Fil d'Ariane
C'est comme une mission venue du plus profond d'elle-même : aider à l'épanouissement de la femme dans ses sphères professionnelle et personnelle. Voilà pour présenter l'actualité de cette thérapeute pas tout à fait comme les autres. Audrey Loups affiche un long parcours d'enseignement et de pratique. Médecine chinoise, diététique, médecine douce, acuponcture... Aujourd'hui, l'un de ses nombreux projets s'appelle "Les Eveilleuses". Si certain-e-s pourraient y voir une formation de développement personnel de plus, celle-ci a la particularité de s'adresser uniquement aux femmes, des femmes en recherche d'outils pour s'épanouir et révéler leur "féminin sacré". Elle a aussi pour vocation de permettre à chaque "éveilleuse" de devenir ensuite ambassadrice auprès d'autres femmes. Telle une chaîne sororale sans fin...
Voilà qui peut donc interpeller... A l'heure où des notions comme "féminin sacré", "empowerment", "girl power" sont à la mode et que les stages de coaching ou de développement personnel font floraison, ce projet, inédit en francophonie comme tient à le revendiquer Audrey Loups, pourrait se présenter comme quelque peu exclusif en cultivant l'entre-soi féminin. "En regardant le monde s’éveiller, elle (Audrey Loups, ndlr) eut l’intuition qu’il était temps de former les femmes à leur propre puissance afin qu’elles-mêmes éveillent et accompagnent les femmes pour rentrer dans ce nouveau monde", comme le précise le site du projet, un projet qui "ne se veut pas féministe, mais féminin". De quoi titiller notre curiosité de Terriennes. Rencontre.
Terriennes : une première question pour comprendre cette formule à la mode : le féminin sacré, qu'est-ce-que c'est ?
Audrey Loups : pour vous donner ma vision du féminin sacré, je voudrais distinguer les deux mots qui le composent : il y a féminin et sacré. Donc pour moi, le mot féminin représente la polarité féminine, c'est-à-dire ce qui manque terriblement dans notre société, comme la lenteur, l'intuition, l'écoute de soi, la patience. C'est une polarité que les hommes et les femmes ont, mais je pense que c'est surtout aux femmes de remettre en avant ces qualités que nous avons au fond de nous. Le mot sacré, c'est un terme repris par la religion et qui, selon moi, a été mal utilisé, puisque le mot sacré signifie "honorer", et donc il s'agit d'honorer toutes les parts qui sont en nous les femmes, d'une part le quotidien, le travail, la famille, etc, mais aussi notre dimension spirituelle.
Il s'agit d'une démarche féminine, mais aussi féministe ?
Cela peut être une quête en soi, comme un appel intérieur. On sent qu'il faut mettre fin à la société patriarcale. Ce qui ne veut pas pour autant dire qu'il faille retourner à des sociétés matriarcales, comme en parle si bien l'historienne Adélise Lapier. Il y a aussi cette volonté de dire stop, non pas stop aux hommes, mais stop à comment la société fonctionne avec cette polarité très masculine. Que beaucoup d'hommes se sont appropriée, bien sûr, mais aussi des femmes ! C'est donc effectivement un mouvement féministe, mais sans aspect guerrier. Bien évidemment, il faut oser parler, notamment grâce à #MeToo, mais au-delà de ça, les femmes ont besoin de libérer leur parole. Et si l'une le fait sans avoir pu travailler sur elle, cela ressemble au feu d'un volcan, elle a du mal à s'arrêter et à canaliser tout ça. Le but du féminin sacré, c'est de pouvoir canaliser sa parole à travers son écoute intuitive pour savoir à quel moment elle peut poser sa parole pour qu'elle soit juste, et pour tout le monde.
La libération de la parole, voilà une formule que certain-e-s contestent, car des femmes parlaient déjà il y a longtemps, mais on ne les écoutait pas, qu'en pensez-vous ?
Les autres, hommes comme femmes, d'ailleurs, n'écoutaient pas cette parole parce qu'ils et elles ne sont pas prêts à être dans cet éveil, qui va chambouler beaucoup de choses au niveau de la société et de son fonctionnement. A l'intérieur d'elles, les femmes ont un espace souverain ; il faut avoir travaillé sur soi pour être capable d'être entendue, sinon, le risque - et c'est d'ailleurs ce qu'on peut constater parfois - c'est de retomber dans des injonctions et une dualité, et de rester dans le modèle patriarcal.
