Brûlées vives, battues, vendues ou prostituées, les ONG argentines lancent un cri d’alarme sur la situation des femmes dans le pays. Ceci malgré l’implication très remarquée de la présidente Cristina Fernandez de Kirchner, qui tente d’y remédier.
Au pays du tango les mâles continuent à mener la danse.
Dans la rue, les proxénètes n'hesitent pas à coller des dépliants afin de faire la promotion de la prostitution. La présidente Cristina Fernandez de Kirchner a renforcé dernièrement la loi contre la traite des blanches et contre la prostitution en Argentine - datant de 2008 - en interdisant la diffusion de petites annonces « d’offres » sexuelles dans la rubrique 59 de la presse locale. photo Jean-Jérôme Destouches
L’Argentine est un pays de contrastes : une femme présidente adulée et respectée pour des centaines de femmes assassinées chaque année. Combien sont-elles exactement ? L’association féministe portègne La casa del encuentro (La maison de la rencontre) dénonce, en relevant les noms de victimes dans la presse, que 151 femmes ont été tuées lors du premier semestre de l’année 2011 ; une augmentation de 20% par rapport à l’année précédente. Mais, faute de statistiques fiables il est difficile de mesurer l’ampleur exacte des violences envers les femmes en Argentine et encore moins le sort des femmes indigènes vivant dans des communautés isolées. Un crime qui inspire Le crime de Wanda Taddei en 2010 à Buenos Aires est devenu le symbole de la cruauté à laquelle les femmes sont confrontées en Argentine. 29 ans, mère de deux enfants, Wanda est morte après avoir été aspergée d’alcool et brûlée par la cigarette de son mari – une star de rock argentin. Ce fait divers a bouleversé le pays tout entier mais a inspiré plus d’un « macho au sang froid » utilisant le même procédé afin de tuer leur concubine. On dénombre plus de 19 fémicides similaires. Violences à domicile La oficina de violencia domestica (Le bureau de violence domestique) dépendant du gouvernement argentin, a mesuré en septembre dernier plus de 467 cas recensés de femmes maltraitées. Chacun « tire » ses chiffres et il est difficile de s’y retrouver. « En ce qui concerne la violence conjugale commente Monique Altschul présidente de la fondation Mujeres en Igualdad (Femmes dans l’égalité) on ne sait pas si elle augmente ou si les femmes aujourd’hui osent enfin porter plainte parce qu’elles ont pris conscience, grâce aux témoignages de femmes battues dans la presse, que ce qu’elles subissaient n’était pas tolérable ». Selon Monique Altschul, l’Argentine est un pays machiste où certains hommes - influencés en partie par des programmes de télévision -, pensent que la femme est un objet, que l’on prend et que l’on peut casser.
Une mère contre la traite des blanchesSusana Trimarco se bat depuis 2002 afin de retrouver sa fille enlevée et prostituée par un réseau mafieux de traite des blanches en Argentine. Sa fondation Maria de los angeles a permis de sauver 700 esclaves sexuelles. photo Jean-Jérôme Destouches
Juana, 60 ans, originaire d’un village de la province de Santa Fe en témoigne. Elle a encaissé pendant des années, pensant que c’était normal, les coups de son mari. Des coups toujours portés sur son sexe pour que par pudeur, elle n’aille pas montrer ses hématomes. Jusqu’au jour où elle a craqué et a tenté de tout raconter. « Les policiers pendant la déposition m’ont dit que j’avais dû mériter les « gifles ». Je me suis levée et je suis partie sans rien faire». En raison de l’attitude machiste de la police – toujours d’actualité -, qui décourage les femmes de porter plainte, 44 Commissariats de la Femme ont été créés dans la province du pays, où les victimes encadrées par des psychologues sont écoutées et respectées. Cristina contre-attaque ! Afin de remédier aux diverses violences subies par les femmes en Argentine, la présidente Cristina Fernandez de Kirchner a pris à bras-le-corps les problèmes et comportements machistes en créant en 2010 la loi intégrale de violence contre les femmes. Cette loi permet, entre autres, de recenser les délits pour établir une photographie de la situation de violence envers les femmes dans le pays et de porter une assistance gratuite aux victimes. Cristina Fernandez de Kirchner a de même renforcé récemment la loi contre la traite des blanches et contre la prostitution en Argentine-datant de 2008 - en interdisant la diffusion de petites annonces « d’offres » sexuelles dans la rubrique 59 de la presse locale. Un « petit pas » qui a son importance dans un pays où les bordels pullulent.
Juana a été battue pendant des années par son mari lorsqu'elle vivait dans un village de la province argentine de Santa Fe ( au nord du pays). Pensant que ce qu'elle endurait était normal Juana avait peur de parler. Un jour en écoutant les temoignages d'autres femmes maltraitées elle a décidé de tout raconter. photo Jean-Jérôme Destouches
Une mère contre la traite des blanches Mais ces « avancées » ne satisfont pas pour autant Susana Trimarco à la recherche de sa fille enlevée à Tucuman (nord de l’Argentine) il y a presque dix ans et échangée contre 2500 pesos de drogue (434 euros) par un groupe mafieux afin de la prostituer. Sa fondation « Maria de Los Angeles » a sauvé plus de 700 esclaves sexuelles forcées de travailler contre leur gré. Elle continue d’espérer que la justice argentine agisse plus rapidement afin de lutter contre ces réseaux de prostitution et contre la corruption qui leur permet de déplacer les victimes de province en province en toute impunité. Des avancées à reculons Monique Altschul de la fondation Mujeres en Igualdad affirme que le changement des comportements machistes en Argentine doit passer par l’éducation des jeunes générations. Pas si simple quand on pense au programme d’éducation sexuelle lancé par le gouvernement argentin en 2006 qui a été rejeté par de nombreuses provinces du pays sous pression de l’église catholique. Même combat pour la légalisation de l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) dont le débat polémique a été ouvert en Argentine mais qui subissant une campagne anti-avortement sévère de la part (encore) de l’église a peu de chance d’aboutir.
A propos de Jean Jérôme Destouches
Jean Jérôme Destouches est photo reporter et journaliste. Il a collaboré pendant plus de deux ans avec l'agence française Gamma et actuellement travaille en tant que freelance collaborant avec des médias comme TV5Monde, ou l'agence belge Prensa Nueva, avec pour thème central les femmes en Amérique latine. Ses travaux photographiques ont été exposés: à Langreo, (Espagne) durant le « Festival de Fotografía documental de América Latina 2010 », et par deux fois à Buenos Aires (Argentine) en 2009 au centre culturel de la GEBA et en 2007 au centre culturel Ernesto Sabato. Il vit entre l’Argentine et la France.