Fil d'Ariane
Le film aurait pu s'appeler Tu seras un homme mon fils, ou encore Sois un homme. Mais face à la virulence des réactions quand elle annonçait qu'elle faisait un film sur la virilité, la réalisatrice française Cécile Denjean a décidé d'appeler les choses par leur nom. La Virilité, donc, traite de la condition masculine, de la difficulté à faire face aux injonctions de force, de puissance, de domination. Un sujet qui dans le sillage du mouvement #metoo, est en train de passer du statut de "enfoui" à celui de "à vif" - c'est le constat flagrant de ce film.
Cécile Denjean a déjà réalisé plusieurs documentaires, dont Princesses, pop stars & girl power, Un homme presque parfait ou encore Le ventre, notre deuxième cerveau. L'envie de travailler maintenant sur la masculinité lui est venue dans le sillage de la prise de parole des femmes après l'affaire Weinstein. Dans l’injonction à être le mâle dominant, qu’y a-t-il d’inconfortable ? C'est à cette question que le film voulait répondre. "L’idée est née au moment de la vague #metoo. Beaucoup de choses ont bougé, alors, beaucoup d’hommes se sont sentis attaqués, insécurisés, alors qu'ils se considéraient comme des "mecs bien", pas concernés. Ce que j’ai voulu faire, c’est donner de la souplesse au système, faire bouger les lignes."
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Les dernières scènes du film se déroulent dans le sud de la France, aux "Rencontres du masculin sacré", qui réunissent 200 hommes qui veulent partager autour de leur masculinité. Pendant quatre jours, on les voit essayer de se débarrasser de la carapace, comme s'ils muaient, par la méditation, la danse, le bain, le toucher. Là se révèle toute la difficulté à tomber l'armure.
Le documentaire de Cécile Denjean La Virilité sera prochainement diffusé sur France 2. Parce qu'aujourd’hui, il y a des hommes qui se disent ouvertement féministes et que l'on ne fera pas bouger la cause des femmes sans les hommes.
Terriennes : y a-t-il une crise de la masculinité ?
Cécile Denjean : Elle a toujours existé, je pense. La crise de la masculinité ne date pas de #metoo. Chez les Romains, déjà, c’était un problème de ne pas être le mâle dominant. Mais aujourd'hui, les hommes admettent que c'est aussi un fardeau et qu'ils traînent parfois leur virilité comme Sysiphe son rocher. La masculinité est un privilège, mais c’est aussi un piège. "Nos couilles et notre bite pèsent des tonnes", dit Sébastien Garcin. C’est nouveau qu’un homme dise "on n'a pas forcément besoin de ce système de domination pour exister".
D'autant que le système de domination des hommes sur les femmes est cruel aussi pour les hommes, dont 90% sont dominés par d’autres hommes. L’idéologie de la virilité pose des fondements transposables à tous les systèmes de domination : hétérosexuels sur homosexuels, blancs sur d'autres races, forts sur faibles…
En faisant le film, j’ai découvert qu’être un homme, c’est laisser tomber le masquede l’homme fort.Cécile Denjean
Quelles étaient les réactions des hommes quand vous parliez de votre film ?
Dès que j’annonçais que je faisais un film sur la virilité, je ne pouvais plus en placer une ! C'était une véritable loghorrée verbale chez tous les hommes, du chauffeur de taxi à l’adolescent, en passant par l’intello, le grand-père, le macho... Un déferlement de réactions qui révélait le besoin que les hommes ressentaient de parler après des millénaires de silence imposé. Dans le film, ce sont les hommes qui parlent, sans commentaires, de ce dont ils aimeraient se débarrasser. En faisant le film, j’ai découvert qu’être un homme, c’est laisser tomber le masque, celui de l’homme fort, riche, puissant, décideur…
Quelle différence concevez-vous entre virilité et masculinité ?
La virilité, c’est l’excellence de la masculinité – le courage, l'héroïsme, la puissance, l'invincibilité. La masculinité, c'est le pendant de la féminité. L’excellence de la féminité? Elle n’existe pas, puisque pour être excellent, il faut être un homme.
Quels obstacles avez-vous rencontrés ?
La difficulté, c’était de faire un choix. Un seul homme a jeté l’éponge et reculé à la dernière minute. Les autres ont tellement travaillé sur eux-mêmes qu’ils ont accepté de mettre leur réflexion sur la place publique. C’est très délicat, car cela touche au physique, à l’identité, aux parents, à la position, à l’enfance…
Comment avez-vous fait votre casting ?
Pour faire le casting du film, j’ai travaillé avec... un homme ! Un journaliste, Kilian Reydoux. Le choix s’est fait sur des hommes qui avaient des choses à dire, des choses pertinentes, touchantes, personnelles. Tous m’ont donné énormément de matière.
L’idée, c’était de prendre différents aspects toxiques de la virilité et de filmer certains hommes qui étaient soit complètement dedans, soit en train d’en sortir d’une façon ou d’une autre. C'est pourquoi le film commence par un boxeur, éduqué pour se battre, protéger son clan, qui s’est construit pour gagner les combats. Il est au niveau le plus rudimentaire, le "néolithique" de la masculinité. Il fait partie de ces hommes qui se battent contre d’autres hommes qui, eux, n’ont pas réussi à s’imposer par l’excellence de leurs qualités viriles. Viennent ensuite deux hommes "victimes de la virilité". Les mettre en parallèle me semblait intéressant.
Il y a aussi des machos à différents degrés, comme ce Marseillais qui ne touche jamais à la vaisselle et se félicite de son autorité à la maison, mais soigne son apparence comme une fille et embrasse tendrement ses fils de 2 et 5 ans qui ont les cheveux longs.
Retrouvez Cécile Denjean dans notre chronique Terriennes spéciale FIFDH :
Chronique spéciale cinéma #FIFDH19 : rencontre avec C. Denjean, réalisatrice de "La Virilité", avec la Libyenne H. Sharief, qui déplore l'absence des femmes dans le processus de paix, et avec Laura Cazador pour son film "Insoumises", l'histoire d'une pionnière suisse à Cuba. pic.twitter.com/BuXcWll9Jv
— TERRIENNES (@TERRIENNESTV5) 14 mars 2019
Le documentaire La Virilité sera bientôt diffusé sur France 2.