Fil d'Ariane
Le 24 janvier 2024, le texte inscrivant "la liberté garantie" d'accès à l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution a été adopté par les députés français. Mais la formulation de ce texte pourrait faire achopper le projet de réforme au Sénat, dont l'aval est indispensable pour retoucher la loi fondamentale.
La "liberté garantie" d'accès à l'IVG sera inscrite dans la Constitution, si le Parlement dit oui. Déception du côté des militantes qui souhaitaient inscrire le droit, comme le précise ce carton brandit lors de la manifestation à Paris, le 25 novembre 2023, contre les violences faites aux femmes.
17 janvier 1975, 17 janvier 2024.
La date ne peut que réjouir celles et ceux qui ont vécu la bataille pour le droit à l'avortement en France. "Je suis heureux pour toutes ces femmes d'annoncer que nous sommes parvenus à faire adopter" ce texte, a salué le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Sacha Houlié (du groupe Renaissance, ndlr), et ce quarante-neuf ans jour pour jour après la promulgation de la loi Veil sur la dépénalisation de l'interruption volontaire de grossesse.
La nuit du 24 janvier 2024, les député.e.s ont adopté le texte qui ira ensuite au Sénat, dominé par la droite et le centre.
Sur fond d'inquiétude sur les remises en cause de l'IVG dans le monde, et notamment aux États-Unis, le texte du gouvernement prévoit d'inscrire dans la Constitution que "la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours" à l'IVG.
Il tente de trouver un juste milieu entre l'Assemblée nationale, qui avait voté fin 2022 un texte de La France Insoumise pour garantir l'"accès au droit à l'IVG", et le Sénat, qui avait avalisé en février une version évoquant la "liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse". Il rajoute donc la notion de liberté "garantie".
"Est-ce que cette garantie est absolue ? On ouvre alors la possibilité d'une IVG jusqu'au terme" de la grossesse, affirme le président du groupe Les Républicains Olivier Marleix devant la presse parlementaire, soulignant toutefois que ses députés auront une liberté de vote dans l'hémicycle. Certains élus de son groupe ont aussi appelé à ajouter "le respect de la dignité de l'enfant à naître", dans la Constitution.
Ce projet de loi ne crée pas de droit opposable et ne remet pas en cause la liberté de conscience des médecins. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur groupe Renaissance
"Ce projet de loi ne crée pas de droit opposable" à l'IVG, pour le rapporteur Renaissance Guillaume Gouffier Valente. Il cite également l'avis du Conseil d'Etat qui estime que le texte "ne remet pas en cause la liberté de conscience" des médecins.
La députée du Rassemblement National Pascale Bordes estime que la liberté de recourir à l'IVG "n'est pas menacée en France". Elle l'est "à travers des attaques contre des associations telles que le Planning familial", a répondu le rapporteur.
Droite et extrême droite devraient toutefois se diviser dans l'hémicycle entre votes pour, contre et abstentions, comme ils l'avaient fait lors de la proposition de loi LFI. La gauche devrait largement soutenir le texte du gouvernement, même si des députés à gauche et au groupe Liot ont rappelé qu'ils auraient préféré la notion de "droit" à celle de "liberté". La cheffe du groupe insoumis Mathilde Panot a également appelé à garantir l'accès à l'IVG à toutes les personnes, notamment transgenres ou intersexuées. La formulation "ne nous convient pas, nous voulions inscrire un droit dans la Constitution, mais nous avons besoin de ce signal politique", a-t-elle répété lors d'un entretien sur France 3.
Rassemblement devant l'Assemblée nationale, à Paris, le 24 novembre 2022, tandis que les députés commencent à débattre de l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution.
L'examen pourrait être plus compliqué au Sénat. Les sénateurs de droite passeront-ils outre la précision de "liberté garantie" ?
L'IVG n'est pas menacée dans notre pays. S'il était menacé, croyez-moi, je me battrais pour qu'il soit maintenu. Gérard Larcher, président du Sénat (LR)
Pour le président du Sénat Gérard Larcher (LR), le débat ne porte pas sur un problème de vocabulaire. À la veille de l'examen du texte à l'Assemblée, il dit ouvertement son opposition à l'inscription de l'IVG dans la Constitution. "L'IVG n'est pas menacée dans notre pays. S'il était menacé, croyez-moi, je me battrais pour qu'il soit maintenu. Mais je pense que la Constitution n'est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux", argumente-t-il sur Franceinfo.
