Fil d'Ariane
Anaïs Schenké signe Fragments : rassembler les cœurs brisés, une bande dessinée qui décortique sous un angle féministe les conséquences des séparations de couple sur les femmes. Entretien.
Dans "Fragments, rassembler les cœurs brisés", Anaïs Schenké illustre les différentes étapes d’une rupture amoureuse.
Depuis l'apparition du mouvement #MeToo et la grande libération de la parole qui a suivi, les maisons d’édition françaises ont décidé d’élargir leurs catalogues, en créant notamment des collections dédiées aux droits et au quotidien des femmes. Avortement, fausse-couche, consentement, sexualité, rapports amoureux ...
C'est à cette dernière thématique qu'Anaïs Schenké a choisi de s'attaquer, crayon à la main dans son roman graphique Fragments : rassembler les cœurs brisés (Editions Hachette, collection Les Insolentes). Du coup de foudre au coup d'arrêt ... Après avoir elle-même traversé une douloureuse rupture amoureuse, l'autrice a décidé de mettre ses maux en mots et en dessins. Une histoire racontée du côté des femmes.
Alors qu’elle s’apprête à fêter ses trente ans en compagnie de ses ami·es les plus proches, Coline aborde ce changement de dizaine entre excitation et crainte à l’idée que son copain, Aubin, soit également de la partie. Depuis quelques jours, la jeune femme le trouve "bizarre" et ne désire pas que cette impression empiète sur la fête à venir. Malheureusement, le sentiment qui l’habitait quelques heures avant se confirmera quand Aubin part de la soirée pour se rendre ailleurs. Quelques jours après, il quitte Coline, sans ménagement, sans explication autre que son désir d’être libre.
Le mot "rupture" est lâché. De cette première étape, douloureuse et anesthésiante, la difficulté est de se relever. Entre tristesse et désarroi, Coline n’arrive pas à reprendre le dessus. Sans cesse, elle se rappelle la violence des mots qu’Aubin a prononcés, alors que rien ne laissait présager une telle fin. Ce couple fusionnel partageait pourtant des moments doux et joyeux. Passer de ces moments à rien engloutit Coline dans un gouffre sans fond… Coline goûte aux différentes étapes d’une rupture, jusqu’à rassembler les morceaux de son cœur dispersé.
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Terriennes : Quel est votre parcours Anaïs Schenké ?
Anaïs Schenké : Je suis actuellement professeure de dessin. Avant, je travaillais dans l'éducation populaire et plus particulièrement dans la formation des publics avec des outils artistiques.
Vous avez publié en 2022 Fragments, un ouvrage qui montre le quotidien d’une jeune femme après une rupture amoureuse difficile. Comment ce livre est-il né ?
Anaïs Schenké : Je n'avais jamais fait de BD avant même si je dessinais un peu. C’est quand il y a eu cette rupture que réaliser cette bande dessinée s’est imposé à moi. Je l'ai vraiment fait pour comprendre ce qui se passait dans ma vie parce que cette rupture amoureuse a été un grand choc émotionnel.
J’avais besoin de mettre des mots sur ce sujet, car j'avais l'impression de ne pas trouver de récit qui puisse apaiser ma peine. Et du coup, en montrant mes planches à des copines, celles-ci m'ont dit que ça leur faisait penser à des choses similaires qu'elles avaient vécues et que ça leur faisait du bien. J'ai donc commencé à poster sur Instagram mes planches. Je n'avais pas beaucoup d'abonnés à l'époque, mais petit à petit, j’ai commencé à recevoir des messages de gens qui avaient vu les planches, s’étaient reconnus dans l’histoire et avaient aimé…
Est-ce en raison du parti-pris féministe ?
Anaïs Schenké : Oui, je pense que ce qui a fait la différence, c'est le fait que j'ai été inspirée par d'autres ouvrages féministes que j'avais lus. Ce n’est pas un livre qui donne des conseils pour récupérer mon ancien amoureux ou pour que les hommes me trouvent plus désirable. C’est un livre qui montre des personnes minorisées dire ce qu'elles pensent sans être consensuelles, sans essayer de plaire à un oppresseur quelconque.
Quelles sont les autrices qui vous ont permis de vous construire ?
Anaïs Schenké : Le type de lecture que moi, j'adore, ce sont vraiment les romans qui racontent des quotidiens qui se passent dans des cultures, des endroits, des familles, des structures sociales que je ne connais pas, car à travers l'histoire des personnages, j'apprends énormément. Ça, c'est un peu le format idéal pour moi. Ça peut être de la littérature ou des récits de gens qui racontent un moment de leur vie. C’est pour ça que j’ai aimé Persépolis de Marjane Satrapi. C'est peut-être l’une des premières BD que j'ai vraiment lue en ayant conscience du fait que ce n’était pas juste une BD divertissante que je pouvais trouver chez mes grands-parents, mais une BD qui racontait quelque chose de fort par rapport à une société. C'est mon premier vrai coup de cœur littéraire. Je trouve le travail de Marjane Satrapi vraiment formidable.
Il y a aussi Liv Strömquist qui a changé mon rapport à BD. Avec elle, j’ai compris que la BD pouvait être un prétexte pour parler de sujets qui seraient peut-être un peu indigestes si le livre n’était pas illustré. Elle m’a donc un peu encouragée à me lancer. Ensuite, il y a des références citées dans mon livre qui m'ont vraiment un guidé, comme des phares dans la nuit. J’ai toujours avec moi un livre de Rupi Kaur, une poétesse canadienne dont les poèmes m’aident beaucoup, car j'ai tendance à dire beaucoup de choses. Ça peut être très généreux, mais parfois, je me perds dans des chemins de traverse et ce n'est pas très efficace. Le fait d’avoir une autrice comme Rupi Kaur m'a aidé dans mon écriture à parfois écrire de manière plus directe et à faire confiance au lectorat pour comprendre des choses sans avoir à leur expliquer à tout-va.
Un dernier mot sur la bande dessinée ?
Anaïs Schenké : Sur beaucoup de sujets, je trouve que la BD permet de rendre accessible au plus grand nombre beaucoup d'informations complexes. Il y a plein d’outils de compréhension du système politique, social, intime et féministe auxquels beaucoup de gens n’ont pas accès puisqu’ils sont souvent abordés dans des livres complexes. Le fait de pouvoir publier une bande dessinée qui diffuse des pensées qui ne sont connues que dans certains milieux est très intéressant. Ce que j’aime aussi dans ce média, c’est que c’est très libre. On peut faire artistiquement tout ce qu’on veut : écrire, dessiner, faire un livre sans codes, un livre de 10 ou 500 pages. C’est un média vraiment très riche.
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