Fil d'Ariane
En France, 14 ans après sa légalisation, la contraception définitive reste une méthode méconnue malgré les récentes évolutions médicales. Pour les femmes qui souhaitent y recourir, elles affrontent un parcours de combattante, particulièrement lorsqu’elles sont jeunes.
« Imaginez si l’un de vos enfants décède. » « Et si vous rencontrez un nouvel homme ? » « D’ailleurs, est-ce que votre mari est au courant ? » Il y a plusieurs mois, Sophie - dont le prénom a été modifié- a décidé de recourir à la contraception définitive. À 34 ans, voici le genre de réactions auxquelles cette mère de famille a dû faire face de la part des divers praticiens qui l’ont, un à un, éconduite.
Lorsque Sophie nous ouvre les portes de son appartement, en Seine-Saint-Denis (près de Paris), elle vient d’accoucher de son troisième enfant. Cette titulaire de l’assistance publique entame un nouveau congé maternité. En cette matinée grisâtre d’avril, le carrelage du salon est jonché de jouets en plastique avec lesquels les aînés s’amusent. C’est la période des vacances scolaires. Sophie s’installe dans un fauteuil pour allaiter son bébé. « Mère au foyer, c’était pas mon but », ironise-t-elle. Dans son couple, le mari, bénéficiant d’un salaire légèrement supérieur, poursuit ses activités professionnelles.
Il y a 4 mois, après son accouchement, Sophie évoque son désir de ne plus tomber enceinte au personnel hospitalier. « J’en ai trois et je suis passée à autre chose », résume cette trentenaire, alors qu’elle change de sein. Au fil des années, Sophie est devenue intolérante aux contraceptifs modernes, qui lui déclenchent ses règles trois semaines d’affilée. Dans sa vie intime, elle emploie une « méthode traditionnelle » : le retrait. Paralysée par la peur d’une grossesse non désirée, sa libido est réduite à néant. Après son dernier accouchement, une sage-femme bien renseignée lui glisse alors le nom de la maternité des Lilas, près de Paris. Là-bas, les gynécologues accepteront de pratiquer la stérilisation sans sourciller face à son jeune âge.
En France, depuis la loi « Aubry » du 4 juillet 2001, ce type d’opération est accessible à toute personne majeure, saine d’esprit, qui n’a pas été placée sous tutelle et sans condition d'âge ou de nombre d'enfants. Après avoir été clairement informés des conséquences d’un tel acte, les patients doivent respecter un délai de réflexion de 4 mois.
30% de femmes stérilisées dans le monde
Dans le monde, plus de six femmes sur dix utilisent un moyen de contraception. Parmi elles, près de 30% se sont faites stériliser - de gré ou de force - ce qui en fait l’antifécondant le plus répandu (voir en encadré).
La stérilisation contraceptive est de loin la plus utilisée devant la pose d’un stérilet (22%), la prise de pilule (14,1%), le préservatif masculin (12,6) ou les méthodes traditionnelles (9,6%). Ces données concernent les femmes âgées entre 15 et 49 ans et en couple.
Source : World contraceptive patterns 2013, Division de la population, Nations Unies.
Derrière cette statistique, les contextes socio-économiques varient énormément. En Inde, la stérilisation est par exemple instrumentalisée pour contrôler les naissances.
> Lire notre article sur la stérilisation en Inde.
En Europe, 11,3% des Espagnoles et 22% des Britanniques y ont notamment recours en 2009. Outre-Atlantique, cela concerne 37% des Américaines, selon des statistiques nationales.
Dans l’Hexagone, 14 ans après l’entrée en vigueur de la loi Aubry, cette solution radicale reste méconnue. 3,9% des femmes et 0,3% des hommes y ont fait appel, soient 35.000 stérilisations féminines et 2000 masculines chaque année, selon une enquête de l'Inserm et de l'Ined. En revanche, une Française sur deux en âge de procréer prend la pilule.
Dans la foulée de cette légalisation, une technique ultra-légère de stérilisation a pourtant fait son entrée sur le marché. Il s’agit de la méthode Essure, ou « hystéroscopique ». Sophie l’avait découverte sur un forum Internet. Dans quelques semaines, ses trompes de Fallope se feront obstruer par la pose d’un petit ressort.
En moins de dix minutes et en ambulatoire, le passage de ses ovaires sera bouché, pour un coût moyen de 700 euros, pris en charge par la Sécurité sociale. Par le passé, elle n’aurait pas eu d’autre option que la « coelioscopie » - une ligature des trompes - ce qui nécessite une anesthésie générale, une ou deux journées d’hospitalisation et parfois un arrêt de travail.
« Les implants Essure ont révolutionné la question, offrant un risque médical proche de zéro », s’enthousiasme Marie-Laure Brival, cheffe de service à la clinique des Lilas, chargée d’opérer Sophie. « C’est l’équivalent de la pose d’un dispositif intra-utérin », reprend la gynécologue.
