“La reconstruction du Mali ne doit pas se faire sur le dos des femmes”
Violences sexuelles, viols et mariages forcés ont été commis en masse dans le Nord du Mali. La sécurité n'a pas encore été rétablie dans ces régions. ONU Femmes vient de lancer un plan d’urgence pour fournir un appui psychosocial et une aide économique aux victimes.
Sur le terrain, les associations de femmes et de défense de droits humains continuent de réclamer justice et réparation. Explications avec Koité Doumbia, présidente de la Coalition malienne pour la Cour pénale internationale (CM-CPI) et responsable de l’antenne malienne de Femnet, un réseau d'ONG qui défend, depuis 25 ans, les femmes africaines sur tout le continent.
“Si les viols commis dans le nord Mali restent impunis, la réconciliation ne sera pas possible.“
Pouvez-vous estimer le nombre de viols et d’agressions sexuels commis dans le nord du Mali ? Non, pour l’instant, il n’existe pas de chiffres. C’est maintenant qu’on va chercher à estimer. Mais il est clair que de très nombreuses femmes refusent de s’identifier à des femmes violées. Quelle est la priorité aujourd’hui pour les femmes maliennes ? Il faut absolument rendre justice aux femmes. Si les viols commis dans le nord Mali restent impunis, la réconciliation ne sera pas possible. Pour qui connaît vraiment la profondeur de tous ces crimes, il est inacceptable aujourd’hui qu’on passe l’éponge, qu’on efface tout cela. Je pense que la communauté internationale a, là, un rôle à jouer. Nous venons de créer la Coalition malienne de la cour pénale internationale pour aider l’Etat malien à adapter ses instruments juridiques à cette réalité des viols et des crimes de guerre. Il faut que ces criminels soient jugés. Comment est-il possible de rendre justice ? Comment inciter les femmes violées à porter plainte et comment retrouver leurs agresseurs ? Première chose, dès le mois d’octobre, le ministère malien de la justice a fait publier une circulaire qui demande à tous les tribunaux de tous les niveaux partout dans le pays de recevoir les plaintes des victimes. Deuxième chose, nous, les associations, sommes en pleine campagne de sensibilisation et d’information, surtout auprès des ces femmes et ces filles pour qu’elles portent plainte et témoigner. Nous sollicitions la presse et les nombreuses radios privées, dans les langues locales, pour diffuser nos communiquée. Par ailleurs, sur un plan plus politique, il faut qu’on reste un groupe de pression, uni et solide, pour que l’Etat malien, même s’il y a des négociations avec les différentes factions impliquées dans la crise, fasse appliquer et respecter la justice et qu’il y ait réparations. Nous avons déjà commencé ce travail en nous appuyant sur des résolutions des Nations Unies qui reconnaissent aux femmes un rôle dans le règlement des conflits, par la négociation et la médiation. Depuis que les négociations ont commencé à Ouagadougou par l’intermédiaire du président burkinabé, on rappelle sans cesse que la reconstruction du Mali ne doit pas se faire sur le dos des femmes. Les femmes, avec les enfants, ont été les plus grandes victimes de ce conflit. Il n’est pas question de traiter ces questions sans qu’on les entendent. Il faut que les femmes aient voix au chapitre.
Comment la communauté internationale peut-elle aider les femmes du Nord Mali ? Il faut aider ces femmes à retrouver une vie normale. Elles ont besoin de soutien psychologique. Il faut nous aider à ouvrir des centres d’écoute pour recevoir ces victimes et les aider à évacuer leurs traumatismes. Il faut développer des centres socio-éducatifs pour proposer des activités intra-communautaires et réapprendre le “vivre ensemble”. Il faut aider les filles à retourner à l’école car beaucoup ont abandonné, sont démoralisées et attendent des bébés non voulus. Il faut surtout remettre les femmes là où elles avaient l’habitude de travailler et leur demander ce dont elles ont besoin. Il faut partir des besoins qu’elles expriment et là on pourra à les aider et les encadrer. Si on parachute des programmes qui ne les intéressent pas, ça va aller à l’échec. Il y a déjà beaucoup d’associations maliennes qui sont sur le terrain. Il nous faut surtout une aide financière et un soutien logistique de la part des partenaires internationaux. Début mars, au siège des Nations Unies, nous allons présenter, dans le cadre de la conférence sur le statut des femmes, tous les problèmes que rencontrent actuellement les Maliennes. Nous avons préparer des témoignages et des dossiers pour faire comprendre la réalité. De cette manière, nous espérons convaincre de nombreux partenaires pour qu’ils soutiennent les femmes dans la reconstruction du Mali. Avez-vous l’intention, dans les mois à venir, de demander une nouvelle réforme du code de la famille ? La dernière version, adoptée en 2011 par le parlement malien, a été fortement influencée par les islamistes. Il y a beaucoup de choses inacceptables dans ce code de la famille qui continue de maintenir les femmes dans une situation d’infériorité. Le texte dit que “la femme doit obéissance à son mari”, que le mariage religieux seul a la même valeur que le mariage civil et que la garde des enfants, en cas de décès du père, est confiée non pas à la mère mais à un tuteur ! Ce code est en contradiction avec la Constitution malienne de 1992 qui reconnaît l’égalité entre les hommes et les femmes et avec de nombreux textes internationaux que le Mali a ratifiés, tels que Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), et le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes. Ce code nous fait retourner en arrière et c’est le Haut conseil islamiste qui a réussi à le faire passer. Je pense que quelque part cela a ouvert une brèche aux islamistes et à l’application de la charia dans le Nord. Mais, avec la crise, les gens ont appris beaucoup de choses et l’équilibre politique a changé. Le Haut conseil islamiste n’a plus le même crédit. Nous, les associations de femmes et de défense des droits humains, nous cherchons désormais à travailler avec une nouvelle coalition religieuse qui s’est créée à l’initiative de musulmans modérés. Ensemble, on va briser cette barre de fer ! Mais il faut d’abord attendre la mise en place d’élections transparentes, l’arrivée de nouveaux élus au parlement et la reconnaissance d’un gouvernement légitime.