Fil d'Ariane
"Le cinéma filme la mort au travail". Jamais sans doute la phrase de Jean Cocteau, écrivain, poète, peintre et cinéaste français de l'entre-deux-guerres, n'aura trouvé plus bel exemple avec Laura Antonelli. Sa plastique parfaite reste désormais prisonnière de cette pellicule cinématographique qui enflamma la gente masculine dans les années 1970. Mais pas seulement.
La journaliste et écrivaine Simonetta Greggio écrit, lyrique : " Laura Antonelli a des yeux couleurs de pluie tout juste tombée, des prunelles insondables, un lac obscur. Elle a la bouche des madones de Piero della Francesca, une petite cicatrice de varicelle sur la joue, une croupe d'amphore, une voix d'eau calme qui se fait rauque dans les basses. Ses seins sont lourds sur son buste menu, ses fesses, ornées d'une fossette sur les reins, irrésistibles" .
Les hommes qui rêvaient de lui rendre hommage empruntaient des raccourcis moins poétiques : Laura Antonelli était "tigresse", "sexy", "bandante", "sulfureuse"etc.
Mais la star devenue n'aura jamais oublié l'angoisse de ses premières années, quand elle était une petite fille dans un camp de réfugiés slaves. Elle confiera à Paris Match : "Nous ignorions chaque jour où nous irions dormir le lendemain. Je voyais ma mère pleurer en silence et rien ne pouvait me tranquilliser."
C'est que Laura Antonelli, Laura Antonaz de son vrai nom, était née le 28 novembre 1941 à Pula, en Croatie, qui faisait alors partie de l'Italie. De cette enfance inquiète de petite réfugiée, l'actrice parlera peu. Du reste, les journalistes ne lui posent que rarement des questions à ce sujet, préférant s'intéresser à ses courbes généreuses dont elle sait jouer, il est vrai, avec un sens aigu de l'affolement.
Elle commence une carrière d'institutrice, participe à une publicité pour Coca-Cola et prête sa silhouette à quelques romans photos. L'immédiate après-guerre en est friande de ces histoires en noir et blanc qui macèrent dans l'eau de rose et les bons sentiments. Sa beauté la distingue des autres postulantes au vedettariat.
Elle fait ses débuts à la télévision dans la série Carosello et triomphe dans "Malizia" un film de de Salvatore Samperi. Laura est la domestique qui perturbe une famille de trois mâles en rut récemment endeuillés. Elle finira par céder aux avances d'un adolescent lors d'une nuit particulièrement orageuse. Pour ce rôle, l'actrice décroche le "nastro d'argento" (ruban d'argent) décerné par les journalistes du cinéma italien.
Le film explose les recettes au box office italien. La mode des films érotiques est lancée. Laura Antonelli est élevée au "rang" de sex-symbol, à l'instar de Sylvia Kristel, en France , qui triomphe à même époque dans "Emmanuelle".
Cruauté du sort, ce fut le remake de ce film, "Malicia 2000", qui précipitera sa chute en 1991.
Entre ces deux dates, 1973 et 1991, l'actrice tourne dans des "nanars", fims de troisième zone, aux titres évocateurs : "Divine créature", "Le sexe fou" "Péché véniel" etc.
Et bientôt, on retrouve son nom plus souvent à la rubrique des faits divers qu'à la page des spectacles. Sa liaison avec l'acteur star Jean-Paul Belmondo, rencontré sur le tournage de Docteur Popaul de Claude Chabrol, fait couler beaucoup d'encre. Parce que le comédien français la préfère à Ursula Andress, avec qui il sortait alors, mais aussi parce que Belmondo assigne Ciné Revue, qui a dévoilé la liaison, en justice. Il réclame 100 000 francs à l'hebdomadaire. Il en obtiendra 6 000. Surtout, cette affaire fait jurisprudence. Le tribunal parisien estime qu'une vedette peut accepter ou refuser la divulgation d'informations privées le concernant. Un tournant dans les rapports presse people/stars.
Au cours des années 1980, après des amours-éclairs avec, dans l'ordre, un commerçant, un gynécologue et un décorateur, elle s'éprend d'un producteur napolitain, Ciro Ippolito. La carrière de l'actrice suit alors une courbe descendante.
En avril 1991, c'est le coup de grâce. Lors d'une perquisition dans sa villa de Cerveteri, non loin de Rome, les policiers trouvent plus de 30 g de cocaïne. Au tribunal, elle accuse son ancien compagnon : "C'était toujours lui qui m'apportait la cocaïne. Il me tenait ainsi ! " clame-t-elle. Elle est condamnée à trois ans et demi de prison pour trafic de drogue. Laura Antonelli obtient finalement la relaxe en 2000.
Au cours de cette période, les journalistes fondent sur elle. Non pour cette affaire de stupéfiant, un tantinet sordide, mais pour une autre, bien plus cruelle.
Voulant revenir au cinéma par la grande porte, Laura Antonelli, a accepté de reprendre son rôle de servante initiatrice dans un remake du fameux Malicia . Ce sera "Malicia 2000". Pour gommer ses rides, elle a accepté des infiltrations qui ont provoqué une réaction allergique et l'ont défiguré. Elle attaque le producteur et le chirurgien. Sans succès. Comble d'infortune, le film jugé "pathétique et embarrassant", est un échec cuisant.
Le visage de l'actrice, ravagé, est une boursouflure. La voici défigurée et contrainte d'abandonner le cinéma. Elle inspirait le désir. Désormais, lorsqu'elle paraît, c'est l'effroi qu'elle suscite .
Seule et ruinée, prisonnière du fantôme de sa beauté, elle s'installe dans un modeste immeuble au 90, via Napoli, à Ladispoli, à une quarantaine de kilomètres de Rome. Elle se réfugie dans la prière, n'acceptant que de très rares visites. En mars 2012, elle donne cependant une interview à un modeste hebdomadaire local. L'actrice revient sur ses années fastes : "Je n'étais pas heureuse, déclare-t-elle. Cela peut sembler paradoxal, mais un jour tu te regardes dans le miroir, tu vois que tu es belle, riche et célèbre, mais tu te rends compte qu'il y a un vide à l'intérieur. C'est comme cela qu'arrivent les erreurs. tu tombes dans le précipice, et ce n'est que grâce à la foi que j'ai surmonté toutes les adversités. Mon amour pour Dieu m'a aidée, je répète à tout le monde que je ne suis pas folle"
Il y a quelques années, son ami l'acteur Lino Banfi, effaré, la découvre dans un tel état de dénuement qu'il décide d'évoquer la chose publiquement via un article de presse. Grosse émotion publique. Les autorités réagissent. Laura Antonelli reçoit peu après une indemnité mensuelle "pour les indigents du monde de l'art et du spectacle". Quand elle apprend la nouvelle, Laura Antonelli réagit à son tour par l'intermédiaire de son avocat : "Je remercie tous ceux qui se sont occupés de moi. Cela me plairait de vivre d'une façon plus digne et plus sereine, même si la vie terrestre ne m'intéresse plus. Je voudrais seulement qu'on m'oublie."
Sa femme de ménage l'a retrouvé morte dans la salle à manger lundi matin. Un infarctus, selon les autorités. La star est rentrée à jamais dans l'écran noir de sa vie.