Depuis sa création en 1964, la maternité des Lilas est emblématique de la lutte pour les droits des femmes. Cet établissement privé est, entre-autre, précurseur de l’accouchement sans douleur, du droit à l’avortement dans de bonnes conditions, mais aussi, à une contraception définitive. De fait, c’est l’un des rares à appliquer la loi Aubry, sans l’alourdir de critères officieux. « Beaucoup de femmes ont du mal à trouver un médecin qui pratiquerait cette intervention par voie naturelle si elles n’ont pas plus de 40 ans, trois enfants – dont un garçon et une fille - et parfois même s’il n’y a pas l’autorisation du compagnon », observe Marie-Laure Brival.
Patrice Lopes, professeur et gynécologue obstétricien au CHU de Nantes, préfère parler de « clause de conscience ». C’est lui qui, en 2002, a collaboré avec une équipe de chercheurs californiens pour importer la technique Essure en France. Depuis, il a formé de nombreux collègues et près de 1500 interventions ont été pratiquées au CHU. « Il se fait désormais plus de méthode Essure que de coelioscopie », informe le praticien.
Le profil type de ses patientes ? « C’est une femme âgée entre 35 et 45 ans, qui a généralement deux-trois enfants, qui a souvent mal toléré le stérilet et ne veut plus prendre d’hormones car elle a tourné la page de la maternité. » Lorsque les patientes sont plus jeunes, ce dernier préfère les réorienter vers d’autres contraceptifs. S’il admet qu’il puisse parfois exister « un abus de pouvoir du médecin », Patrice Lopes nuance : « plus le système a été posé sur une femme jeune, plus il y a un risque d’avoir un regret. »
Ça choque la société entière, médecin compris.
Docteur Marie-Laure Brival
« Ce n’est pas seulement une clause de conscience, c’est une idée même qu’on se fait de la place des femmes, renchérit Marie-Laure Brival des Lilas. Ça choque la société entière, médecin compris, qu’une femme décide de ne plus avoir d’enfants et d’interrompre par elle-même cette fertilité qui lui est propre. »
« Jusqu’à ma rencontre avec le docteur Brival, il y avait cette impression, face aux gynécos, d’habiter encore chez mes parents, d’être une ado à qui il faut expliquer ce qui est bien pour elle, se rappelle Sophie, un rictus de colère dessiné autour des lèvres. Le gynéco c’est aussi la personne avec qui on va le plus parler en tant que femme et là où on est parfois la moins comprise. »
Ce ressenti est d’autant plus prégnant lorsque la patiente fait le choix de ne pas avoir d’enfant. C’est le cas de Marie 25 ans - dont le prénom a été modifié - rencontrée autour d’une tasse de thé sur le port d'une grande ville de l'ouest de la France. Cette jeune femme aux cheveux coupés courts s’est lancée dans un projet de ferme biologique, à quelques kilomètres d’ici. « Porter un enfant dans le ventre, j’aurais l’impression d’être malade, privée de mon corps, glisse d’une voix posée cette agricultrice. L’accouchement non plus ne me dit rien du tout. »
À son âge, près de six femmes sur dix se contentent de la pilule. Problème : Marie ne la supporte pas et « n’a pas envie de cautionner l’industrie pharmaceutique. » Même souci avec le stérilet en cuivre qui lui procure « des règles extrêmement abondantes et douloureuses », assorties d’une infection urinaire. Il y a deux ans, elle tombe enceinte et finit par avorter. Un ami qui vient de se faire vasectomiser lui parle de l’hystéroscopie. « Il ne faut pas se fermer une porte dans la vie », lui réplique le médecin chargé de son avortement.
Comme Marie, 4,3% des femmes et 6,3% des hommes déclarent ne pas vouloir d’enfant, selon une étude de l'Ined. Dès 1949, avec Le deuxième sexe, Simone de Beauvoir jetait un pavé dans la mare : « Que l’enfant soit la fin suprême de la femme, c’est là une affirmation qui a tout juste la valeur d’un slogan publicitaire. » Près de 70 ans après la sortie de cet essai, l’infécondité volontaire reste un choix souvent incompris, voire stigmatisant.
Aux États-Unis, depuis les années 70 et donc dans le sillage de la révolution sexuelle, le mouvement « childfree » (« sans enfants ») œuvre à faire (re)connaître l’infécondité volontaire. En France, Édith Vallée, psychologue et auteure de Pas d’enfant pour Athéna (MJW Fédition, 2014) porte ce flambeau à contre-courant de la norme. « Même s’il est de bon aloi d’être tolérant face aux personnes qui font le choix de la non-maternité, il reste cette idée qu’elles ratent leur vie », analyse-t-elle. Pour autant, Édith Vallée se montre réservée face à la contraception définitive chez les jeunes: « J’ai suffisamment d’expérience pour savoir qu’on peut changer d’avis, qu’une femme qui fait ce choix peut aussi faire d’autres rencontres et que, comme on dit, l’horloge biologique n’a pas sonné. »
« J’ai l’impression de me connaître assez bien pour me dire que s’il y a un regret, je le dépasserai », rétorque Marie, à qui il restera, de toute façon, la possibilité d’une fécondation in vitro.
Là n’est pas l’enjeu pour l’agricultrice, soulagée à l’idée d’avoir rendez-vous avec le docteur Brival, dans quelques mois, pour se faire opérer : « Si un homme ne veut pas d’enfant, on dit que c’est un choix. Si c’est une femme, on lui répète qu’elle changera d’avis. »
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