L'allaitement, c'est bon pour les bébés, les mamans et l'économie. Paraît-il...

Des études dont les résultats sont publiées en ce début d’année 2016 confirment que l’allaitement maternel est bon pour la santé future des enfants. La nouveauté est que ces enquêtes suggèrent que l’allaitement devrait être prolongé bien au delà de la durée habituelle d’environ deux mois, des congés maternité, jusqu’à un voire deux ans, au minimum.
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allaitement maternel en Grèce
Des mères et leurs bébés sur une place de Salonique, port oriental de la Grèce, lors d'un "flash mob" d'allaitement en novembre 2013 organisé simultanément  dans 39 villes grecques
AP Photo/Nikolas Giakoumidis
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L’allaitement maternel a connu des bonheurs divers dans l’histoire occidentale. Dans les siècles passés, il était de bon ton de confier les enfants de bonne famille à des nourrices, afin de préserver la beauté et la santé des mères. Dans la deuxième moitié du 20ème siècle, les industries agro-alimentaires voulurent faire croire que le lait maternisé était meilleur pour la santé des bébés, sans compter qu’il permettait aux femmes de ne pas abandonner leur emploi, elles qui étaient arrivées massivement sur le marché du travail à l’occasion des deux conflits mondiaux.

Depuis les années 1970, l’allaitement maternel connaît à nouveau les faveurs des cercles médicaux, et il est même parfois poussé à l’extrême par des mouvements de mamans qui proposent de nourrir au sein leurs enfants jusqu’à plus soif, parfois jusqu’à trois, quatre, cinq ans. Elles se retrouvent sous l’expression de « attachment parenting philosophy » (philosophy de l’attachement maternant)  organisent régulièrement des séances de tétage collectif en public, comme on le voit dans la vidéo ci-dessous au Danemark, en juin 2013. Celles-ci doivent se féliciter des nouvelles études sur ce sujet, publiées en ce mois de janvier 2016.

800 000 vies d'enfants chaque année dans le monde

Un allaitement prolongé pourrait donc sauver la vie de plus de 800.000 bébés chaque année tout en faisant économiser des milliards de dollars aux systèmes de santé à l'échelle planétaire grâce à son rôle de protection contre certaines maladies infantiles, selon une série d’articles scientifiques publiées vendredi 29 janvier 2016.

"Seul un enfant sur cinq est allaité jusqu'à ses douze mois dans les pays riches tandis que seul un enfant sur trois est allaité exclusivement les six premiers mois de son existence dans les pays à revenus faibles ou moyens", indique la revue médicale britannique The Lancet qui consacre tout son numéro de janvier à l'allaitement maternel.

Ce sont par conséquent des millions d'enfants qui ne bénéficient pas pleinement des bienfaits du lait maternel, constatent les chercheurs.

Donner le sein jusqu'à deux ans

Une de Time allaitement
"Etes-vous assez maternelle ?" Cette Une de Time fit scandale en juin 2013 vaux Etats-Unis
Le lait maternel couvre tous les besoins alimentaires du bébé pendant les six premiers mois de sa vie. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande ainsi un allaitement maternel "exclusif" jusqu'à l'âge de six mois et un allaitement partiel jusqu'à deux ans. Selon elle, moins de 40% des bébés dans le monde en bénéficient aujourd'hui.

Outre la fonction purement alimentaire, l'allaitement est réputé depuis longtemps pour avoir des effets bénéfiques à la fois sur la santé du nourrisson et sur celle de la mère.

L'allaitement de longue durée "pourrait épargner plus de 800.000 vies d'enfants chaque année dans le monde, soit l'équivalent de 13% de l'ensemble des décès d'enfants de moins de deux ans", précisent les auteurs se fondant sur une série de recherches. Il pourrait en outre prévenir chaque année le décès de 20.000 mères consécutif à un cancer du sein, ajoutent-ils.

Réduction des risques de cancer

Et, contrairement à une "idée faussement et largement répandue", les bénéfices de l'allaitement ne concernent pas seulement les pays pauvres.

