Centenaire artistique

L'artiste québécoise Françoise Sullivan fête ses 100 ans

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Catherine Sullivan

Catherine Sullivan, centenaire, devant l'une de ses oeuvres exposées au Musée des arts de Montréal en novembre 2023. 

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Quoi de mieux, pour célébrer son centième anniversaire, que de s’offrir une exposition au Musée des Beaux-Arts de Montréal, une fresque gigantesque dans le centre-ville de Montréal et un podcast pour parler de danse ? C’est ce que vient de faire l’artiste québécoise, Françoise Sullivan, qui a marqué tant les arts visuels et inspiré nombre de chorégraphes. Portrait.

Le plus fascinant, quand on rentre dans la salle où sont exposées les œuvres de Françoise Sullivan, c’est de constater qu’elle a peint cette année et l’an dernier la majorité des tableaux. Un processus créatif, qui explose en couleurs éclatantes alors qu’elle a fêté ses cent ans le 10 juin dernier ! La maîtrise des textures, le mélange des teintes… « Oui, c’est prodigieux, approuve Stéphane Aquin, le directeur du Musée des Beaux-Arts de Montréal, c’est un tel niveau d’engagement, de créativité, de qualité, et même de pertinence, c’est remarquable. Et c'est remarquable d'avoir été si créatives sur autant de décennies, 80 ans de création ! ».

exposition Sullivan

Vue de l'exposition de Françoise Sullivan "Je laissais les rythmes affluer" au Musée des Beaux arts de Montréal, inaugurée le 30 octobre 2023.

©Catherine François

C’est Stéphane Aquin qui a proposé à Françoise Sullivan de monter une exposition pour célébrer son centenaire, 20 ans après la rétrospective que le MBAM lui avait consacrée. Alors qu’on célèbre cette année le centenaire de naissance du grand peintre québécois Jean-Paul Riopelle, le directeur du Musée des Beaux-Arts de Montréal voulait aussi rendre hommage à cette artiste qui, elle, est toujours parmi nous. Il lui en a parlé, et elle a tout de suite accepté, elle est allée dans son atelier, a sorti ses toiles, ses tubes et ses pinceaux et elle a peint, en laissant libre cours à son inspiration, son émotion du moment, de l’instant présent.

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"Je laissais les rythmes affluer"

On s’amuse aussi à lire les noms des tableaux, tous plus poétiques les uns que les autres : « Tu glisses dans les espaces », « Tes éclairs m’éblouissent », « Sous les vapeurs d’un volcan un souffle flottait »,

"Tes éclairs m'éblouissent"

"Tes éclairs m'éblouissent", collection de l'artiste, avec l'aimable concours de la galerie Blais. ©Françoise Sullivan/CARCC 2023

©Guy L'Heureux

« Déesse, où donc vas-tu ? », « Et la nuit, comme un manteau », « On y sent la succession des âges », « L’Annonciateur des Lunes », etc. Quelle imagination ! « Oui, c'est très beau, et elle a trouvé ces titres après coup, elle s’est inspirée du roman Salammbô de Gustave Flaubert, c’est un peu comme un poème quand on les lit l’un après l'autre ». Sans oublier le nom même de l’exposition : « Je laissais les rythmes affluer », heureux mariage entre les deux passions dans la vie de l’artiste : la danse et la peinture.

Oeuvre de Françoise Sullivan

"On y sent la succession des âges", collection de l'artiste avec l'aimable concours de la galerie Simon Blais, Montréal. @Françoise Sullivan/CARCC 2023

©Guy L'Heureux

Fondatrice du groupe des automistes

Françoise Sullivan est l’une des artistes peintres marquantes du Québec, une figure de proue de l’art moderne, maître de la peinture abstraite et membre fondatrice du groupe des automatistes en 1941, l’un des premiers du genre. Elle est aussi l’une des rares femmes à avoir signé, en 1948, le manifeste du Refus global, ce fameux manifeste rédigé par les plus grands artistes québécois de l’après-guerre pour dénoncer les valeurs traditionnelles de la société québécoise d’alors, dans lequel elle a fait insérer un texte sur la danse.

C'est une pionnière de la danse moderne au Québec et au Canada, avec des spectacles, à la fin des années quarante, qui ont marqué leur époque et elle est reconnue d'ailleurs mondialement pour ça. Stéphane Aquin, directeur du Musée des Beaux-Arts de Montréal

« Elle n’est pas juste un témoin de l’Histoire, elle en a été une actrice, souligne Stéphane Aquin. En fait, elle a apporté beaucoup à plusieurs formes d'art, d'abord à la danse, c'est une pionnière de la danse moderne au Québec et au Canada, avec des spectacles, à la fin des années quarante, qui ont marqué leur époque et elle est reconnue d'ailleurs mondialement pour ça.»

"Maison pour des triangles" de Françoise Sullivan

"Maison pour des triangles" de Françoise Sullivan, MBAM (1960), don de Jeanne Renaud, chorégraphe. @Françoise Sullivan/CARCC 2023

©Photo MMFA/ Jean-François Brière

Ensuite, elle a fait un travail en sculpture dans les années cinquante et soixante et elle était l’une des seules femmes à faire de la sculpture au Canada à cette époque. Elle a été très active sur la scène conceptuelle canadienne dans les années soixante-dix. Et là, depuis les années 80, elle fait un retour en force sur la scène de la peinture, une scène d’où elle s’était retirée dans les années 60 et 70 parce qu’elle était pleinement occupée par les maîtres qu’étaient Riopelle, Borduas. Et maintenant elle est libre d’être le formidable peintre qu’elle est et qu’elle a toujours été, parce que la peinture a toujours été sa plus grande passion ».

