Fil d'Ariane
Aux Etats-Unis, les Amérindiens sont peu présents en nombre, mais très présents par leur diversité, explique Sylvie Brieu. Dans le Montana, à la frontière du Canada, vivent douze peuples, tous de langue différente, dans sept réserves. Autant de voix que l'on entend peu sur la scène médiatique, et dont la grand-reporter a voulu se faire l'écho.
Sylvie Brieu : J'ai trouvé chez elles une générosité, une bienveillance et une ouverture à la mesure des paysages de cette région de l'Ouest, dans lesquels on peut se perdre. Lors de ma première visite, il y a sept ans, les gens m'ont ouvert leur tipi ou les portes de leur ranch. Quand je suis allée à ma première fête crow, Angela Russel m'a accueillie dans son clan, un clan essentiellement de femmes. Sous leur tipi, j'ai tout de suite eu l'impression d'être dans un cocon maternel. Le tipi est rond, comme la Terre, comme la lune. C'est un espace où personne n'est laissé de côté. Dans la rondeur maternelle du clan, je me sentais en sécurité.
Angela Russel elle-même est juge et avocate ; elle a été la première femme à avoir occupé le poste de juge chez son peuple. Sa nièce est juge. Elle a une cousine pionnière en matière d'éducation bilingue. Aujourd'hui, dès la maternelle, les enfants vont à l'école bilingue, et apprennent à parler aussi bien anglais que crow.
Ces femmes m'ont beaucoup appris parce qu'elles sont très connectées à l'environnement. L'environnement, pour elles, est un concept très incarné. Elles m'ont beaucoup appris par leurs liens à la Terre, par leur manière de percevoir l'humain, la nature, et les liens entre tous les humains.
Sylvie Brieu est allée à la rencontre des femmes "ranchers" qui, aux côtés de militantes amérindiennes, se sont battues, contre les projets de prédateurs industriels menaçant les grands espaces. pic.twitter.com/B069BoBoLq
— TERRIENNES (@TERRIENNESTV5) January 5, 2023
À vous lire, on a parfois l'impression qu'il n'y a pas de dichotomie femmes/hommes chez les Améridiens ?
Chez les Blackfeet, par exemple, Darnell et Smokey sont leaders spirituels ensemble en harmonie entre le féminin et le masculin. Dans les cérémonies, l’homme est chargé de certaines tâches, tandis que la femme va collecter des baies pour faire une soupe qui sera bue pendant la cérémonie orchestrée par son mari. J’ai beaucoup appris aux côtés de Darnell, qui s’est ouverte avec beaucoup de générosité sur sa spiritualité.
Dans sa vision du monde, l’homme et la femme font partie d’un tout, la nature et l’être humain font partie d’un tout. Ce n’est pas l’un vis-à-vis de l’autre, ni l’un en opposition à l’autre. Même si je valorise la parole des femmes dans mon livre, ces femmes travaillent en lien avec des hommes. Dans les spiritualités amérindiennes, le féminin et le masculin ont chacun leur rôle à jouer.
Dans cette partie des Etats-Unis, 4 femmes sur 5 ont déjà fait l’expérience de la violence...
Le fléau des missing and murdered indigenous women sévit au Canada, mais aussi dans le nord des Etats-Unis. Des femmes disparaissent et ne sont jamais retrouvées, ou elles sont retrouvées assassinées. Aucune action ni enquête n’est menée, ce qui fait dire aux Amérindiennes que si un tel phénomène touchait les femmes blanches, le FBI ou la CIA interviendraient.
Il y a aussi la violence liée à la consommation de drogues et d’alcool. Les peuples amérindiens ont été sédentarisés de force et privés de leur culture et de leurs moyens de subsistance, comme le bison, lié à leur spiritualité, à leur économie et à leur survie dans une région, le Montana, où les cultures sont rares. En échange, on leur a fourni des produits avariés et de l’alcool, générant une addiction que l’on retrouve aujourd’hui.
Autre effet de la sédentarisation : de nombreux cas de diabète, car l’accès à une alimentation saine est difficile et nécessite un budget que n’ont pas souvent les familles élargies qui vivent dans les réserves.
Qui est cette artiste, personnage extraordinaire et survivante d'un cancer, Alaina Buffalo Spirit, que vous mentionniez à plusieurs reprises dans L'âme de l'Amérique ?
Elle est l'une des très rares femmes à pratiquer un art ancestral appelé ledger art, qui s'est développé dans les prisons où les Indiens étaient incarcérés dans les années 1860. La seule activité qu'ils pouvaient pratiquer était le dessin ou la peinture, et ce sur les seules feuilles à leur disposition, c'est-à-dire les registres de comptabilité. Sur les chiffres et les lettres, ils dessinaient des chevaux, des danses, des tipis...
Très connue, et totalement autodidacte, Alaina a commencé à la suite d'une violente tragédie, l'assassinat de son fils unique, dont elle garde maintenant les deux enfants, au début des années 2000. L'affaire a été classée, traitée comme une affaire de drogue, mais elle a toujours été persuadée qu'il s'agissait d'un assassinat. Elle ne baisse pas les bras et continue à solliciter les autorités pour que l'enquête soit rouverte.
Alaina a eu besoin de guérir par l'art et s'est mise à peindre. Aujourd'hui, son désir profond, sa mission, sa vocation, est d'aider les familles des victimes, de ces femmes que l'on kidnappe et que l'on assassine, de guérir de ce traumatisme par l'art, en leur apprenant à dessiner.
Lire aussi dans Terriennes :
► Squaws et autres Amérindiennes, femmes libres, émancipées et puissantes
► Joséphine Bacon : la poétesse québécoise qui porte la parole de ses ancêtres innus
► Peuples autochtones à la COP15 : "Nous ne sommes pas que des victimes de l'environnement, nous sommes aussi des solutions"
► Environnement : les femmes indigènes replantent l'Amazonie
►Femmes des Premières Nations disparues au Canada : l'enquête impossible ?
►Stérilisation forcée des femmes des Premières nations au Canada : la taille optimale d'une famille selon les autorités
►Violences sexuelles et pédophiles : la double peine des femmes des premières nations du Canada