Fil d'Ariane
Le débat s'annonce intense et le vote serré au vu de l'équilibre des forces entre les "pour" et les "contre" au Sénat argentin. C'est ce mardi 29 décembre que la loi légalisant l'avortement en Argentine, déjà approuvée par les députés, est discutée à la Chambre haute qui, il y a deux ans, avait voté contre un texte similaire. La session débutant à 16 heures locales (19 heures TU), le vote devrait intervenir dans la nuit de mardi à mercredi. Malgré la pandémie de coronavirus, les militants pro et anti-IVG ont prévu de se rassembler devant le Parlement pour exprimer leur soutien ou leur rejet du texte.
L'Eglise catholique et les Evangéliques ont lancé un appel à "s'unir pour implorer le respect et le soin de la vie à naître", avec une journée de jeûne et de prière. Reconnaissables à leur foulard bleu ciel, les opposants prévoient de prier devant le Parlement jusqu'à l'annonce du résultat. "La Conférence des évêques argentins a fait du lobby contre la loi auprès des gouverneurs, fonctionnaires et parlementaires, et les églises pentecôtistes occupent l'espace public", analyse le sociologue Fortunato Mallimaci.
Les pro-IVG, ralliés autour de la couleur verte, ont fait une intense campagne sur les réseaux sociaux. En particulier la "Campagne pour un avortement légal, sûr et gratuit" : "La stratégie de criminalisation, de stigmatisation, de restriction des libertés dont ont souffert historiquement les femmes et les corps des femmes enceintes, a assez duré !", a lancé sur les réseaux sociaux Fabiola Heredia, directrice du Musée d'anthropologie de l'Université de Cordoba.
A Buenos Aires, des centres de santé existent déjà, les AMI, où les médecins militants s'organisent pour permettre aux femmes d'accéder à l'IVG de façon simple et gratuite, en s'appuyant sur des brèches dans la législation argentine. Reportage :
La criminalisation de l'avortement n'a servi à rien. Chaque année quelque 38 000 femmes sont hospitalisées pour complications lors d'avortements clandestins, et depuis le retour de la démocratie (en 1983) plus de 3000 en sont mortes", déclarait Alberto Fernandez, le président de centre-gauche. Elu en octobre 2019, il avait fait de la légalisation de l'IVG une promesse de campagne.
"Ce que je souhaite, c'est que cette question ne devienne pas un nouveau conflit entre Argentins. Respectons tout le monde", déclarait le chef de l'Etat argentin au moment de finaliser le projet de loi, fin octobre. "La légalisation éventuelle de l'avortement ne le rend pas obligatoire, personne n'est obligé de se faire avorter", précisait-il.
C'est la seconde fois que les législateurs argentins sont appelés à s'exprimer sur ce texte légalisant l'Interruption volontaire de grossesse. En 2018, sous le mandat de l'ex-président Mauricio Macri (2015-2019), les débats au Parlement avaient déclenché de très nombreuses manifestations pour et contre la légalisation.
Lors d'un vote historique, la chambre des députés avait approuvé la légalisation de l'IVG jusqu'à la 14e semaine mais le Sénat l'avait finalement rejetée quelques semaines plus tard. Trente-huit sénateurs s'étaient opposés au texte, contre 31 pour et deux abstentions.
(Re)lire notre article ► En Argentine, le droit à l'avortement ne passe pas l'épreuve du Sénat
Selon les positions déjà avancées par nombre de députés élus l'an passé lors de la vague péroniste, le projet de loi a une nouvelle fois passé haut la main la barrière parlementaire lors du vote du 11 décembre 2020 - 131 voix pour, 117 contre et 6 abstentions. Au Sénat, traditionnellement plus conservateur, le vote des indécis sera prédominant.
Selon @LANACION la balance au Sénat s'inclinerait en faveur de la légalisation de l'#avortement en #Argentine. Il l'explique en partie par le fait qu'1 sénateur qui avait voté contre en 2018 a changé d'avis... à la demande de ses filles#GirlPower#SeráLeyhttps://t.co/6ZlGPq8weY pic.twitter.com/lLSTZ4mb6F
— Angeline Montoya (@angelinemontoya) December 11, 2020
"Je suis convaincue que cette fois-ci, ça passera. En 2018 nous n'avions pas le soutien de l'exécutif. Nous verrons au Sénat, mais je suis très optimiste", déclare Nelly Minjersky, l'une des fondatrices de la "Campagne pour un avortement légal, sûr et gratuit", une alliance de plus de 300 groupes féministes qui a présenté huit projets de loi en quinze ans. Cette avocate de 91 ans est une pionnière du combat en faveur de l'IVG, elle est l'une des 10 orateurs-trices qui s'adresseront aux député-es en faveur du "vote vert", tandis que 10 autres défendront le vote "bleu", les couleurs des deux camps qui s'opposent.
