Roma Tearne est un petit bout de femme énergique qui, en un sourire, vous enveloppe d'une tendre humanité. Dans un salon de thé parisien, entre deux gorgées brûlantes, elle parle de sa vie et de son œuvre... sans chichi. Les mots coulent dans sa bouche. Sincères et drôles. Pourtant le sujet est grave et difficile. Puisque c'est de la guerre dont elle parle. La guerre qu'elle porte en elle, dans ses propres veines.
DU SANG-MELE
Roma Tearne est une « sang-mêlé ». Elle est née au Sri Lanka au lendemain de la décolonisation britannique d'une mère cingalaise et d'un père tamoul. A l'âge de 9 ans, elle doit tout quitter. Les deux principales communautés qui se partagent l'île depuis la nuit des temps (ou presque) ne se supportent plus. La guerre civile est sur le point d'éclater. La situation devient invivable pour ses parents rejetés des deux camps.
Son père est le premier à partir pour Londres. Elle et sa mère le retrouvent quelques mois plus tard après un voyage de 21 jours en pleine mer. « J'étais contente de partir, confie Roma Tearne. J'avais eu très peur au Sri Lanka. Dès que j'ai mis les pieds en Angleterre j'ai tout aimé. La liberté et mes nouveaux amis anglais, écossais, irlandais qui jamais me disaient "Toi, tu n'es pas une vraie Cingalaise". C'en était fini de cette petite mentalité renfermée que j'avais connue au Sri Lanka. Je me suis intégrée sans douleur sans souci. »
Mais la guerre et son île ne sont jamais très loin de Roma Tearne. Publié en 2007, son premier roman Mosquito évoque la torture qui a sévi au Sri Lanka pendant la guerre civile. Son deuxième, Bone China, est consacré à l'exode et au déplacement de milliers de Sri Lankais. Quant au troisième, Retour à Brixton Beach, qui vient de paraître en français chez Albin Michel, il raconte l'histoire d'un déracinement, la tragédie de sa propre mère.
HOMMAGE A SA MÈRE
« Alors que j'étais très proche de mon père, j'ai toujours été en conflit avec ma mère. Elle m'énervait, confie l'écrivaine. Au Sri Lanka, elle avait été une grande militante pour les droits humains, une brillante journaliste. Mais en Angleterre, elle n'a jamais réussi à s'intégrer. Et ça je ne le supportais pas. Elle a gardé son accent toute sa vie alors que je l’ai perdu en quinze jours. Elle ne s'est jamais remise de son enfant mort à la naissance, juste avant notre départ. Elle n'a plus jamais réécrit. Moi, je voulais qu'elle soit plus forte. Pendant des années, je ne l'ai pas comprise... »
Jusqu'au jour fatale de la mort. « Elle est décédée brutalement d'une crise cardiaque dans son lit après avoir fait un gâteau pour ma fille, poursuit Roma Tearne. A ses funérailles, les quelques parents qui lui restaient au Sri Lanka n'ont pas envoyé une seule fleur. Cela m'a profondément choquée. Et là je me suis rappelé de ce que ma mère m'avait dit juste après la perte de son enfant : "personne ne voudra connaître mon histoire. Tout le monde s'en moque." »
Aujourd'hui, Roma Tearne lui redonne la parole dans Retour à Brixton Beach, un roman-fleuve fiévreux et lumineux, commençant dans le Sri Lanka des années 1960 et aboutissant aux attentats terroristes de Londres en 2005. La plume est sensible. Elle touche là où ça fait mal. Elle raconte les tourments de l’exil, les douleurs de la solitude. Mais aussi l'amour de l'art et du beau, l'amour tout court, celui qui permet de résister à la violence du monde.
C’est sur le tard que Roma Tearne s'est mise officiellement à l'écriture. En fait, c'est d'abord la peinture qu'elle a embrassée avec succès. Diplômée de l’école des Beaux Arts de Ruskin, elle a été repérée par l’Académie royale des arts de Londres. En 2002, elle est devenue une des artistes en résidence du musée Ashomlen à l’université d’Oxford et a réalisé en 2003 une exposition solo au MLAC, galerie d'art contemporain à Rome.
UN MESSAGE ANTI-GUERREChez Roma Tearne, les arts s'entrecroisent et s'interpellent. Son écriture est comme une peinture. Les mots sont une palette.
« Mais je ne fais pas cela de manière consciente, c’est les gens qui l'observent et qui me le disent, précise-t-elle.
Ce n’est pas délibéré. Je suis de nature plutôt chaotique. D'ailleurs je n'arrive pas à peindre et écrire en même temps, je fais l'un ou l'autre. »Pour sa dernière création artistique, c'est d'abord l'écriture qui est venue, aboutissant à la publication (uniquement en anglais pour l'heure) de son quatrième roman
The Swimmer. Puis l'envie de faire un film est survenue.
« Quand j'écrivais ce livre, très visuel, je me disais que je pourrais en faire autre chose mais je ne savais pas quoi jusqu'au jour où j'ai rencontré un photographe sur une plage. » De là, est né un film expérimental,
The swimmer : the true story, présenté à
la Biennale de Venise du printemps 2011 dans le cadre d'une installation artistique poignante : derrière des fils barbelés, une paillasse salée et abandonnée traîne dans un coin et, au-dessus, des photos de Sri Lankais morts flottent dans des bocaux remplis d'eau.... Encore le thème lancinant de la guerre.
« Je suis contre toute forme de guerre, réplique Roma Tearn quand on l'interroge sur son engagement politique
. Je pense que l'on ne gagne jamais rien avec la guerre. La seule chose qu'on fait, c'est perdre des vies. Je ne suis pas une activiste mais je suis tellement anti-violence... C'est cela mon vrai message. » Repère : la guerre civile du Sri Lanka
De 1983 à 2009, selon les dates officielles, la guerre civile du Sri Lanka a opposé le gouvernement national, dominé par la majorité cinghalaise bouddhiste, et les Tigres de libération de l'Îlam tamoul (LTTE), organisation séparatiste luttant pour la création du Tamil Eelam, un État indépendant dans l'est et le nord du pays, majoritairement peuplé de Tamouls de religion hindoue (18% de la population du pays).
L'ONU estimait fin mai 2009 que le conflit a fait au total entre 80 000 et 100 000 victimes