Exposition Sullivan à Montréal

Vue de l'exposition "Je laissais les rythmes affluer" de Françoise Sullivan au Musée des Beaux Arts de Montréal. 

©Catherine François

Sa folle passion pour la danse

La danse est l’autre grande passion de Françoise Sullivan. Elle en parle dans un podcast « Faire corps » qui vient de sortir sur la plateforme de la Fabrique culturelle de Télé-Québec.

Avec l’animatrice Marie-Gabrielle Ménard, Françoise Sullivan revient sur sa carrière de danseuse et de chorégraphe. Elle se souvient de son texte « La danse et l’espoir » publié dans le manifeste Refus global en 1948, ce qui a permis d’intégrer la danse dans la démarche révolutionnaire de ces artistes québécois. Sans oublier ses chorégraphies les plus marquantes : Dualité, Dédale et Danse la neige, magnifique série de photos prises par Maurice Perron alors qu’elle improvisait une chorégraphie dans des paysages enneigés.

« C’était comme un lieu béni, merveilleux » se rappelle Françoise Sullivan, en racontant que cette idée folle d’aller danser dans un paysage sous la neige avait pu se réaliser grâce au peintre Jean-Paul Riopelle, à qui elle avait confié qu’elle rêvait de faire une danse dans la neige. C’était en 1948 : « On était tellement ému, on a mis les bras autour et on s’est dit, on l’a fait, on a fait quelque chose d’extraordinaire » confie la centenaire qui n’a rien oublié de ces moments fabuleux qui ont marqué sa carrière. Cette série de magnifiques photos est depuis entrée dans les livres d’histoire et dans la mémoire collective.

"Sous la neige" Françoise Sullivan

"Sous la neige",  Françoise Sullivan.

©Catherine François

Dans le podcast, plusieurs chorégraphes rendent hommage à Françoise Sullivan, dont Paul-André Fortier : « Françoise a eu une très grande influence sur l’artiste que je suis devenu, Françoise m’a enseignée une chose pour moi qui est fondamental, c’est que tu ne crées pas pour plaire aux gens, tu crées parce que tu as des choses à dire, tu les dis comme tu dois les dire, tu vas au bout de tes idées et tu ne le fais surtout pas pour plaire, tu le fais parce que tu y crois ».

« L’artiste doit conserver une conscience morale très forte et être intransigeant avec lui-même devant les autres, devant la société et il doit agir en conséquence et c’est très très important », a toujours dit Françoise Sullivan. « Je la connais bien, ajoute Stéphane Aquin, elle est d’une fraîcheur, d’une simplicité, elle a une telle présence, c’est tout simplement admirable ».

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La plus grande fresque murale de Montréal en son honneur

Françoise Sullivan a assisté à l’inauguration de son exposition au Musée des Beaux-Arts de Montréal le 30 octobre dernier. Quelques semaines plus tôt, elle était aussi présente lors de l’inauguration d’une immense fresque murale peinte en son honneur dans le centre-ville de Montréal. Réalisée par l’organisme MU, qui depuis 15 ans maintenant transforme Montréal en musée à ciel ouvert avec ces murales colorées, cette œuvre est la plus grande jamais réalisée, elle reproduit une partie de l’un des tableaux de Françoise Sullivan qui a été partie prenante lors de la création de l’œuvre.

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« Il fallait la convaincre d'utiliser déjà ce tableau-là, elle avait d'autres œuvres dans la tête, mais nous on était persuadé que c'était l'œuvre qui s'adapte le mieux au mur en fait » raconte l’un des artistes du collectif, Julien Sicre, qui se dit très fier d’avoir rendu hommage à cette artiste maître de la peinture abstraite et très content qu’elle soit satisfaite de l’œuvre. « Françoise Sullivan représente un chapitre important de l'histoire de l'art au Québec, notamment parce que c'est une femme artiste », ajoute Arnaud Grégoire, le deuxième peintre dans le projet. Il a fallu trois mois à Julien, Arnaud et leur équipe pour peindre cette oeuvre, des esquisses, de la maquette à la peinture, installés dans le vide sur un pont volant.

Après avoir rendu hommage à Riopelle et à Cohen dans le centre-ville, c'était important pour nous de rendre un hommage de taille comparable à une femme.  Elizabeth-Ann Doyle, la directrice générale et artistique du MU

« Après avoir rendu hommage à Riopelle et à Cohen dans le centre-ville, c'était important pour nous de rendre un hommage de taille comparable à une femme, précise Elizabeth-Ann Doyle, la directrice générale et artistique du MU, J'avoue que cette murale, c’est mon coup de cœur, je suis très fière de rendre hommage à une femme, une grande artiste, il y a un potentiel de réécrire l'histoire de l'art et de donner davantage une place aux femmes, alors de pouvoir lui rendre hommage de son vivant, avec une œuvre originale de surcroit, ça me touche beaucoup ».

Ce patchwork coloré illumine le ciel de cette ville où est née Françoise Sullivan, un symbole à la juste hauteur de cette artiste hors du commun.

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