Fil d'Ariane
Lala &ce, prononcez "ace" comme les services gagnants au tennis. C'est un clip, vu plus de 500 000 fois sur Youtube qui l'a fait connaitre. Il raconte une histoire d'amour entre deux femmes noires. Plutôt rare sur la scène du rap français. Son nouvel album Solstice sort ce vendredi 2 février.
Son icône : Serena Williams. C'est d'ailleurs d'elle, et de ses "aces" percutants qu'elle a tiré son nom de scène. Quand à Lala, elle le doit à son prénom ivoirien Laore. Mélanie Crenshaw, née à Lyon, le 2 novembre 1994, d'une mère ivoirienne et d'un père français, a grandi bercée par cette double culture. "Ma mère écoutait de la musique ivoirienne, à fond, j'aimais ces chants de femmes, forts et lancinants. Mon père, lui, c'était Francis Cabrel ou Georges Brassens", nous confie-t-elle lors de notre rencontre à La Gravière, lieu de nuit à Genève, où elle est venue donner un concert dans le cadre du festival féministe Les Créatives, le samedi 16 novembre 2019.
Les premiers morceaux de rap, elle les doit à ses trois grands frères qui écoutent en boucle les rappeurs américains du moment, comme Biggie, Tupac et Lil Wayne. "J'ai toujours su que je ferai de la musique avant même d'en faire", dit-elle dans un sourire. Sa plus grande décision ? Celle de renoncer à la finance, un milieu auquel elle se destinait après ses études.
Le déclic se résume à une rencontre, avec son ami rappeur Jorrdee, également originaire de Lyon, avec lequel elle imagine ses premiers morceaux. En 2017, la jeune femme devient la première membre féminine du collectif de rappeurs franco-sénégalais "667". Et c'est un titre, Bright, qui la fait briller pour la première fois en pleine lumière.
La panoplie est complète et relève de la caricature : grosse chaîne en or, horde de filles à peine habillées de dentelles, Lala &ce se réapproprie les codes vus et revus des rappeurs américains. Avec sa silhouette androgyne, elle est parfaite en baronne de la drogue, sauf que sa came à elle c'est le "love", l'amour, dealant à volonté des pochons de pétales de roses. Une manière pour elle de déconstruire les stéréotypes et de s’affranchir du carcan hyper-sexualisé dans lequel l’industrie du hip-hop a longtemps emprisonné les rappeuses, en particulier les femmes noires.
Depuis, Lala se la joue en solo. En juin 2019, elle sort Wet. Sur un "flow" (accord du son et des paroles, ndlr) langoureux et planant, sur fond de ciel azuré californien, dans un décor fait de palmiers, au volant d'une cadillac rose, elle met en scène une relation rarement montrée par le rap français (sauf dans une vision porno mainstream), une liaison amoureuse entre deux femmes, noires qui plus est.
"Je suis assez timide et réservée. Dans mes chansons j'essaye de raconter mes ressentis, ce que je n'ose pas dire. Je ne me sens pas déterminée par mon genre, et j'ai plutôt fait des trucs que ne devaient pas faire une fille. Etre une fille, je ne me suis jamais dit que ça allait m'empêcher de faire ce que je voulais. Quand j'étais petite je voulais faire du foot et on m'a dit non parce que j'étais une fille, ça ne m'a pas arrêtée. Un peu comme le rap. Mais cela a été compliqué au début avec ma famille", se souvient-t-elle.
Lala reconnait qu'il n'y a pas beaucoup de filles dans le monde du rap, même si à elle cela ne lui a pas vraiment posé de problème. Le rap est un reflet de la société, nous dit-elle, "il est sexiste de la même façon !".
Petite fille, elle se demandait parfois si elle n'aurait pas préféré être un garçon. "Par rapport à ma sexualité, je ne savais pas trop ce qu'il se passait, il faut dire qu'on ne m'a pas trop expliqué non plus. Je me suis bien rendu compte que je tombais amoureuse d'autres filles mais cela s'est fait petit à petit". Aujourd'hui, elle vit "magnifiquement bien" son homosexualité. Pour elle, il s'agit juste d'une préférence qui ne la détermine pas plus que ça.
Considérée comme la meilleure rappeuse de la scène francophone, Lala &ce vit à Londres depuis l'époque où elle était censée faire carrière dans la finance. Des rêves ? Elle nous confie en avoir réalisé certains, mais qu'il faut toujours en avoir d'autres pour avancer. Lesquels ? Lala &ce garde le silence, la moue narquoise. Puis elle finit par lâcher, d'un souffle, d'une toute petite voix qu'elle préfère les garder secrets, "il vaut mieux ne pas en parler, au cas où le mauvais oeil m'empêche de les vivre". Et si elle ne réalise pas totalement ce qui se passe pour elle en ce moment, "ce que je sais , c'est que je veux aller encore plus haut".
C'est un petit clin d'œil au fait que je suis un peu différente dans le paysage musical français, au fait que j'aime bien me sentir comme une extra-terrestre" confie la jeune femme à propos de son premier album E.T pour signifier Everything Tasteful (chez &ce Reckless/Allpoints/Believe). Trois ans plus tard, son nouvel album Solstice s’ouvre sur une méditation universelle, un appel au calme. Parmi ses 19 titres, l'un rend hommage DJ Arafat, le regretté roi du coupé-décalé, parti prématurément à 33 ans en 2019.