Fil d'Ariane
Mi-juin 2021, un double infanticide bouleversait l'Espagne et mettait en lumière le terme "violence vicariante", employé par le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez lui-même alors qu'il commentait la tragédie : "La violence vicariante est une violence machiste doublement sauvage et inhumaine, puisqu'elle cherche à causer de la douleur non seulement à la femme, mais aussi à ses enfants". C'est ainsi que, le 11 juin 2021, le dirigeant rendait hommage à Olivia, six ans, et sa sœur Anna, un an, toutes deux tuées selon les premiers éléments de l'enquête par leur père, Tomas, pour infliger une "douleur inhumaine" à leur mère, Beatriz, après leur séparation.
Pedro Sanchez regrettait aussi que "certains dans le pays continuent de nier" l'existence de la violence vicariante, alors que son gouvernement de coalition, entre socialistes et gauche radicale, ainsi que les acteurs associatifs et les militantes féministes, cherchent à imposer l'expression dans le discours général. Cette violence "par substitution", comme la désigne Victoria Rosell, à la tête de la délégation du gouvernement espagnol contre la violence machiste, vise à atteindre "la femme là où ça lui fera le plus mal".
"Il n’y a pas de mots pour accompagner Beatriz dans ce moment de douleur terrible. Cette violence exercée contre les mères pour frapper là où cela fait le plus mal est une question d’État", disait de son côté la ministre de l’Egalité espagnole, Irene Montero, membre du parti de gauche radicale Podemos. Dans le cas d'Olivia, retrouvée à 1000 mètres de profondeur dans un sac, lestée par l’ancre de l’embarcation de son père, et d'Anna, toujours recherchée, il s'agissait bien d'infliger à la mère "la douleur la plus grande en espérant que ne soient jamais retrouvés leurs corps", analyse Angeles Carmona, présidente de l'Observatoire espagnol contre la violence domestique et de genre. Au bout de trois semaines sans nouvelles de ses filles, avant même que le corps de son aînée soit retrouvé, la mère d'Anna et Olivia ne déclarait-elle pas à la presse : "Je veux aussi disparaître... Je n'ai plus la force".
"Pour Beatriz, c’est inimaginable, c’est ce à quoi nous nous attendions le moins. Nous avions tous espoir de retrouver les filles et que Tomas s’en occupait", confiait le porte-parole de la famille, Joaquin Amills, à la télévision publique espagnole lors de la découverte du corps d'Olivia. La mère des deux petites filles, elle, écrit dans une lettre publiée par plusieurs médias espagnols qu'elle espère que leur mort "n'aura pas été vaine... Grâce à elles, on sait ce que veut dire la violence vicariante".
La découverte du corps d'Olivia, 6 ans, sous l'eau et dans un sac et lesté a laissé l'Espagne sous le choc. La mère des fillettes parle alors de «violence vicariante» pour définir les agissements du père... https://t.co/9zIaR7tnCI pic.twitter.com/ggTcdgnmUb
— Le Figaro (@Le_Figaro) June 17, 2021
En Espagne, 39 mineurs ont été assassinés par leurs pères ou par les compagnons ou ex-compagnons de leur mère depuis 2013, selon les chiffres du gouvernement. Anna et Olivia ne sont pas encore recensées parmi ces données officielles.
C'est la psychologue espagnole Sonia Vaccaro qui a inauguré le terme violencia vicaria ("violence vicariante"), la définissant comme un type de "violence qui s'exerce sur les enfants pour blesser la femme (…) En assassinant les fils/filles, l'agresseur s'assure que la femme ne s'en remettra jamais." Ce terme a par la suite été intégré au Pacte d'État contre la violence de genre signé en Espagne en 2017.
Quand il n'y a pas de nom pour désigner une situation, ça atténue sa portée et on ne met pas en place les outils pour l'éradiquer.
Carmen Ruiz Repullo, sociologue spécialisée dans la violence de genre
"La violence vicariante, c'est la violence qui s'exerce sur les enfants des femmes victimes quand l'agresseur n'a plus de prise sur la vie de la victime. Il a compris qu'il pouvait continuer à lui faire du mal à travers ses enfants", explique Carmen Ruiz Repullo, sociologue spécialisée dans la violence de genre. "En lui donnant un nom, on commence à identifier les cas. Quand il n'y a pas de nom pour désigner une situation, bien souvent, ça atténue sa portée et on ne met pas en place les outils pour l'éradiquer", ajoute-t-elle.
En France, jusqu'à présent, le terme de "violence vicariante" n'existait pas. Le traumatisme vicariant, lui, est utilisé dans le cas d'un trauma qui frappe les personnels de soin, d'aide, d'écoute, d'intervention ou de témoignage (travailleurs sociaux, humanitaires, journalistes, premiers répondants...) qui, à longueur de journée, sont confrontés à la souffrance des autres et ont développé une empathie envers ces derniers. La confrontation avec l’expérience traumatisante des victimes peut avoir des effets cumulatifs et se manifester par une dépression.
Dans les statistiques du ministère de l'intérieur français, la violence de genre par procuration, qui se porte sur les enfants pour infliger à la mère un préjudice psychique extrême, se retrouve sous l'appellation "infanticides dans le cadre d'un conflit de couple sans qu'aucun membre du couple ne soit victime". En 2019, en France 25 mineurs sont décédés dans la sphère familiale, dont trois morts au même moment que l'homicide de la mère et 22 tués dans le cadre d'un conflit conjugal sans qu'aucun membre du couple ne soit victime, précisent nos confrères du Figaro.
Dans des cas exceptionnels, selon les associations, de tels meurtres peuvent aussi être commis par la mère. En Allemagne, une femme soupçonnée d'avoir tué cinq de ses enfants âgés de 1 à 8 ans est ainsi jugée depuis mi-juin. Selon l'accusation, les faits s'étaient produits quand l'accusée avait appris que son mari dont elle était séparée avait trouvé une nouvelle partenaire.
Au-delà de la violence vicariante, il ne faut pas oublier que les enfants sont toujours victimes, d'une façon ou d'une autre, des violences conjugales ; d'autres sont aussi en butte aux violences directes de leurs parents. Autant de traumatismes qui requièrent une prise en charge sérieuse et l'éradication des violences à la racine.
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