Dans l'histoire de l'humanité, des sociétés matriarcales ont existé, vous vous en êtes inspirée ?
Personnellement, pas du tout. Pour moi, cela reviendrait à ce que les femmes prennent le pouvoir. Du coup, on va jouer au même jeu, de manière inversée, mais c'est quoi l'intérêt ? Moi, je veux une équité, je suis dans une voie taoïste, et sur cette voie on recherche la voie du milieu, où chacun-e a sa place. Ni patriarcale, ni matriarcale, c'est une voie que l'on doit créer justement car elle n'a jamais existé.
"Les Eveilleuses", ce sont les nouvelles "sorcières" du 21e siècle ?
Je suis assez d'accord avec ça même si l'ancien doit rester à sa place dans le passé, on ne doit pas chercher à ressembler à ce qui a pu exister. On est bien loin de l'image de ces sorcières-prêtresses en robe blanche coiffées de couronnes de fleurs qui pratiquent la wika. Il y a un phénomène de mode, il y a sans doute beaucoup de ces mouvements qui profitent de cela, mais il y a aussi d'autres courants qui vont plus en profondeur, et qui utilisent ces savoirs d'avant pour les mettre au goût du jour. On peut créer un pont avec tout ça, utiliser nos connaissances de druidesses, de femme sacrée, d'initiatrices en jeans et en baskets !
Les maux de l'âme ont-ils un genre ? On ne soigne pas les maux féminins comme les maux masculins ?
Pour moi, au niveau de l'âme pure, je dirais qu'il n'y a pas de distinction, mais incarnée sur terre, il y en a une. Il y a des polarités différentes selon que l'on se trouve dans un corps d'homme ou de femme, et en même temps, on peut être femme et posséder plus de polarité masculine et vice-versa. J'ai 10 % d'hommes qui me suivent dans ma communauté, et qui sont plus "yin". Je dis souvent : messieurs, faites la même chose, parce que les hommes n'ont pas plus leur place que les femmes. C'est important de le dire, ce n'est pas plus facile pour eux, on leur demande toujours d'être des guerriers, forts, sans émotion. Il y a aussi ce masculin sacré qu'il faut remettre à l'honneur.
Dans votre formation, il y a un atelier sur le toucher pelvien, de quoi s'agit-il ?
Dans notre société occidentale, nous avons grandi avec la religion chrétienne. Pour les catholiques, le modèle c'est Marie, une femme qui a enfanté tout en restant vierge ! Comment se construire dans un tel contexte ? C'est très tabou encore aujourd'hui, le fait d'aller redécouvrir notre base génitale, notre vagin, nos lèvres, notre clitoris, notre périnée, c'est aller à la découverte de ce que j'appelle notre temple sacré, c'est comme les fondations d'une maison, c'est là que tout commence ! C'est le lieu où tout s'engramme, c'est l'endroit qui mémorise toutes nos blessures, les attouchements dont certaines ont pu être victimes et c'est ce qu'on voit à travers les différents #MeToo. Il s'agit de sexualité avec soi, est-ce qu'une femme ose découvrir cela, et est-ce qu'elle va aussi aller vers le plaisir ? C'est encore très tabou. Jouir, c'est aussi jouir de la vie ! C'est aussi le moyen d'accéder à notre puissance. Quand j'enseigne aux femmes à aller à la découverte de leur bassin, elles expérimentent réellement cette puissance physique.
Est-ce qu'on ne retombe pas dans une nouvelle injonction, celle de la jouissance à tout prix ?
Alors pour moi, il est important de faire la différence entre puissance et pouvoir. Avoir de la puissance, ce n'est pas prendre le pouvoir sur l'autre ou sur soi. C'est faire rayonner ses propres talents. Mais on peut aussi choisir de ne pas le faire en lien avec ses blessures. Mais si on veut changer le monde, si personne ne cherche à rayonner, rien ne va se passer ! Et puis aussi, il est important de préciser que selon moi, notre puissance se trouve aussi dans notre fragilité et vulnérabilité, ça c'est purement du féminin sacré. Concernant l'empowerment, en 20 ans de carrière, là où j'ai le plus découvert sur moi, tout comme mes patientes, c'est lorsqu'on rentre dans cette vulnérabilité. Parce que nos émotions, nos blessures, elles racontent notre histoire. Le féminin sacré, c'est accueillir ce qui est.