La violence sexuelle : une arme de guerre, pas un dommage collatéral

En ce 25 novembre, Journée internationale contre les violences faites au femmes, un panel d'experts se réunissait à Paris sous la houlette du ministère des Affaires étrangères. A l'occasion de cette seconde édition du séminaire international sur les violences faites aux femmes, les débats se concentraient sur les "violences sexuelles comme arme de guerre". Pour témoigner, une juriste internationale, une ancienne ministre centrafricaine victime de viol et un historien spécialiste de la shoah par balles pendant la Seconde Guerre mondiale.
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La violence sexuelle : une arme de guerre, pas un dommage collatéral
Manifestantes à Bukavu, au Sud-Kivu, pour dénoncer le viol (@AFP)
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En remontant l’histoire, en démontant les rouages psychologiques de la violence sexuelle et ses implications sociales, les experts abordent les différents aspects de la violence sexuelle comme arme de guerre.


Les violences sexuelles : une arme de guerre antédiluvienne


Régulièrement sous les feux de l’actualité pour exiger la reconnaissance de leur calvaire, les femmes de réconfort coréennes nous rappellent que, de tout temps, les violences sexuelles ont été une arme de guerre. L'historien Patrice Bensimon, directeur du Centre de recherche sur la shoah par balles pendant la Seconde Guerre mondiale, était à Paris ce 25 novembre pour témoigner de la substance même de ses travaux : "En Ukraine, loin de Berlin, dans une zone d'où les juifs avaient déjà été déportés, de (très) jeunes filles étaient couramment violées sous leur propre toit. D'autres étaient réduites à l'esclavage sexuel à la Kommandantur. Et quand les Russes se sont approchés, vers la fin de la guerre, elles ont été fusillées dans une fosse." Pourquoi ce pan de l'histoire reste-t-il méconnu ? En matière de crime sexuel, le problème est toujours le même : l'impunité (en l'absence de hiérarchie dans les régions reculées), la difficulté de la preuve et les réticences des témoins et des victimes – terrorisés, traumatisés - à parler, du moins à parler tout de suite.

La violence sexuelle : une arme de guerre, pas un dommage collatéral
Bernadette Sayo
Perdre sa dignité et ne jamais la retrouver
 
Ancienne ministre de la Famille, des Affaires sociales et de la Solidarité nationale en République centrafricaine, Bernadette Sayo a été violée devant ses enfants en 2002 pendant le conflit lié au coup d’Etat de François Bozizé. En cette Journée internationale contre les violences faites aux femmes, elle est venue et témoigne : "J’ai perdu ma dignité et je ne la retrouverai jamais. Mais la vie, elle, continue. Pour une femme violée, le plus important reste de pouvoir continuer à envoyer ses enfants à l’école, payer son loyer, faire à manger… Malgré la honte et, parfois, les agressions. Pour ces choses concrètes, les victimes de viols ont besoin d’aide." Mais pour réparer, conclut-elle, il n’y a que la justice. Pas tant pour la punition que pour la reconnaissance du crime, reprend Céline Bardet, juriste internationale et spécialiste des crimes de guerre et des violences sexuelles : "Je n’oublierai jamais cette femme, seule rescapée d’une vague de viols dans un village de Bosnie, qui redoutait tellement de témoigner devant le TPIY. Quand le verdict est tombé - cinq ans d’emprisonnement pour les violeurs - j’ai cru qu’elle serait encore plus terrorisée de savoir que les coupables seraient libérés dans quelques années. Mais la seule chose qu’elle m’a dite, c’est : le juge m’a crue."
 
 
En s’attaquant aux femmes, on s’attaque à tout un groupe
 
Le viol comme arme de guerre permet d’atteindre non seulement la victime, mais les hommes qui l’entourent, qui subissent l’immense "honte" de n’avoir pas su la défendre, explique Bernadette Sayo. Et puis l’on détruit aussi l’élément équilibrant pour l’homme que sont les sœurs, les mères, les épouses, dont l’attention et les paroles peuvent réparer des traumatismes de guerre. Les violeurs atteignent aussi la lignée, en plaçant la communauté devant le choix d’intégrer ou de rejeter les enfants du viol. Certaines sociétés intègrent même les violeurs, puisqu’ils sont aussi les pères des enfants de femmes issus de la communauté. Un choix socialement et ethniquement lourd de conséquences.

La violence sexuelle : une arme de guerre, pas un dommage collatéral
Cécile Bardet
Des estimations bien inférieures à la réalité

Selon les organisations internationales, au moins 20 000 femmes, en majorité musulmanes, ont été violées pendant la guerre en Bosnie. Et pourtant, seuls 33 auteurs de ces crimes ont à ce jour été condamnés par la justice bosnienne et 30 autres par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). "Quand j'entends ces chiffres, j'ai envie de pleurer s'exclame Céline Bardet, juriste internationale et spécialiste des crimes de guerre et des violences sexuelles, d'une voix étranglée. Parce que la réalité est tellement, tellement plus élevée !" Aujourd'hui, en Syrie et en Lybie, par exemple, la situation est catastrophique. D’autant plus que la violence étant l’expression du rapport de domination que certains hommes veulent entretenir sur les femmes, elles sont décuplées quand le dominateur devient lui-même dominé – comme ce qui se produit lors de conflits armés – explique la psychiatre Marie-France Hirigoyen.

Chacun dans leur langage, avec leur expérience et leur personnalité, tous les spécialistes présents à ce séminaire sur les violences sexuelles comme armes de guerre dans les conflits l’affirment à l’unisson : le viol ne peut plus être considéré comme un dommage collatéral malheureux des affrontements. Les violences sexuelles doivent être traitées et jugées comme des crimes de guerre.