Fil d'Ariane
Début Juin 2014, Bethléem. Après dix mois d'attente, la réalisatrice palestinienne Norma Marcos, qui vit à Paris reçoit enfin l’autorisation de se rendre en Cisjordanie en passant par l’aéroport de Tel-Aviv, pour aller voir sa mère, malade.
Une fois sur place, elle filme sa nièce, âgée de 16 ans, comme elle en a l'habitude. Yara, le public l’a vue grandir sous la caméra de sa tante au fil de ses œuvres. Mais l’actualité vient bouleverser la vie de tous les Palestiniens, et aussi les projets de Norma Marcos.
L’enlèvement et le meurtre de 3 jeunes Israéliens à Hébron, puis le meurtre d’un jeune palestinien, brûlé vif à Jérusalem, ainsi que l’arrestation de près de 500 jeunes palestiniens par l’armée israélienne déclenchent des affrontements entre Hamas et Israël. Début Juillet, Gaza est à nouveau sous les bombes. Selon un rapport de l’ONU, le nombre de civils palestiniens tués pendant l’opération « bordure protectrice » est le plus élevé depuis la guerre des six jours. « Plus de 1 500 civils ont été tués, 11 000 ont été blessés et 100 000 déplacés », indique ce rapport.
Norma Marcos a déjà filmé sa nièce auparavant, notamment dans En attendant Ben Gourion en 2006, et dans Fragments d’une Palestine perdue en 2010. Quelle est la place de l’innocence de l’enfance dans une telle situation politique ? Norma Marcos explique : « Nous avons essayé de préserver Yara de la politique, de la protéger de ce qui se passe en Palestine. Ses parents l’ont poussée à faire de la natation, de la peinture, de la photo, du chant. Malgré cela, elle était très avertie sur la politique. Aujourd’hui, Yara étudie aux Pays-Bas et intervient régulièrement en public pour parler de la Palestine. Aucun Palestinien ne peut rester à l’abri de la politique, tant le quotidien est touché. Le vécu pousse les gens, y compris les enfants à être politisés. Comme ceux dans mon film. Ils tiennent parfois des discours d’adulte. Je voulais savoir comment un enfant palestinien, même protégé, est affecté par la politique et l’occupation. »
Norma Marcos commence son film en allant à la rencontre de femmes inspirantes à Bethléem, comme sa cousine, maire de la ville. Vera Baboun, a fait une étude sur « le concept de Schéhérazade » dans Les Mille et une nuits. Elle questionne le statut de la femme, via cette figure mythique de la littérature arabe. « Elle est la femme qui a réussi à mettre fin à la décapitation, grâce à sa prise de conscience et à sa capacité à raconter. », explique Mme le maire. Selon elle, oui, la prise de conscience autour de la question des droits des femmes est encore possible. Et elle l'espère de tout coeur.
Yasmine est une jeune pilote automobile, que l'on découvre sur un circuit. Elle a deux emplois et regrette de ne pouvoir aller où elle souhaite, à cause des barrages et checkpoints. « Ce sport me donne la poussée d’adrénaline dont j’ai besoin. Ça donne du piment à nos vies. On a besoin de ça pour pour évacuer la pression. »
Artistes, créatrices, religieuses, mais aussi jeunes mariées, toutes ces femmes synthétisent la résistance palestinienne au féminin, que la réalisatrice veut mettre en avant.
Norma Marcos n'anticipe pas ce qu'elle va filmer. Elle commence par sa famille, ses racines pour raconter son pays, et son peuple. Elle raconte : « Je suis quelqu’un qui suit son instinct. La scène du monastère par exemple n’était pas préparée. J’ai trouvé cet endroit par hasard. Je ne savais pas à l’avance qui serait là pour me parler. Au final, ce film, je l'ai un peu fait aussi par hasard. Je ne savais pas qu’une guerre allait malheureusement éclater à Gaza. Je n’ai jamais appris le cinéma ni la photo. J’ai acheté cette petite caméra, qui n’est même pas un matériel de professionnel. D’ailleurs en plein milieu du tournage, elle a rendu l’âme. J’ai fini avec mon IPad. »
Les affrontements se transforment en guerre, et le film change de propos et de message. Les images de Yara continuent de rythmer les rencontres. Plus les bombardements s’intensifient, plus il est question de survie. Le véritable déclic pour Norma Marcos, ce sont les tweets de la jeune Farah Baker, une jeune gazaouie de l’âge de sa propre nièce, 16 ans au moment de la guerre. Ses tweets ont été remarqués et suivis par le monde entier, au point d’en faire un symbole, les enfants ayant été particulièrement touchés par cette guerre.
