TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...
Partager

La révolution au féminin selon Ghada Amer

C'est la première fois qu'une rétrospective est consacrée à  Ghada Amer en France. Déployée dans plusieurs lieux à Marseille, elle réunit les différents modes d’expression plastique de l’artiste franco-américano-égyptienne, depuis ses débuts jusqu’à ses créations les plus récentes. Broderies, sculptures, peintures : les femmes et leur quête de liberté sont au coeur de son oeuvre, résolument féministe.

La broderie, la peinture, la céramique, le bronze et la création de jardins sont au cœur de son art. Entre Orient et Occident, Ghada Amer interroge d’une culture à l’autre les représentations, les rapports de domination, les processus d’assimilation, d’opposition ou de traduction. Elle est aujourd’hui une voix majeure des enjeux post-coloniaux et féministes de la création contemporaine.

"Au fondement de l’énergie créatrice de Ghada Amer, c’est de la colère. Une colère face à toute forme de discrimination, pas seulement dans le monde arabe, en France aussi, elle a connu des discriminations sexistes", précise l'une des deux commissaires de l'exposition, Hélia Paukner.

Les femmes, voix de la révolution

Pour Ghada Amer, la question de la femme transcende celle de l’appartenance culturelle ou religieuse. La première sculpture-jardin de Ghada Amer en langue arabe, A Woman’s Voice Is Revolution (la voix de la femme est révolution) trône sur l’aire de battage dans les jardins du fort de Marseille.

"Elle s’adresse à toutes celles et ceux qui sauront la lire. C’est en modifiant une seule lettre que j’ai détourné (et d’autres avant moi) l’aphorisme traditionnel 'La voix de la femme est source de honte' en 'La voix de la femme est révolution'. 'La voix de la femme est source de honte' est une phrase tellement récurrente, tellement ancrée dans la pensée et la culture arabo-musulmanes que beaucoup de gens ne s’apercevront peut-être même pas du changement au premier coup d’œil ! Avec cette œuvre, j’ai donc voulu inviter les gens à une prise de conscience, à réfléchir à ces idées ancrées en nous, presque malgré nous, explique l’artiste. "

Le féminisme c'est le seul qualificatif que j'accepte un peu, féministe...
Ghada Amer

Résolument féministe, Ghada Amer s’est emparée en peintre du médium traditionnellement féminin de la broderie : "J’ai décidé que la peinture était masculine, donc j’allais prendre un médium associé aux femmes, qu’on trouve dans toutes les familles. Je suis arrivée pour faire de la peinture, mais on ne m'a pas accordé de place, j'étais choquée ! Je suis allée à la bibliothèque, j'ai ouvert des livres d'histoire de l'art, pas une femme ! Moi qui voulais faire de la peinture, j'étais très touchée par le fait qu'il n'y avait pas de femmes. C'est bien qu'il y avait un problème, donc je suis féministe c'est sûr. Le féminisme c'est le seul qualificatif que j'accepte un peu, féministe... "

Une autre partie de l'exposition marseillaise s’appelle Ghada Amer, Witches and Bitches, que l’on peut traduire par "sorcières et salopes". "Ce sont des figures qui servent à dénigrer les femmes, mais que des féministes ont récupérées comme symboles de lutte. Ghada Amer a commencé à s’interroger sur le corps féminin à travers les patrons de couture et la question des normes vestimentaires. Puis en 1991-1992, pour critiquer le regard objectivant que peuvent porter les hommes sur le corps de la femme, elle a puisé des images dans des magazines pornographiques pour les broder sur ses toiles", commente Hélia Paukner. 

Femmes orientales

Au Mucem, le parcours transculturel et international de l’artiste est mis en lumière : ce qu’on appelle l’Orient, sa perception par l’Occident, la traductibilité d’une culture dans une autre, la religion et la condition féminine constituent autant de thèmes dont Ghada Amer livre une vision personnelle. 

Elle, femme artiste, peint des nus féminins après tant de siècles de nus féminins peints par des peintres de sexe masculin.
Philippe Dagen, commissaire de l’exposition

Pour la commissaire, "Le point de départ de Ghada Amer est celle de sa propre quête identitaire  : 'Qui suis-je, moi, femme moderne entre l’Égypte, l’Europe et les États-Unis ?' Ses réponses sont l’expression d’une profonde aversion pour toutes sortes de prescriptions comme celles qui s’expriment à travers les normes vestimentaires, trop souvent réduites à la question du voile. Pour Ghada Amer, l’essentiel du message c’est  : 'Mon corps, mon choix', dans le sens d’une liberté de se voiler ou non. Et de se dévoiler ou non. Pour elle, cette liberté-là, c’est aussi la liberté de peindre un nu. Au Mucem, on verra par exemple une réinterprétation du Bain turc d’Ingres, où le nu tient naturellement une place de choixb : il s’agit d’un acte militant sur la question de la représentation du corps de la femme, mais aussi d’une réappropriation postcoloniale de l’imagerie stéréotypée de l’Orientalisme."

"Quand j’allais en Egypte dans les années, 1980 je voyais de plus en plus de femmes voilées et j’avais très peur qu’on me force à mettre la burka, donc j’ai fait ma propre burka en dentelles de Bayeux et j’ai écris la définition du mot peur là où l’on respire, là où l’on parle",
confie-t-elle.

"Les femmes qu’elle fait surgir sont, si l’on peut dire, les héroïnes de leur liberté et de leur jouissance, comme elle l’est elle-même en les dessinant et les peignant. Elle, femme artiste, peint des nus féminins après tant de siècles de nus féminins peints par des peintres de sexe masculin", ajoute Philippe Dagen, l'autre commissaire de l’exposition.

Des débuts dans un monde d'hommes

"À l’époque, à la Villa Arson, les garçons avaient le privilège de pouvoir accéder à certains lieux ou à certains outils ; ils pouvaient par exemple partir seuls couper un morceau de bois et revenir… Nous, les femmes, on devait être accompagnées. Ou quelqu’un devait le faire pour nous… Oui, je parle bien de la France !", ironise Ghada Arem.

On lui a refusé la peinture, alors elle s’est mise à la broderie. Non pas pour célébrer l’art de la broderie, mais pour faire de la peinture.
Hélia Paukner, commissaire de l’exposition

"Lorsqu’elle faisait ses études, à la fin des années 1980, on a refusé à Ghada Amer l’accès au cours de peinture parce que les femmes peintres avaient alors de très faibles chances de faire carrière. Elle s’est donc mise à la broderie. Non pas pour célébrer l’art de la broderie, mais pour faire de la peinture", rappelle Hélia Paukner.

De son côté, Philippe Dagen tient à rappeler que les œuvres des femmes artistes ont, dans le marché de l’art, des valeurs financières nettement moins élevées que celles qu’obtiennent leurs confrères de l’autre sexe. "Inutile de se demander pourquoi. Je pourrais citer tel galeriste parisien fort connu qui disait fièrement, il y a vingt ans, qu’il n’exposerait jamais de femmes artistes… Il a du reste changé d’avis depuis. Je pourrais aussi citer bien des artistes français qui n’étaient pas moins méprisants, tout en se disant d’avant-garde et révolutionnaires".