La scolarisation, une bataille au coeur de la Journée internationale des filles
C'est la deuxième édition de la journée mondiale des fille. Depuis 2012, le 11 octobre est devenu, sous l'égide de l'ONU, la date de mobilisation pour défendre les droits des fillettes et des adolescentes. L'année dernière, la lutte contre les mariages précoces en était la thématique principale. Cette année, place à l'éducation. Aujourd'hui encore, les filles sont moins scolarisées que les garçons. Pour l'Unicef, l'agence des Nations Unies consacrée à l'enfance, il est urgent d'agir contre cette discrimination fondamentale. Entretien avec Michèle Barzach, présidente d'Unicef France.
Quels sont les principaux freins à l'éducation des filles dans le monde ?
Ces freins sont nombreux et divers : la pauvreté, le contexte familial, les traditions, les questions de sécurité… 31 millions de filles ne vont pas à l'école dans le monde, soit 54% des enfants non-scolarisées en primaire. Une discrimination particulièrement ancrée en Afrique subsaharienne, dans les pays arabes et dans le sous-continent indien. Il existe aussi de fortes disparités au sein d'un même pays entre villes et campagnes. Dans la capitale afghane, Kaboul, les filles sont quasiment autant scolarisées que les garçons alors que dans certaines régions rurales, elles sont moins de 20% à se rendre à l'école. En campagne, les distances pour se rendre à l'école sont plus importantes, ce qui fait accroître, aux yeux des parents, les risques d'insécurité pour leurs filles. Les tâches domestiques et les travaux dans les champs occupent aussi plus les filles que les garçons et prennent le pas sur leur scolarité.
Michèle Barzach, médecin gynécologue, ancienne ministre française de la Santé de Jacques Chirac (1986), aujourd'hui présidente de Unicef France
Après le primaire, les inégalités se creusent-elles davantage ?
Dès que les filles atteignent l'âge de la puberté, elles risquent plus encore que les garçons d'avoir à stopper leurs scolarité. En 2011, 34 millions d’adolescentes en âge de fréquenter le secondaire n’étaient pas scolarisées. Or une fille qui quitte l'école après le primaire perd, pour sa vie future, les bénéfices de sa scolarisation. Elle va se retrouver sans qualification, sans métier, et va percevoir au final des revenus plus faibles. Il a été démontré qu'une année de scolarisation en moins dans le primaire entraine plus tard pour les femmes une perte de revenu de 10 à 20% et une année en moins dans le secondaire une perte de 15 à 25%.
Quelles sont les retombées positives de la scolarisation des filles ?
Les retombées sont multiformes. Elles sont analysables et mesurables. A l'échelle d'un pays, la scolarisation des filles est un facteur de dynamisme économique et de développement. Plus les femmes sont éduquées, meilleure est leur santé et celle de leurs enfants. Un enfant né d'une mère qui a eu accès à l’école élémentaire a beaucoup plus de chances de vivre au-delà de son cinquième anniversaire que celui né d'une mère privée d’éducation élémentaire. Les rapports de l’UNICEF le montrent : chaque année supplémentaire de scolarité dans la vie d'une fille réduit de 10% le risque de décès de son futur bébé.
Il y a aussi un lien direct entre violences faites aux femmes et éducation. Les filles qui quittent l'école après la primaire ont plus de risque de subir des mariages et des grossesses précoces. De même, les mutilations sexuelles féminines frappent davantage celles qui ne sont pas scolarisées. L'école s'avère pour les filles un lieu de protection et de construction de soi qui leur donne les moyens d'échapper aux normes sociales agressives à leur égard.
Comme l'Unicef collabore avec les gouvernements et les ONG pour améliorer l'accès à l'école pour les filles ?
Les moyens dont nous disposons sont toujours à peu près les mêmes. D'abord nous nous appuyons sur la Convention internationale des droits de l'enfant pour rappeler que l'accès à l'école est un droit fondamental qui en conditionne d'autres tels que le droit à la santé, à l'égalité, à la sécurité… Sur un plan plus concret, l'Unicef met en place dans les zones de conflit des écoles provisoires, appelées "écoles amis des enfants", soutient des écoles déjà existantes pour qu'elles puissent accueillir davantage d'enfants et encourage aussi le développement d'outils pédagogiques innovants recourant aux nouvelles technologies.
Pourquoi avoir créé une journée spécifique pour les filles ? Celle de la journée des femmes ne suffisait-elle pas ?
Les filles font face à des problèmes spécifiques qui ne sont pas ceux des femmes. Les plus fragilisées se retrouvent le plus souvent enfermées dans leur famille sans moyen de faire entendre leur voix. Il était donc important qu'il y ait une forme d'élan international comme cela a été le cas avec la jeune pakistanaise Malala qui vient de recevoir le prix Sakharov. Ces journées internationales ont un réel impact. Ce sont des moments particuliers qui permettent de mettre en haut de l'agenda des questions particulières et de voir comment elles progressent d'une année sur l'autre. Or, les fillettes souffrent de très nombreuses discriminations qu'il est urgent de combattre.
Carte mondiale sur la parité en primaire et secondaire, extraite de l'Atlas mondial de l'égalité des genres dans l'éducation (publication Unesco)
Education des filles, les chiffres clés
- En 2011, les filles représentaient environ 54 % des enfants d’âge scolaire primaire qui n’étaient pas scolarisés, contre 58 % en 2000. Au total, sur les 57 millions d’enfants, en âge d’être scolarisés en primaire qui ne vont pas à l’école dans le monde, 31 millions sont des filles.
- C’est au niveau primaire que la parité entre les sexes est la plus proche d’être concrétisée ; cependant, seulement 2 pays sur 130 ont atteint cette cible à tous les niveaux de l’enseignement.
- On estime à 17 millions le nombre de filles qui ne seront jamais scolarisées.
- En 2011, 69 millions d’adolescents en âge de fréquenter le premier cycle du secondaire n’étaient pas scolarisés. Sur ce total, 34 millions étaient des filles.
- En Afrique subsaharienne, on estime que 1,8 million de vies d’enfants auraient pu être sauvées en 2008 si leurs mères avaient eu au minimum une éducation secondaire, ce qui aurait représenté une baisse de la mortalité de l’enfant de 41 % pour la région.
- Une année d’enseignement primaire supplémentaire fait augmenter le futur salaire potentiel des filles de 10 à 20 %, une année d’enseignement secondaire supplémentaire de 15 à 25 %.
- Une fille éduquée est plus autonome, car elle a des chances d’obtenir un emploi et d’obtenir un salaire plus élevé, en conséquence l’économie de son pays a des chances d’en tirer profit : un point de pourcentage supplémentaire en termes de taux de scolarisation des filles se traduit en moyenne par une augmentation de 0,3 de point de pourcentage du PNB.