Fil d'Ariane
«Plusieurs mois après mon accouchement, je me suis mise à ressasser des idées noires. Je me disais que c’était ma faute si la naissance de ma fille s’était mal passée, que je ne savais pas accoucher. Et que par conséquent, je n’étais pas faite pour être mère.» Chantal, 37 ans, infirmière à Lausanne, a vécu la venue au monde de sa fille – aujourd’hui âgée d’un an et demi – comme une épreuve très douloureuse.
Son expérience est loin d’être isolée: des études ont montré qu’environ une femme sur trois juge son accouchement traumatisant. Près d’une sur dix souffrirait même de troubles de stress post-traumatique, avec des cauchemars et des flash-back, comme en connaissent les vétérans de retour de zones de combat. Aujourd’hui bien documentée, cette souffrance psychologique demeure pourtant mal prise en charge par le personnel soignant, et peu entendue par la société en général. Avec des conséquences autant pour la santé de la mère que celle du père et de l’enfant.
«Les pathologies fœtales, par exemple une prématurité ou un handicap, et les problèmes de santé maternels accroissent le risque d’accouchement traumatique, indique Manuella Epiney, gynécologue à la consultation d’obstétrique des Hôpitaux universitaires de Genève, qui s’exprimait lors d’un forum consacré aux accouchements traumatisants organisé récemment à Lausanne. Mais même quand tout va bien d’un point de vue médical, l’accouchement peut être mal vécu.»
Quand je suis arrivée au bloc, j’étais à bout de nerfs et j’ai paniqué. J’ai eu peur pour ma vie et celle de mon enfant, je crois que j’ai déliré
Chantal
C’est le cas pour Chantal, qui s’excuse presque de témoigner d’un accouchement «banal»: «J’avais le projet d’accoucher en maison de naissance. Mais après des dizaines d’heures de travail, et l’enfant qui ne venait toujours pas, on m’a transférée à la maternité. Cela m’a déjà demandé un gros effort d’adaptation. Finalement, une césarienne en urgence a été décidée car ma fille était mal positionnée. Mais quand je suis arrivée au bloc, j’étais à bout de nerfs et j’ai paniqué. J’ai eu peur pour ma vie et celle de mon enfant, je crois que j’ai déliré. J’ai pu voir ma fille quelques instants après sa naissance, puis on m’a endormie. C’est mon compagnon qui est resté avec elle pendant ses premières heures de vie.»
J’ai eu l’impression qu’on me faisait porter la responsabilité de tout ce qui m’arrivait. Je me suis sentie humiliée
Charlotte
De son côté, Charlotte, aujourd’hui âgée de 38 ans et mère d’un garçon de trois ans et demi, a cumulé les difficultés, avec de nombreux problèmes de santé durant la grossesse et un risque de prématurité de son enfant qui l’ont clouée au lit pendant des semaines. Elle aussi a dû subir une césarienne en urgence, dont elle garde un souvenir très amer. «Pendant l’intervention, j’ai entendu le médecin dire qu’il était pressé, car il avait un autre rendez-vous. Et après la naissance, lorsque l’effet de l’anesthésie s’est dissipé, j’ai eu très mal au ventre. On me répétait que c’était normal. Sauf qu’en fait, ma vessie avait été perforée! J’ai dû me faire réopérer.»
Quelques heures après l’intervention, Charlotte est transférée dans un autre hôpital pour des examens complémentaires, car on lui a découvert une pathologie cardiaque – heureusement sans gravité. Elle est alors séparée de son fils, et ne peut pas l’allaiter comme elle le souhaitait. Elle a une forte rancune envers les professionnels qui se sont occupés d’elle: «J’ai subi une erreur médicale mais je n’ai pas reçu d’excuse. J’ai eu l’impression qu’on me faisait porter la responsabilité de tout ce qui m’arrivait. Je me suis sentie humiliée.»
Plusieurs années se sont écoulées depuis et Charlotte va mieux, mais elle a des difficultés relationnelles avec son fils. «Il ne supporte pas d’être séparé de moi, il peut devenir très violent. Il a lui aussi souffert des conséquences de mon accouchement.» Les spécialistes estiment en effet qu’un accouchement traumatisant peut avoir un impact négatif sur l’allaitement et plus globalement sur la relation entre la mère et l’enfant. Ce type d’événement peut aussi bousculer le couple. Enfin, les accouchements éprouvants seraient à l’origine d’une partie des demandes de césariennes planifiées lors des grossesses suivantes.
Une meilleure prise en charge médicale post-partum pourrait certainement venir en aide aux mères en difficultés. Mais pour Charlotte et Chantal, c’est surtout le regard de la société sur la maternité – forcément rayonnante – qui doit changer. «Les gens ne comprennent pas qu’on puisse être mère et souffrir. On me disait, ton enfant est en bonne santé, de quoi tu te plains? Je me suis éloignée de nombreux amis à la suite de cette expérience», relate Charlotte.
Quant à Chantal, elle explique que c’est la reconnaissance d’autres femmes qui l’a le plus aidée: «J’ai participé à un groupe de discussions avec des mamans, dont certaines ont mis au monde des enfants avec de gros problèmes de santé. Bien que leur situation soit pire que la mienne, elles ne m’ont pas jugée. C’était comme si on m’accordait enfin le droit d’avoir souffert lors de mon accouchement. Cela m’a énormément soulagée.» Faire reconnaître les difficultés liées à l’accouchement et à la maternité: un authentique enjeu de santé publique!
Baby blues: 80% des femmes
Dépression postnatale: 13%
Stress post-traumatique: 6 à 10%
Un site français qui recense conseils et témoignages liés aux expériences maternelles difficiles
> www.maman-blues.fr
Agenda : L’exposition «ReNaissance», consacrée aux événements traumatisants liée à la naissance, sera visible au forum de l’Hôtel de Ville de Lausanne en 2017. La date reste à préciser. Cet événement est organisé dans le cadre des 100 ans de la Maternité de Lausanne. Divers forums publics sont également prévus à cette occasion. Programme sur : http://www.chuv.ch/culture
Article original publié par notre partenaire Le Temps, à retrouver > ici