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Accusé par plus de 20 femmes de violences sexuelles, l'Abbé Pierre, mort en 2007, fut pendant un demi-siècle le défenseur des sans-abri et des exclus. La fondation qu'il a créée a annoncé sa décision de changer de nom. Le lieu de mémoire qui lui est dédié va être définitivement fermé.
Henri Grouès, plus connu sous le nom de l'Abbé Pierre, ici en 1955, fonda la communauté Emmaüs en 1949, décédé en 2007, il est aujourd"hui accusé par une vingtaine de femmes d'agressions sexuelles.
Baisers imposés, fellations forcées, propos à caractère sexuel : sept semaines après l'onde de choc provoquée par de premières révélations, l'Abbé Pierre est visé par une nouvelle salve d'accusations de violences sexuelles.
En juillet 2024, une première enquête commandée par Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre avait jeté l'ombre sur la réputation du "curé des pauvres", de son vrai nom Henri Grouès, décédé à l'âge de 94 ans en 2007.
(Re)lire #metoo dans l'Eglise : l'abbé Pierre accusé d'agressions sexuelles
Deux mois plus tard, voici qu'un nouveau rapport accable davantage l'homme d'Eglise : au total, 24 femmes accusent le prêtre de violences sexuelles, des années 1950 aux années 2000. Parmi les 17 nouveaux témoignages, certains portent sur des faits pouvant s'apparenter à des viols ou concernent des mineures.
A la suite de ces nouveaux témoignages, la Fondation Abbé-Pierre a annoncé sa décision de changer de nom. Emmaüs a en outre fait savoir que le lieu de mémoire dédié au prêtre situé à Esteville (Seine-Maritime) serait définitivement fermé.
Parmi les témoignages, celui d'une femme ayant adressé une lettre à la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase), dans laquelle elle dit avoir "dû assister à des masturbations de l’Abbé Pierre et avoir été forcée à réaliser des fellations dans un appartement parisien" en 1989.
La famille d'une autre, décédée aujourd'hui, rapporte qu'elle avait été "forcée de masturber" l’Abbé Pierre à Rabat, au Maroc, en 1956.
Certaines parlaient pour la première fois de ce qui leur était arrivé et revivaient les faits en même temps qu'elles les racontaient. Caroline De Haas, directrice associée Egaé
Une autre femme témoigne avoir subi, en 1974 et 1975 en Ile-de-France, des "baisers forcés" et "des contacts" non sollicités alors qu'elle avait 8 à 9 ans. Selon un autre témoignage, l'Abbé Pierre aurait également imposé, en 1951, des contacts physiques non sollicités lorsqu'il était député à l'Assemblée nationale.
"Certaines parlaient pour la première fois de ce qui leur était arrivé et revivaient les faits en même temps qu'elles les racontaient", déclare à l'AFP Caroline De Haas, directrice associée d'Egaé.
S'ajoutant au rapport de l'enquête menée par Egaé, la cellule investigation de Radio France rend publics des documents montrant comment la hiérarchie de l’Église et d’Emmaüs ont tenté de couvrir les agissements de l’abbé, dès les années 50. Ils remontent à l'époque de la tournée de l'abbé aux États-Unis en mai 1955. Plusieurs femmes se sont plaintes de son comportement. Son séjour sera écourté.
L'article nous apprend que "fin 1957, l’Église et Emmaüs décident de mettre l’abbé au repos forcé, en l’envoyant dans une clinique psychiatrique en Suisse. L’abbé est alors interné, officiellement pour raison de santé".
Par ailleurs, dans une tribune publiée dans Le Monde en juillet 2024, les chercheurs qui ont travaillé pour la Ciase [la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église] ont découvert qu’”à partir de 1954-1955 des informations reviennent aux oreilles de l’épiscopat sur son comportement”.
"Après les premières révélations en juillet, on avait l'impression de quelqu'un qui était compulsif, qui ne se maitrisait pas, estime Isabelle De Gaulmin, ex-rédactrice en chef du magazine La Croix sur France 5. "Là, on voit la perversité, ce qui est complètement différent. C'est quelqu'un qui va utiliser des gens en souffrance, sans logement, il les aide et il va en profiter pour les abuser", ajoute la journaliste, productrice déléguée à France Culture. Et de souligner "le silence de l'Eglise", face à une "personnalité qui se sentait toute puissante", ajoute-t-elle.
"Le curé des pauvres"
Né en 1912, Henri Grouès avait choisi dès l'enfance son combat : la lutte contre la pauvreté. A 18 ans, il distribue à des œuvres charitables son patrimoine, hérité d'un père négociant et rejoint les Capucins, le plus pauvre des ordres mendiants.
Résistant actif sous l'Occupation, où il adopte son pseudonyme, il choisit la politique à la Libération et est élu député chrétien-démocrate (MRP) de Meurthe-et-Moselle, jusqu'à sa démission en 1951. Il consacre ses indemnités parlementaires au financement des premières cités d'urgence. En 1949, il décide de créer la communauté Emmaüs sur le principe de demander aux exclus de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins en récoltant les surplus des nantis, rompant ainsi avec la charité traditionnelle.
Hiver 1954 : une femme meurt de froid dans la rue. L'Abbé Pierre lance sur les ondes de Radio-Luxembourg un appel en faveur des sans-abri qui suscite un gigantesque élan de solidarité.
Emmaüs lutte aujourd'hui contre l'exclusion dans plus d'une quarantaine de pays.
Deux ans avant sa mort, l'Abbé Pierre avait évoqué des expériences sexuelles dans son livre Mon Dieu... pourquoi ?.
Consacrer sa vie à Dieu n'enlève rien à la force du désir et il m'est arrivé d'y céder de manière passagère. Abbé Pierre
"Consacrer sa vie à Dieu n'enlève rien à la force du désir et il m'est arrivé d'y céder de manière passagère", y confessait-il. "Mais je n'ai jamais eu de liaison régulière, car je n'ai pas laissé le désir sexuel prendre racine. Cela m'aurait conduit à vivre une relation durable avec une femme, ce qui était contraire à mon choix de vie."
Ce scandale vient à nouveau bouleverser l'Église catholique de France, trois ans après la publication du rapport Sauvé. Cette enquête a estimé le nombre de victimes d'agressions sexuelles à 330 000 dans l’Église catholique, dont 216 000 personnes abusées par des prêtres, diacres, religieux et religieuses, et le nombre d’agresseurs à 3000.
La Conférence des évêques de France (CEF), qui avait déjà dit sa "douleur" et sa "honte" après les premières révélations mettant en cause l'Abbé Pierre, a exprimé son "effroi" et promis de coopérer avec Emmaüs.
L'Abbé Pierre a porté une voix, un élan, qui ont entraîné des vagues de solidarité, l’importance de son action constitue un fait historique mais nous sommes désormais confrontés à la douleur insupportable qu’il a fait subir. Communiqué commun Fondation Abbé Pierre, Emmaüs
Dans un communiqué commun, la Fondation Abbé-Pierre, Emmaüs France et Emmaüs International réaffirment leur "soutien total aux victimes", saluent "leur courage" et assurent être "à leurs côtés". Une commission indépendante chargée "d’expliquer les dysfonctionnements qui ont permis à l’Abbé Pierre d’agir comme il l’a fait pendant plus de 50 ans" va être créée. L'Abbé Pierre "a porté une voix, un élan, qui ont entraîné des vagues de solidarité, l’importance de son action constitue un fait historique" mais "nous sommes désormais confrontés à la douleur insupportable qu’il a fait subir".
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