Anne Lauvergeon ne s'en est jamais cachée. C'est une militante de la cause des femmes. Une volontariste.
« A compétences égales, eh bien désolée, on choisira la femme ou on choisira la personne venant de... Autre chose que le mâle blanc, pour être clair… »,
avait-elle lancé au Women Forum de Deauville en 2009. Mais deux ans plus tard, c'est Nicolas Sarkozy qui lâche la femelle et choisit le mâle (blanc). Le président français a décidé de ne pas reconduire Anne Lauvergeon à la tête du groupe nucléaire Areva et de nommer à sa place son numéro 2, Luc Oursel. Alors qu'une
loi sur la mise en place de quotas au sein des conseils d’administration a été votée au début de l'année 2011, cette décision présidentielle n’est pas un signe encourageant pour la promotion des femmes dans les hautes sphères des entreprises françaises. Car limoger Anne Lauvergeon, c’est mettre fin à un puissant symbole de réussite au féminin. L’« Atomic Anne », comme la surnomme la presse américaine, était la seule et unique femme patronne d’une multinationale française. En août 2009, elle figurait à la 9e place du classement Forbes des femmes les plus puissantes du monde. Elle s’est fait depuis rétrograder en 24e position mais reste la première Française du classement.
PIONNIERE Anne Lauvergeon, c’est l’exemple parfait de ces premières femmes qui sont parvenues dans les années 80 à pulvériser le plafond de verre, à dépasser tous les obstacles (visibles et invisibles) qui empêchent les salariées du deuxième sexe d’accéder aux plus hauts postes de pouvoir. Comme le disent les sociologues du genre, c’est une « pionnière ».
« Par son parcours, elle rassemble toutes les caractéristiques de ce profil particulier de femmes », précise
Cécile Guillaume, maîtresse de conférence, spécialiste des inégalités professionnelles entre les sexes. Premièrement, elle a excellé dans ses études. Fille d’un professeur d’histoire et d’une assistante sociale, Anne Lauvergeon opte pour les sciences dures, un domaine peu investi par les femmes. Elle décroche l’agrégation de physique à l’âge de 21 ans et intègre l’Ecole des Mines, l’une des plus anciennes et prestigieuses écoles d’ingénieurs en France. Deuxièmement, elle a obtenu le soutien d’hommes extrêmement puissants qui lui ont ouvert des portes. En 1990, alors qu’elle a tout juste 30 ans , elle fait son entrée à l’Elysée où elle est vite repérée par le président lui-même François Mitterrand qui fait d’elle son « sherpa » ( pendant quatre ans elle est sa représentante personnelle lors de sommets internationaux). Troisièmement, elle est parvenue à maîtriser à la perfection l’art subtil du « réseautage ».
« Comparées aux hommes, les femmes ont tendance à moins s’investir dans le relationnel et à sous-utiliser leur reséaux potentiel, précise Cécile Guillaume.
Mais ce n’est pas le cas d’Anne Lauvergeon qui a su, au contraire, s’appuyer sur un solide réseau croisé. » En 1997, le directeur d’Alcatel la recrute pour son carnet d’adresses. En 1999, le Premier ministre socialiste Lionel Jospin la nomme à la tête de la Cogéma avec l’appui de Dominique Strauss-Kahn.
« A l’époque, la Cogéma était l’entreprise la plus détestée de France et il n’y avait pas forcément foule de candidats », racontera Anne Lauvergeon dix ans plus tard. Mais c’est à partir de ce poste qu’elle réalise la fusion avec Framatome et crée un géant mondial du nucléaire, Areva. Ses accointances avec la gauche ne l’empêchent de fréquenter la droite. Elle bénéficie de la bienveillance de Jacques Chirac et entretient de bons rapports avec Nicolas Sarkozy quand il détient notamment le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. D’ailleurs dès qu’il remporte la présidence de la République en 2007, il pense à elle et lui propose Bercy. Mais Anne Lauvergeon décline l’offre. C’est le début d’une crise interpersonnelle qui aboutira quatre ans plus tard à son éviction d’Areva.
LES INEGALITES DE CARRIERE Tout au long de son parcours, Anne Lauvergeon s’est mobilisée pour une meilleure représentativité des femmes au sein des postes à fortes responsabilités. D’après un étude de l’APEC (l’agence pour l’emploi des cadres) publiée en mars dernier, les cadres françaises se heurtent au plafond de verre à partir de 35 ans et c’est après 40 ans que les inégalités de carrière se creusent sérieusement. Si la part des femmes cadres en France a augmenté de 23 % en 20 ans , seules 11 % d’entre elles occupent des postes de direction (direction générale ou d’un département ou d’une identité) contre 23 % de leurs homologues masculins. Et quand on mise encore plus haut, les femmes fondent comme neige au soleil. Elles sont à peine 8% à siéger aux conseils d’administration des sociétés du CAC 40.
UN NOUVEL EFFET DU PLAFOND DE VERRE ? Dans ce contexte, faudrait-il donc interpréter le limogeage d’Anne Lauvergeon comme un nouvel effet du plafond de verre ?
« Même si le contexte s’y prête, ce serait une interprétation abusive, analyse Cécile Guillaume.
Anne Lauvergeon a largement dépassé le plafond de verre. On est sur d’autres logiques, notamment des logiques d’influence, propres au marché des hauts dirigeants. A mon avis, elle paye davantage le contexte du nucléaire et la stratégie d’Areva. Mais avec tous les mandats sociaux qu’elle détient par ailleurs dans des multinationales telles que Total, elle ne manquera pas d’opportunités. »