Le ministre de la Justice Eric Dupont-Moretti, lui, assure avoir entendu la crainte du président Gérard Larcher, et la partager. "Oui, la Constitution doit demeurer... le recueil de nos libertés fondamentales. La liberté de recourir à l'IVG y a toute sa place", poursuit-il. "L'Histoire regorge d'exemples de libertés et droits fondamentaux, conquis au prix du sang et des larmes... qui, dans la stupeur ou l'indifférence, ont été balayés", déclare-t-il, citant l'exemple américain.
Quant au président de la Fédération protestante de France, Christian Krieger il juge "inopportun" d'inscrire dans la Constitution l’interruption volontaire de grossesse, quand bien même les protestants n'expriment "aucune réserve" sur ce droit : "Inscrire ce droit dans la Constitution me semble inopportun" car "la Constitution n'a pas vocation à être le véhicule sanctuarisant des lois éthiques, qui plus est quand il s'agit de lois qui elles-mêmes prévoient l'objection de conscience", affirmait-il lors de ses voeux.
Je ne vois pas pourquoi cette formulation constituerait un argument pour changer son vote. Mélanie Vogel, sénatrice écologiste
"C'est une manière de réintroduire sous une autre forme l'idée de droit", tiquait mi-décembre le sénateur LR Philippe Bas. "Je ne vois pas pourquoi cette formulation constituerait un argument pour changer son vote", par rapport à la version adoptée au Sénat l'an dernier, estime au contraire la sénatrice écologiste Mélanie Vogel.
"Dans une réforme constitutionnelle, chaque chambre a en quelque sorte un veto sur l'autre", rappelle le rapporteur Guillaume Gouffier Valente, expliquant "respecter le travail des sénateurs... La rédaction proposée est à 90% issue de leur travail".
Le sanctuariser dans la Constitution en fera un droit fondamental qui doit obliger les responsables politiques à faire en sorte que les femmes puissent avoir recours a l'IVG sans contrainte. Sarah Durocher, présidente du Planning Familial
"Le sanctuariser dans la Constitution en fera un droit fondamental qui doit obliger les responsables politiques à faire en sorte que les femmes puissent avoir recours à l'IVG sans contrainte", tient à souligner Sarah Durocher, présidente du Planning Familial, qui déclare "2024, année pour l'IVG", avec au programmes de nombreuses mobilisations pour défendre ce droit.
Dans le camp des opposants à l'avortement, le discours reste radical et la mobilisation est à l'ordre du jour. "Quelle que soit la formulation retenue, inscrire l'avortement dans la Constitution menace gravement d'autres libertés", affirme l'association pro-vie Alliance Vita. "Ce projet nous semble tout à fait indécent, inutile et dangereux", estime le président de la Marche pour la vie, Nicolas Tardy-Joubert, qui appelle à mettre plutôt en place des "politiques de prévention".
Une marche "pro-vie" a rassemblé 15 000 participants selon les organisateurs, 6 000 selon la préfecture de police, le 21 janvier à Paris. Cette manifestation nationale est organisée chaque année à l'occasion de l'anniversaire de la loi Veil relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et promulguée le 17 janvier 1975.
Les organisateurs de la marche réclament une échographie obligatoire dès la sixième semaine de grossesse, permettant d'"entendre battre le cœur du fœtus", ou encore un délai de réflexion de trois jours avant toute IVG. Ils appellent également à "encourager l’accouchement sous X" et à défendre "le droit absolu à l’objection de conscience des personnels de santé et protéger la clause de conscience spécifique."
Plusieurs militantes du mouvement féministe Femen se sont invitées seins nus avant que le cortège ne s'ébranle, lançant à la foule par mégaphone "votre avis ne compte pas, l'IVG est un droit". Elles ont été exfiltrées.
Si la chambre haute venait à adopter la réforme dans les mêmes termes, un Congrès réunissant les parlementaires à Versailles serait convoqué le 5 mars 2024. Une adoption définitive nécessiterait les 3/5e des voix. Dans le cas contraire, le calendrier serait bouleversé, et le texte reprendrait la navette parlementaire.
Selon les derniers chiffres officiels, 234.300 IVG ont été enregistrées en France en 2022.
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