Langue française : "Ecrire, disent-elles."

Cette année, le Salon du livre de Paris, qui a fermé ses portes ce lundi 18 mars, coïncidait avec la Semaine de la langue française. L’occasion de faire le point sur la place des femmes dans l’édition et la littérature francophone.  "Ecrire, disent-elles..." pour paraphraser Marguerite Duras.
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Je suis une fille et j'écris... en français.
Je suis une fille et j'écris en français
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Le Salon du livre est une ruche bruissante : rencontres, dédicaces, tables rondes s’enchaînent dans un brouhaha continu. Ici, tout, ou presque, ce que le monde de l’édition francophone compte de maisons, petites ou grandes, et d’auteur.e.s, a rendez-vous avec son public. Un public qui se décline plutôt au féminin : deux jours avant l'ouverture du Salon, le Centre national du livre a publié une grande enquête sur "les Français et la lecture", réalisée par l’institut Ipsos. Le grand lecteur, plus de 20 livres par an, est une lectrice - bravo Mesdames - âgée de 52 ans et qui dévore un livre tous les 15 jours.  

Difficile rééquilibrage

Retrouve-t-on cette surreprésentation féminine dans les chiffres du secteur ? Oui et non. Sur un quart de siècle, le secteur de l’édition s’est largement féminisé. Mais las… pas de surprise : dans les postes de direction, les hommes se taillent toujours la part du lion. 65% de directeurs dans la fabrication ou le commercial, alors que les postes subalternes comptent surtout des femmes, avec des métiers 100% féminins comme documentaliste,  attachée de presse ou encore la publicité….

Même chose dans le monde de la création. Durant la période 2000/2017, les prix littéraires ont récompensé 64 hommes et 44 femmes. Et les jurys littéraires confirment la règle du 1 pour 3 : 33% seulement de femmes pour présider à la destinée des lauréats…

Une femme interpelle les « Etats généraux »

Suzanne Dracius

La situation fait bondir le "Parlement des écrivaines francophones". Suzanne Dracius, poète et écrivaine martiniquaise, a été choisie par ses pair.e.s pour les représenter aux Etats Généraux du livre en langue française pendant ces quatre jours. Voulus par le ministère français de la culture, ces Etats Généraux se veulent un laboratoire autour de la langue française dans la création littéraire.

En ce dernier jour du salon , un aéropage (majoritairement masculin) est réuni autour d’une thématique un brin rébarbative : "Diffusion et alternatives au transport du livre". Discussion policée, orchestrée par Sylvie Marcé, modératrice, quand soudain, une main s’empare du micro pour poser une question qui jette un froid : « Que pensent faire les Etats Généraux pour réduire les discriminations entre femmes et hommes ? Les écrivaines manquent de visibilité face à leurs homologues masculins. Quelles mesures concrètes proposez-vous ? » Un ange passe… Une réponse claire se fait toujours attendre.

Atelier Etats généraux Salon du livre 2019


Les Etats Généraux devront, à l’horizon 2020, formuler des propositions pour améliorer l’accès à la création en français, favoriser les échanges de tous les professionnels francophones et intégrer la donnée du numérique. Parité comprise ? Suzanne Dracius, numéro 6 dans le top 10 des écrivains martiniquais, compte bien se battre pour : "Le Parlement des écrivaines francophones a été créé récemment, en septembre 2018, à l’initiative de la tunisienne Fawzia Zouari. Il a une marraine de poids, l’Organisation internationale de la francophonie. Mais si son manifeste « Liberté, égalité, féminité » paru dans le Monde le 28 septembre 2018 a été un joli coup médiatique, nous sommes obligés d’admettre que nous avons enregistré peu d’avancées. Nos pistes de travail : l’éducation des femmes, le travail sur le corps féminin, l’environnement et les migrations. Tout cela prend du temps."

Rappelons une donnée croustillante. Le terme d’auteure, autrice ou écrivaine vient à peine d’être reconnu par l’Académie Française pour désigner des femmes qui écrivent.