:/ #SaveGaza pic.twitter.com/WMGgjQbrhV
— Farah Baker (@Farah_Gazan) 21 juillet 2014
« Bonjour je suis Farah Baker, une jeune fille de Gaza de 16 ans. Depuis que je suis née, j’ai survécu à trois guerres, et je pense que c’est assez. #SauvezGaza »
« Il n’y a pas de différence, nous sommes un seul peuple. Musulmans et Chrétiens sont un même peuple. »
Témoignage d'une femme palestinienne, issu du documentaire de Norma Marcos
Il est alors question de soutien à Gaza et de boycott des produits israéliens. Une femme vivant à Jérusalem, dont le mari est encore à Gaza témoigne devant la caméra : « On pense à Gaza. J'y ai vécu la guerre de 2008. Chrétiens, Musulmans, il n’y a pas de différence, nous sommes un seul peuple. »
La réalisatrice explique : « Il y a toujours eu une très grande solidarité. Historiquement on a toujours eu une union du peuple, même avant la création d’Israël. »
Les rapports entre Gaza et la Cisjordanie ont toujours été marqués par une union populaire, nous explique la réalisatrice. Elle ajoute : « Là, l’élan de solidarité était à l’échelle de l’horreur de cette guerre. Ça a dépassé tout ce à quoi je m’attendais. »
Apporter du soutien logistique à Gaza, quand on est en Cisjordanie est concrètement impossible. Les générations plus jeunes, politisées, mais sans affiliation à un parti organisent des opérations de boycott de produits israéliens, et tentent d’alerter les habitants et commerçants des différentes villes. Les jeunes femmes participent en masse à ce mouvement, en allant dans les supermarchés coller des étiquettes sur les produits palestiniens et israéliens.
Le documentaire met ainsi en lumière la dépendance économique de la Cisjordanie envers Israël. Nombre de commerçants ont envie de soutenir cette action, mais sont dans l’impossibilité matérielle de le faire. Par exemple, un fleuriste déplore que 99% des fleurs qu’il vend viennent d’Israël. « Sans l’embargo sur Gaza, on pourrait réduire cette part d’au moins 40%. Mais on ne cultive pas de fleurs en Cisjordanie. »
Un boulanger lui, regrette qu’il n’y ait qu’un moulin, à Ramallah.
« C’est une occupation supplémentaire. », commente Norma Marcos. « Dans les supermarchés de Cisjordanie, on est inondés de produits de consommation israéliens, et il y a très peu de produits palestiniens. Ils ferment les frontières, donc la Palestine ne peut exporter qu’à travers Israël, du coup le prix est multiplié. »
« J’ai confiance en cette nouvelle génération, plus de femmes prennent la parole, notamment grâce à Internet.»
Norma Marcos, réalisatrice et journaliste palestinienne
La réalisatrice palestinienne garde espoir, surtout auprès de la jeune génération. Cinéma, littérature, peinture, des mouvements nouveaux, osent affronter des sujets encore tabous. « Il y a des choses très riches, certains abordent des sujets osés, comme celui des hommes palestiniens prisonniers, qui font passer leur sperme à leurs épouses pour qu’elles procèdent à des fecondations in vitro assez sommaires parfois. Il y a pleins de petits films qui traitent le sujet de l’occupation de manière intelligente et très diffèrente. En littérature, les auteurs abordent aujourd’hui des sujets parfois tabous, autour de la sexualité. Une partie de la population n’est peut-etre pas encore prête à ça. La peinture aussi se libère. Il y a un maintenant un renouveau dans les thèmes abordés, les messages, tout comme dans la photo. J’ai confiance en cette nouvelle génération, où plus de femmes aussi prennent la parole, grâce justement à Internet et aux nouvelles technologies », nous dit-elle.
Aujourd'hui, Norma Marcos se dit fatiguée. Ce film, elle l'a quasiment réalisé toute seule. Tournage, production, traduction, diffusion. Il n'y a que le montage qu'elle n'a pas fait elle-même. Elle confesse : « Ce genre de projets est lourd à porter, c'est très difficile de les mener à bien. J’ai failli abandonner à plusieurs reprises. » Elle remarque qu'en effet, les femmes ont plus de mal que les hommes à faire aboutir ce type de projet. « On doute plus, on pense spontanément qu’on n’est pas leurs égales, et du coup, on nous prend moins au sérieux. On hérite des rapports de force qui datent depuis plusieurs siècles », regrette-elle.
Pourtant, elle a encore plein d'idées en tête. Elle vient de finir l'écriture d'un scénario de fiction et commence à rédiger le script d'un nouveau documentaire. Elle prévient néanmoins : « Je ne ferai aucun des deux sans argent cette fois. Je ne me lance plus comme ça sans financement. »
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