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"Why Have There Been No Great Women Artists ?" L’historienne de l’art Linda Nochlin posait cette question en titre d'un texte qui s'est révélé fondateur de l'art féministe. S’il est difficile de citer spontanément de grandes artistes, ce n’est pas qu’elles n’ont pas existé ou qu’elles n’ont jamais atteint le même niveau d’excellence que les hommes. C’est avant tout parce qu'elles sont restées dans l'ombre dans un univers dominé par les hommes. Occultées, les artistes femmes sont demeurées inconnues des générations suivantes. Ainsi l'imaginaire collectif cultive-t-il l'idée qu’une femme ne peut pas devenir une grande artiste.
Le principal objectif de l'art féministe est de repenser la place des femmes dans le monde.
Amy Tobin, historienne de l'art
L'art féministe reste une notion difficile à définir et à dater, et qui n'existe pas en tant que mouvement. "L'art féministe dépend de l'artiste, et de la part de féminisme qu'il ou elle a mis dans son travail, de celle ou celui qui le regarde, et de la manière dont il lit le féminisme dans l'oeuvre," explique Amy Tobin, professeure à l'université de Cambridge et autrice d'une thèse sur le lien entre art et féminisme. "L'art est très important pour le féminisme, parce que, comme les politiques féministes, son principal objectif est de repenser la place des femmes dans le monde," explique-t-elle.
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L’art féministe, c’est également un combat pour la visibilité et la reconnaissance des femmes artistes. Un potentiel énorme, explique Amy Tobin : "Au XVIIe siècle, Artemisia Gentileschi, par exemple, était une femme qui réfléchissait au genre et à la représentation des femmes dans ses tableaux. Mais à l'époque, déjà, l'histoire ne retenait pas les femmes artistes. La plupart exerçait sous des pseudonymes ou leur travail restait anonyme."
Dans L'art du féminisme, les trois autrices britanniques ont sélectionné des oeuvres d'art présentant une dimension féministe assumée. Des oeuvres qui mettent les femmes au centre de la société, celles qui mettent en images cette même société qui réduit les femmes aux tâches ménagères et à la maternité, celles qui réclament la liberté et l'autodétermination des corps et des esprits. Le livre fait aussi une place aux artistes issues de minorités et discriminées dans le monde de l’art pour leur orientation sexuelle, couleur de peau, classe sociale... A côté des Frida Kahlo, Niki de Saint-Phalle ou Suzanne Valadon, L'art du féminisme expose ouvrières, queers, artistes d'origine africaine, femmes indiennes contre le viol...
La présentation des tableaux, affiches, dessins et photos est méthodique : trois époques divisées en quatre chapitres, développant chacun la fabrique de l'art de l'époque. L'art du féminisme commence dans les années 1850, aux débuts de l'art moderne. Une époque où la peintresse et précurseuse du féminisme Rosa Bonheur, en pantalon et cheveux courts à la garçonne, défrichait des sujets traditionnellement masculins, comme le Marché aux chevaux, tandis que, quelques années plus tard, la Britannique Elizabeth Thompson, peignait des scènes militaires.
Caroline Watts, Bugler Girl, 1908
Au tournant du XXe siècle, c'est la lutte pour le droit de vote des femmes qui occupe l'art et les esprits. Les femmes iront ensuite à la guerre, aux champs, à l'usine. Dans l'entre-deux-guerres, elles commencent à investir l'espace public, tandis que, derrière l'objectif, des photographes comme Vivan Meier, Dora Maar ou Germaine Krull proposent un nouveau regard.
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Spécialiste de l'art féministe aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, Amy Tobin, elle, nous plonge dans une période cruciale pour l'émancipation des femmes, celle qui s'étend du début des années 1960 à 1985. Un seul exemple : dans les années 1970, encore, les revues d’art n’accordaient pas plus de 5% de leurs pages aux plasticiennes, les principaux salons d’expositions n'en comptaient que 14 à 20%.
Cette période très politique et militante est celle de la revendication et du Mouvement de libération des femmes, de la seconde vague féministe, centrée sur les droits liés aux corps des femmes et la redéfinition de leurs rapports aux hommes. La représentation des femmes dans la publicité, le cinéma, la musique n'en était que plus importante. Mais pour innover, pour aller au-delà de la critique, il fallait des artistes féministes : "J'ai voulu montrer la grande diversité de l'art de cette période et surtout la diversité de ce que l'on peut concevoir comme l'art féministe, en allant au-delà des exemples classiques," explique Amy Tobin. Alors elle a râtissé large pour débusquer une matière originale. En Europe, en Afrique, dans le monde entier, elle a glané affiches, magazines, sculptures, manifestations, performances, peintures...
Masawi Huqooq (1983–84) - affiche réalisée par Lala Rukh pour le Women’s Action Forum.
C'est l'une des plus belles découvertes qu'Amy Tobin a faite en réalisant ce livre : Lala Rukh, artiste et militante pakistanaise décédée en 2017. "Je connaissais l'artiste, mais je n'avais jamais vu les affiches qu'elle a réalisé pour les actions féministes au Pakistan dans les années 1970. Elles font écho aux idées et à l'iconographie de l'art européen, en les tournant vers d'autres problématiques politiques. Je n'avais jamais rien vu de tel dans ce contexte, comme cette image d'une femme en hijab qui veut se défaire des chaînes de l'oppression contraste avec l'image occidentale de de la femme musulmane," explique l'historienne.
Du militantisme radical au musée, beaucoup d'artistes françaises ont contribué au féminisme, soit sur le plan théorique, soit par leur engagement dans l'action militante, notamment à travers les manifestations. "Ces actions comportaient d’importants éléments visuels, comme des affiches et d'autres objets qui descendaient dans la rue."
En 1974, à une époque où la vidéo n'est pas un média encore très investi, Delphine Seyrig fonde l’association Les Muses s’amusent qui se consacre à la création militante jusqu'au début des années 1980. "Elles filment la vie des femmes, mais aussi des sujets difficiles, à l'époque, comme la prostitution," explique Amy Tobin. D'autres artistes sont plus facilement associées aux beaux-arts, comme Lea Lublin, qui vivait en France, à Paris, dans les années 1970 : "Elle a beaucoup travaillé sur les enfants, les sentiments qui l'habitaient quand elle était au foyer, les injonctions et les attentes les qui pèsent sur les femmes", dit l'historienne.
L'Art du féminisme, un livre qui retrace près de 200 ans de lutte féministe à travers les arts. Au Japon, une pétition contre l'interdiction du port des lunettes au travail. Made in Bangladesh, un film qui dénonce l'exploitation des ouvrières du textile. pic.twitter.com/9mZH06SRzZ
— TERRIENNES (@TERRIENNESTV5) December 6, 2019
Si Amy Tobin ne devait garder qu'une oeuvre féministe ? Ce serait la série de portraits de Linder intitulée She/She, une oeuvre de 1981 où l'artiste joue avec sa propre image en coupant son visage avec d'autres images, d'autres textures. Car pour l'historienne : "Ces portraits en disent long sur la culture visuelle qui nous entoure, sur la manière dont le vêtement nous enferme dans un carcan et dont le choix vestimentaire peut être un acte de libération."
A l'ère des réseaux sociaux, alors que l'image et le visuel n'ont jamais eu autant d'importance, l'art féministe assume un rôle essentiel : créer un nouveau langage, une nouvelle iconographie pour représenter le genre et les différences. L'art féministe nous invite à réfléchir à la question : Quelle image voulons-nous donner ?
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