Seuls 70 sénateurs, sur 72, devraient participer au vote : un sénateur a été suspendu après une plainte pour agression sexuelle et l'ex-président Carlos Menem (1989-1999), âgé de 90 ans et connu pour ses positions anti-avortement, est hospitalisé. En cas d'égalité, l'ex-présidente (2008-2015) et actuelle vice-présidente Cristina Kirchner, favorable à l'avortement, devrait participer au vote, comme le prévoit la loi.
C'est la neuvième fois qu'un projet de loi sur l'IVG est déposé devant le parlement, mais la première que l'initiative provient de l’exécutif.
Samedi 28 novembre, des milliers de militants "pro-vie" ont défilé à Buenos Aires et dans de nombreuses villes du pays à l'appel des Eglises et organisations civiles catholiques et évangéliques. "Je sais qu'il y a des grossesses inattendues, je respecte les droits des femmes. Mais je ne reconnais pas l'avortement comme un droit", confiait un militant qui a souhaité rester anonyme. "Le peuple argentin est pro-vie. Maintenant, nous allons voir ce que font les législateurs, s'ils répondent au président ou au peuple", a-t-il ajouté.
Les militants anti-IVG tentent par tous les moyens d'influencer députés et sénateurs. "Ils sont venus dans la boulangerie de mes parents avec des banderoles portant ma photo et dénonçant que je sois pro-avortement. Ce débat devient violent et très anti-démocratique", a dénoncé la députée Carolina Gaillard.
"Ceux qui se disent pro-vie sont violents, ils sont contre les droits. Nous, au contraire voulons étendre les droits et ne forçons personne", estime Nelly Minjersky.
#AbortoLegal2020 "Lo que estamos haciendo es una ampliación de derechos. La IVE es autonomía, libertad, igualdad", dice Nelly Minyersky, pionera histórica de la lucha por el aborto legal, seguro y gratuito pic.twitter.com/5XXs38bi06
— Carla Gago (@holacargago) December 1, 2020
{"Ce que nous sommes en train de faire c'est une extension des droits. Le système IVE (l'IVG) signifie autonomie, liberté, égalité", déclare Nelly Minjersky, pionnière de la lutte pour le droit à l'avortement, sûr et gratuit}
Le projet de loi déposé mi-novembre autorise l'avortement "jusqu'à la 14e semaine de grossesse". Il prévoit une "objection de conscience" pour des professionnels de santé refusant de le pratiquer, mais les oblige à "orienter le patient vers des soins" appropriés. Parallèlement, un "Plan des mille jours" entend également "renforcer l'accès aux soins pendant la grossesse et lors des premières années de vie d'un enfant" pour les familles en situation de vulnérabilité financière.
Una nueva muerte por aborto inseguro. Fue en Córdoba. Se llamaba Mariela y tenía 40 años. Era madre y estaba casada. Estuvo internada tres semanas pero no sobrevivió. Falleció el 7 de noviembre. Nos enteramos hoy que empezó a debatirse la ley en en Congreso. #AbortoLegalEsVida
— Flor Alcaraz (@florencialcaraz) December 2, 2020
{Un nouveau décès dû à un avortement à risque. C'était à Cordoba. Son nom était Mariela et elle avait 40 ans. Elle était mère et mariée. Elle a été hospitalisée pendant trois semaines mais n'a pas survécu. Elle est décédée le 7 novembre. Nous avons appris aujourd'hui que la loi avait commencé à être débattue au Congrès.}
Dans ce pays de 45 millions d'habitants majoritairement catholiques et terre natale du pape François, l'avortement n'est légal en qu'en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, selon une loi en vigueur depuis 1921.
Pionnière pour la promulgation de lois sur le mariage homosexuel et l'identité de genre en Amérique latine, l'Argentine pourrait, si le texte est approuvé par le Sénat, rejoindre Cuba, l'Uruguay, le Guyana et la province de Mexico, les seuls à autoriser l'IVG sans conditions dans la région.