Comme le dit Suzanne Dracius, tout cela prend du temps. Notamment lorsqu’il s’agit de faire entériner les changements sociétaux par les institutions. Car dans la réalité, le monde bouge, souvent secoué par les femmes, qui n’attendent plus que d’autres actent le changement.

L’édition au féminin

Dans les années 1980, une génération de pionnières, Anne-Marie Métailié ou Viviane Hamy en tête, ont fondé leur propre maison d’édition. Quarante ans après, elles sont toujours là et la descendance est assurée. De nombreuses maisons d’édition ont, depuis, été fondées par des femmes, et celles qui sont aux manettes assument pleinement leur féminisme ! Anna Pavlowitch, 42 ans, ex-patronne de J'ai lu, présidente de Flammarion depuis octobre 2018 :  "J'ai moi-même nommé plusieurs femmes, jeunes, à des postes à responsabilités. Non parce qu'il s'agit de femmes jeunes, mais parce que je les trouve excellentes. Ce n'est pas de la discrimination positive ni du sexisme à l'envers, c'est un féminisme assumé !

Autre démarche : la réhabilitation féministe. Talents Hauts, la maison d’édition jeunesse dirigée par Laurence Faron s’est lancée dans une mission : réhabiliter les écrivaines "plumées par le patriarcat".  " Talents Hauts a été fondé sur un constat de sexisme dans la littérature jeunesse. Nous portons une attention particulière aux stéréotypes cachés qui irriguent textes et images. Les enfants ont droit aussi à des histoires dégagées des stéréotypes." déclarait sa fondatrice lors d'un entretien au syndicat du Livre.

Ecrire en français pour être libre

écrire en français

Karim Kattan est palestinien. Ecrire en arabe une histoire mettant en scène un couple homosexuel ? "Hors de question. Pour être lu par mes cousins… " Ce doctorant en littérature comparée a choisi le français pour la liberté de ton et de narration que cela lui autorise, tout comme l’a fait Elitza Gueorguieva originaire de Bulgarie. Son premier roman Les cosmonautes ne font que passer, raconte l’histoire de son grand-père communiste à l’heure de l’effondrement du communisme : "Ton grand-père est communiste, un vrai te dit-on, et tu comprends qu’il y en a aussi des faux. C’est comme avec les Barbie et les baskets Nike, qu’on peut trouver en vrai que si on a des relations de très haut niveau. Les tiennes sont fausses..."

Elitza vit en France depuis 18 ans, mais a d’abord choisi le cinéma comme moyen d’expression. En cause, dit-elle, "différents blocages qui m’interdisaient d’écrire" : une professeure peu indulgente sur son français balbutiant ou trouver les mots et l'humour pour dire sa propre histoire. Diplômée d’un master en création cinématographique obtenu à Grenoble, elle se tourne finalement vers des études littéraires et écrit ce premier récit dans le cadre de l’université. Un recours à la langue française qui a fait sauter les verrous de l’autofiction et de la justification. Vrai ou faux communiste, le grand-père bulgare est devenu personnage, et sa petite-fille écrivaine. Le français libère les talents.

Ecrire en français une démarche libératoire....

....qui irrigue le travail de certains auteurs non francophones, qui le sont devenus pour accoucher de leurs premières œuvres. Au Salon du livre, à l’occasion de la semaine de la langue française et de la Francophonie, on pouvait les croiser lors d’une "Promenade" proposée par l’Alliance française et joliment nommée " Je viens de loin, j’écris en français ". Libanais, syrien, bulgare, japonais ou sénégalais, tous ces auteur.e.s ont en commun d’avoir choisi le français pour mieux s’exprimer.

Akira Mizubayashi qui vit à Tokyo où il est devenu professeur de…français a fait, adolescent, un surprenant constat : " Je ne me reconnaissais pas dans ma langue, elle était vide. J’étais accablé par les « maux de langue » du japonais, paralysé par le conservatisme, avili par l’injonction consumériste de mon pays. " L’homme a choisi le français comme on se choisit un pays d’adoption. S’il ne vit pas en France, mais à Tokyo, il séjourne 2 fois par an à Paris et dit " habiter le français".