"Nos travaux démontrent clairement que l'allaitement sauve des vies et permet de faire des économies dans tous les pays, les riches comme les pauvres", écrivent-ils. D'où la nécessité, selon eux, de s'attaquer au problème à l'échelle mondiale.

"Dans les pays riches, l'allaitement réduit de plus d'un tiers la mort subite du nourrisson. Dans les pays pauvres ou aux revenus moyens, environ la moitié des épidémies de diarrhée et un tiers des infections respiratoires pourraient être évités grâce à l'allaitement", ajoutent les chercheurs.

L'allaitement longue durée contribuerait également à diminuer les risques d'obésité et de diabète chez l'enfant. Et pour les mères, il réduirait les risques de cancer du sein et des ovaires.

Economies collectives à la clé

allaitement bienfaits
Affiche publicitaire de Leonetto Cappiello datant de 1921
Wikicommons

Les chercheurs ont par ailleurs calculé qu'en portant à 90% le taux d'allaitement exclusif jusqu'à six mois aux Etats-Unis, en Chine et au Brésil et à 45% au Royaume-Uni, cela permettrait de diminuer les coûts de traitements des maladies infantiles courantes telles que la pneumonie, la diarrhée ou l'asthme.

Grâce à l'allaitement "une économie pour le système de santé d'au moins 2,45 milliards de dollars aux Etats-Unis, de 29,5 millions au Royaume-Uni, de 223,6 millions en Chine et de 6 millions au Brésil" serait réalisable.

Dans les pays riches, le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark ont les taux d'allaitement à douze mois les plus faibles du monde (respectivement inférieur à 1%; 2%; 3%).

Sur la base d'une étude précédente, publiée en mars 2015, qui soutenait qu'un allaitement contribue à une intelligence accrue, une scolarité plus longue et donc de meilleurs revenus à l'âge adulte, ils estiment que la faiblesse de l'allaitement a représenté une perte de 302 milliards de dollars (0,49% du PIB mondial) en 2012.

La contre propagande  de l'industrie agro-alimentaire

Les scientifiques déplorent par ailleurs des publicités agressives en faveur des laits de substitution qui sapent, selon eux, les efforts des autorités pour promouvoir l'allaitement maternel. "La saturation des marchés des pays riches a conduit les industriels à pénétrer rapidement les marchés émergents", ajoutent-ils. "Les ventes mondiales de lait (de substitution) se sont accrues en valeur passant de deux milliards de dollars en 1987 à 40 milliards environ en 2014".  

Selon eux, les pays sont pourtant en mesure d'améliorer considérablement la pratique de l'allaitement. A titre d'exemple, au Brésil, la durée d'allaitement est passée de 2,5 mois dans les années 1974-1975 à 14 mois en 2006-2007 grâce à une politique proactive des services de santé et de larges campagnes d'information.

Reste une question majeure : comment concilier vie professionnelle et allaitement ? Est-ce seulement compatible ? Et les femmes ne risquent-elles pas de vivre de sérieux coups de frein à leurs ambitions de carrière ? On attend les propositions....

Allaitement dans l'armée américaines
Deux soldates de la 3ème armée, à Oklahoma City lors d'une discussion en avril 2013 au sujet de l'ouverture de nurseries sur leur base, afin de leur permettre d'allaiter leurs futurs bébés.
AP Photo/Susanne M. Schafer

Trop de pression sur les femmes

En France, certaines estiment que trop de pression pèsent sur les femmes, et que les forcer à allaiter peut être culpabilisant. La gynécologue obstréticienne Odile Buisson, interrogée par nos confrères de France 3, trouve que les femmes sont trop malmenées par ces injonctions et qu'il est urgent de les laisser tranquilles. En revanche Emilie Michaut, enseignante, appartient à un club qui promeut l'allaitement des nourrissons, même si, dit-elle, "ce n'est pas forcément la potion magique". Elle a réussi, grâce à un directeur d'établissement accueillant, "un père" commente-t-elle, à concilier son métier et les nécessités de l'allaitement. Pas si simple pour beaucoup d'autres...

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