Fil d'Ariane
« Les cheveux texturés - de bouclés à crépus - sont parfois dénigrés, mal compris, et mal perçus dans notre société. On a décidé de créer une structure pour célébrer, et mettre en valeur ce type de cheveux à travers des événements culturels. » Kemi Adekoya, 23 ans, vice-présidente de l’association SciencesCurls déroule les intentions de cette organisation née en septembre 2016, dans l’enceinte du prestigieux Institut d'études politiques de Paris (Sciences Po). L’étudiante partage le même constat avec trois condisciples et amis : Franck Gbaguidi, 23 ans, responsable du partenariat, et Réjane Pacquit, 22 ans, présidente. Tous trois, accompagnés de Loubna Banou, fondent l’association et invitent les étudiants et les spécialistes à débattre sur les cheveux naturels des afro-descendants.
Comment je me coiffe pour un entretien ? Est-ce que si je me fais des tresses ça va aller ?
« Si les afro-descendants ne se posaient pas la question : "comment je me coiffe pour un entretien ?" "Est-ce que si je me fais des tresses ça va aller ?" "C’est mieux si je me lisse les cheveux ?", alors le cheveu serait un non sujet ». Kemi Adekoya, aux longues tresses, égrène certains dilemmes qui inquiètent les étudiants aux cheveux crépus.
En France et ailleurs, la stigmatisation capillaire au travail et à l’école pousse certaines personnes à défriser leurs cheveux, ou à la dénoncer.
En août 2016, à Pretoria (Afrique du Sud), des lycéennes noires ont manifesté contre le règlement intérieur de leur établissement. Il leurs interdisait de porter des coupes afro et les obligeait à attacher et lisser leurs cheveux.
A retrouver sur ce sujet dans Terriennes:
> Lissage obligatoire et autres maltraitances racistes pour des lycéennes d'Afrique du Sud
En 2014, à Copenhague, au cours d’une conférence, l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie affirmait lors d’une conférence : « Si Michelle Obama ne lissait pas ses cheveux, Barack Obama n’aurait pas gagné les élections. »
En 2012, à Paris, Air France sanctionnait d’une mise à pied de cinq jours, Aboubakar Traoré. La compagnie aérienne jugeait sa nouvelle coiffure “dread locks“, non conforme aux standards internes.
Pour aimer leurs cheveux, les étudiantes doivent s’approprier un savoir-faire
Réjane Pacquit, étudiante et présidente de SciencesCurls
Pour Réjane Pacquit, des afro-descendants adoptent, souvent par mimétisme, des coiffures en accord avec les « diktats de la pop culture occidentale ». Voilà pourquoi, il est important pour SciencesCurls en partenariat avec l'Association Sciences Po pour l'Afrique, d’organiser des événements comme l’exposition photo du 6 avril 2017 dans le cadre de la semaine africaine. On y découvre une série de portraits. Chaque cliché est associé à un témoignage écrit. Il révèle les remarques acerbes faites sur les cheveux du sujet photographié.
La même journée, un atelier foulard, prend place dans les locaux de l’école de sciences-politiques Paris. Selon Réjane Pacquit :« pour aimer leurs cheveux, les étudiantes doivent s’approprier un savoir-faire. » Savoir entretenir, mettre en valeur leurs cheveux.
Les expositions, les ateliers et les conférences, servent de plateforme de discussions à l’association SciencesCurls. Les étudiants parlent de leur vécu, et des intervenants comme Juliette Sméralda, apportent leurs expertises. La sociologue, auteure d'un ouvrage fondamental sur le sujet du défrisage des cheveux crépus chez les peuples africains et afro-antillais "Peau noire, cheveu crépu. L’histoire d’une aliénation" (ed jasor 2004) continue à écrire articles et essais sur ce thème.
« Ce mimétisme esthétique » décrit dans l’essai de Juliette Sméralda, chargée d’enseignement à l’Université des Antilles et de la Guyane, Réjane Pacquit l’a subi. Aujourd’hui, la présidente de SciencesCurls, arbore une coupe afro. L’étudiante en dernière année de marketing à Sciences Po, a dépassé le rapport conflictuel qu’elle entretenait avec ses cheveux. Mais, pendant des années, la jeune femme engagée, fière de sa culture martiniquaise, a tenté de « mater » la nature de ses cheveux pour répondre aux standards occidentaux de beauté.
« Je n’avais pas conscience que j’entretenais une haine de mon cheveu. De 10 à 20 ans, toutes les six semaines je me suis défrisée les cheveux. Dès que mes racines bouclées réapparaissaient je courais chez le coiffeur. Je vivais ma nature de cheveux comme un problème. » Réjane Pacquit revient sur ses années de défrisage. « C’était ma routine. Je concevais ma féminité ainsi. Se lisser les cheveux participait à un rite de passage de fille à femme. Je me sentais heureuse avec une chevelure, sans boucle, ondulant au gré du vent. »
Je me suis défrisée, seule, dans une chambre. Je me suis brûlée les trois-quarts du crâne
Réjane Pacquit, étudiante et présidente de SciencesCurls
En 2015, Réjane Pacquit s’installe à Salamanque : « Les salons destinés à mon type de cheveux n’existaient pas. J’ai demandé à ma mère de me rapporter un pot de produit de défrisage de Martinique, rien d’autre. Je me suis défrisée les cheveux, seule, dans ma chambre. Je me suis brûlée les trois-quarts du crâne. J’avais des croûtes. Les blessures s’avéraient superficielles. A ce moment là, j’ai compris que je ne me lissais pas les cheveux pour les bonnes raisons. Je refusais d’accepter une partie essentielle de mon identité. »
Depuis quelques années, le mouvement nappy fait bouger les lignes sur l’identité noire à travers les cheveux. Le terme « nappy » est né d’une fusion de deux mots anglais « Natural and happy » : « naturel et heureux ». Les femmes et les hommes décident d’assumer leur nature de cheveux. « C’est vrai que ces 5 dernières années avec l’émergence du mouvement Nappy, la question du cheveu crépu est de plus en plus médiatisée. » ponctue Réjane Pacquit.
A retrouver sur ce sujet dans Terriennes :
> Nappy et happy : la coiffure afro émancipatrice !
« Arborer une coupe afro », ou laisser ses cheveux « au naturel » ne représente pas un acte militant. Toutefois aujourd’hui, elle se « justifie » sur sa coiffure quotidiennement : "quand des badauds, ou d’autres étudiants posent des questions sur mes cheveux : « tes cheveux restent toujours emmêlés ?», « laves-tu tes cheveux ? »". Elle doit alors servir un discours politique. Pourtant « mon cheveu en lui-même n’est pas plus politique qu’un autre ». Réjane Pacquit conclut : « porter mes cheveux en afro, c’est une question de liberté, tout simplement. Personne ne devrait avoir à produire un discours sur son apparence naturelle. Les cheveux bouclés, lisses, crépus ou l’absence de cheveux, incarnent les multiples manières de se présenter au monde. Dans l’absolu, porter son cheveu naturel n’a rien de politique et j’espère que cela finira par cesser de l’être. »
Dans cette optique, l’association SciencesCurls a atteint son objectif. « Des étudiantes présentent à l’exposition photographique d’aujourd’hui m’ont confié se sentir rassurés dans leur démarche de laisser leurs cheveux naturels » déclare Franck Gbaguidi. Kemi Adekoya conclut : « Je ne me fais pas de soucis après notre départ, on laissera l’association entre de bonnes mains. La relève est assurée ! »
A propos d'une initiative autour du foulard à Science Po, à retrouver dans Terriennes
> "Hijab day" à Sciences-Po : hissez le voile !