L'art mural des femmes de Makwacha, un passeport pour l'avenir

La "Maison des Métallos" à Paris consacre une exposition, la première au monde, à un art ancestral que les femmes de Makwacha, petit village situé tout au Sud de la République démocratique du Congo, ont fait renaître. Ces villageoises y puisent les moyens d'améliorer leurs conditions de vie. Rencontres.
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L'art mural des femmes de Makwacha, un passeport pour l'avenir
Des villageoises de Makwacha, dans le sud de la RDC, posent devant une de leurs toiles, vendue au fond de dotation African Artists for Development. L'oeuvre est actuellement exposée à la Maison des Métallos à Paris. ©Picha
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Les femmes et la renaissance d'un art traditionnel. Au Rwanda, un art ancestral aide les femmes à guérir des maux du génocide. En République démocratique du Congo, des villageoises en font renaître un autre pour financer le développement de leur village. Un art traditionnel devenu synonyme de développement. A Makwacha, petit village situé au Sud de la République démocratique du Congo, les habitantes pratiquent un art mural sur les murs extérieurs de leurs cases. Cette coutume est, pour la première fois, au cœur d'une exposition à la Maison des Métallos à Paris (du 7 au 27 avril 2014). Des murs à la toile, des cases de village à la salle d'exposition parisienne, l'art de Makwacha a fait un long voyage.  A l'initiative de cet événement : le fond de dotation français, "African Artists for Development" (A.A.D) en partenariat avec l'Association des femmes de Makwacha. Tous deux veulent faire connaître cette pratique artistique perpétuée par les femmes, afin de trouver des financements qui permettront d'améliorer le quotidien de tout le village en y développant les infrastructures, grâce à la vente de toiles sur lesquelles les villageoises reproduisent les motifs peints sur les murs de leurs maisons.
L'art mural des femmes de Makwacha, un passeport pour l'avenir
Pour réaliser ces peintures, les femmes de Makwacha s'inspirent des événements marquants de l'année passée. ©Matthieu Lombard/ ©Picha (Cliquer pour agrandir)
De mère en fille Exclusivement pratiquée par les femmes de l'ethnie Lamba, cette tradition picturale se transmet de mère en fille. Son origine reste floue. Les représentants de cette ethnie venus en France à l'occasion de l'exposition ne parviennent pas à dater son apparition. Jean-Pierre Cabaso, chef du village de Makwacha sait seulement que : "Le but était de rendre leur case plus belle, pour vivre dans un environnement propre. Car en Afrique, ce sont les femmes qui s'occupent du ménage, d'améliorer la maison, laver les assiettes, les habits, nous les hommes, nous sommes là pour apporter les provisions". Ces fresques sont éphémères. Chaque année, les "artistes" doivent renouveler les motifs de leur maison. Au début de la saison sèche, vers le mois d'avril, elles commencent à peindre les murs de leur case. Leurs outils ? Leurs mains, de la terre et des cailloux utilisés comme enduits, ainsi que des couleurs naturelles obtenues par de l'argile ou des plantes. En novembre, début de la saison des pluies, les dessins sont lessivés par les eaux. Elles doivent recommencer le processus à la saison suivante. Elles puisent leur inspiration dans leur vie quotidienne, en priorité, les faits marquants survenus dans le village durant l'année écoulée. "Quand elles ont commencé à peindre leur maison, elles ne savaient pas qu'elles étaient des artistes. C'est un Français qui leur a révélé cela (Hubert Mahé, directeur de l'institut français de Katanbashi à l'époque, ndlr). Cette culture était menacée de disparition, à cause de l'émigration. Tout le monde voulait avoir une vie de ville. Alors quand elles ont compris qu'il était important de garder notre culture, elles l'ont renouvelée. Ce fut la renaissance de cet art.", raconte encore le chef du village. Pour se réapproprier leur héritage, quelques unes se sont regroupées dans une association, et ont réintroduit l'art mural en 2004.
L'art mural des femmes de Makwacha, un passeport pour l'avenir
(Cliquer pour agrandir) ©Matthieu Lombard
"Elles sont devenues des leaders" Depuis 2009, Jean-Michel Champault, responsable des programmes et de l'action culturelle et artistique du fonds de dotation français A.A.D soutient cette renaissance via le projet "Women for Water". L'organisation leur a proposé de reproduire les fresques murales sur des toiles. Ils les ont alors achetées, avant de les exposer. En échange, trois puits d'eau potable ont été construits aux alentours du village, pour rendre plus facile la corvée de l'eau, toujours dévolue aux femmes, et source de fatigue et de dangers perpétuels. Avant l'arrivée de ces puits, elles parcouraient chaque jour près de 10 kms pour atteindre la source la plus proche. Une eau insalubre porteuse de maladies chroniques et une route dangereuse où circulent des camions transportant des minerais précieux. L'arrivée de ces puits leur a permis de se consacrer à d'autres activités... comme la peinture murale. "Je suis très contente de faire ce travail par rapport à d'autres femmes qui ne peuvent pas le faire", raconte Fernande Munsha Sebelwa, présidente de l'Association des femmes de Makwacha. Non seulement cet art leur a apporté l'eau potable mais il leur a aussi amené des touristes. Depuis quelques années, des anthropologues ou de simples voyageurs leur rende visite. "J'aimerais que cet art puisse nous rapporter beaucoup de choses. Nous avons encore des difficultés au village. Nous avons besoin d'un foyer professionnel car nous avons des belles-filles et des mamans qui ne savent pas écrire", explique Fernande Munsha Sebelwa. La pratique de la peinture murale leur a conféré un nouveau statut social, un nouveau pouvoir. En 2012, l'AAD a légué les trois puits d'eau potable à l'Association des femmes de Makwacha, et depuis ce sont elles qui gèrent l'accès à l'eau potable. "Avant, nous puisions de l'eau sale. Depuis que nous avons cet eau potable, nous ne sommes plus exposés aux maladies comme le paludisme, la fièvre. Ces femmes jouent aujourd'hui un rôle capital. Elles sont devenues des leaders", se félicite Jean-Pierre Cabaso.

#3 - Madeleine Mpala Kasongo / ARTISTE & HABITANTE DE MAKWACHA

#2 - Fernande Munsha Sebelwa / ARTISTE & PRESIDENTE de l'Association des femmes de Makwacha

Fernande Munsha Sebelwa, habitante du village de Makwacha, est à la tête de l'Association des femmes de Makwacha.

#1 - Jean-Pierre Cabaso / CHEF DU VILLAGE