parole dans la vie. Tout les oppose mais elles vont réussir à créer un contact grâce à ce lieu, ou à cause de ce lieu. 

Ces femmes vivent, elles aussi, une double peine.

Rachida Brakni

On parle rarement de la prison du point de vue des visiteuses...

Rachida Brakni​ : Exactement. J’ai déjà vu des films, des documentaires sur la prison mais c’est toujours raconté du point de vue du prisonnier. On n'imagine pas du tout l’autre pendant : ces femmes qui vivent, elles aussi, une double peine au sens propre et au sens figuré. On ne met jamais l’accent sur ces femmes, sur ce que cela comporte pour elles de venir semaine après semaine, voir son proche en prison. Il y a tout un rituel, avec le linge, la prise de rendez-vous, … 

Il y a des femmes qui travaillent et qui doivent se mettre en disponibilité pour pouvoir garder ce lien avec la personne qu’elles viennent visiter. Pour elles, c’est aussi un tsunami dans leur vie d’une certaine manière. Et puis, il y a le regard de l’autre, de la société. Ces femmes-là n’osent pas en parler sur leur lieu de travail, dire qu’elles prennent une journée pour visiter quelqu’un en prison. D’autres n’en parlent pas à leur famille parce que le regard de la société est très dur. 

Ces femmes se retrouvent ainsi dans ce lieu, le seul où elles ne seront pas jugées. Pour moi, c’était important de leur donner cette parole-là. 

Comment avez-vous nourri votre film à partir de votre expérience personnelle ?

Rachida Brakni​ : La première fois que je suis allée en prison, j'ai découvert tous ces sas, la sensation d’enfermement, avec toujours des gardiens de l’autre côté d’une grille. Ce parcours me paraissait interminable pour avoir, au final, droit à un parloir de 20 minutes. 

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Comment vous êtes-vous documenté pour compléter votre vécu ? 

Rachida Brakni​ : Quand j’ai commencé à écrire le film avec Raphaël Clairefond, j’ai voulu retourner à Fleury-Mérogis J’ai eu besoin de rencontrer surtout des surveillants parce que ma perception était faussée par rapport à ces gens-là. Quand j’allais en prison je les haïssais parce qu’ils représentaient l’autorité et j’avais une tendance à généraliser. 

En faisant le film, je me suis dit qu’il fallait que je sorte de cette vision faussée et que je prenne un peu de distance. Pour écrire, j’ai rencontré différents surveillants, des gens formidables aussi, cela m’a permis d’élargir mon horizon et de revoir mon jugement sur cette profession, sur la difficulté pour eux aussi de travailler dans un lieu comme celui-là. D’une certaine manière, eux aussi sont enfermés et subissent cette violence et ce bruit, permanents. 

Je continuais aussi à faire la sortie des parloirs pour pouvoir discuter avec les femmes. L’idée n’était pas non plus d’en faire un documentaire. 

Ce sont des femmes fortes car ce sont les seules à avoir le courage d’aller en prison. Mais elles dévoilent, à la fin, leur impuissance face à la situation de leur proche incarcéré. Etait-ce important pour vous de montrer cette dualité ? 

Rachida Brakni​ : Je n’ai pas d’explication sur le fait que les femmes sont dans la résilience, l’abnégation et continuent de tisser ce lien avec l’autre alors que les pères sont absents. 

Je ne connais pas une mère qui ne se dirait pas où est ce que j’ai péché, où ai-je failli. Mais chacun fait comme il peut. Il n’y a pas de recette dans l’éducation, il n’y a pas de préceptes infaillibles. Il y a cette dualité car il y a toujours d’une certaine manière ce cordon qui relie cette mère à son enfant.