Tout a commencé à la projection d'un documentaire de la cinéaste française Coline Serreau à Montréal devant un parterre constitué uniquement de femmes réalisatrices.
« C'est à cette occasion que la militante Lucette Lupien a ressorti de vieilles statistiques révélant une tendance à la baisse du nombre de réalisatrices depuis 15 ans », se souvient Isabelle Hayeur qui préside aujourd'hui
les Réalisatrices équitables.
« Ca a été un choc, renchérit Nicole Giguère, la vice-présidente.
Nous pensions que la tendance allait dans le sens inverse. Nous sommes enflammées en disant qu'il fallait dénoncer cet état de fait. » Tout est allé alors très vite. Création du collectif, élection d'un conseil d'administration et rédaction d'une lettre ouverte diffusée dans la presse. Un cri d'alarme qui a fait des remous !
« On ne nous a pas crues, raconte encore sidérée Isabelle Hayeur. Nous avons été accusées de mentir, d'exagérer les chiffres, d'être agressives… » Mais, les réalisatrices équitables ne se sont pas démontées. Pour obtenir des données irréprochables, elles ont fait appel à la « rock star » des études féministes au Québec, Francine Descarries.
Effet plafond de verre
Alors, qu'est-ce qui bloque ? Pourquoi cette déperdition féminine entre la fin des études et l'arrivée sur le marché du travail ? « C'est au niveau des producteurs, diffuseurs et distributeurs que tout se joue, explique Isabelle Hayeur. Ils donnent plus leur chance aux hommes qu'aux femmes. Dès que les demandes de financement se font sans intermédiaire, les réalisatrices sont plus nombreuses. »
Second phénomène qui se combine au premier : le fameux plafond de verre. Dans le cinéma comme dans tant d'autres secteurs économiques, les femmes disparaissent des projets au fur et à mesure que les budgets de films gonflent. « Elles sont en fait exclues des viviers où sont repérés les réalisateurs prometteurs pour faire de longs métrages de fiction au budget conséquent : la photographie et plus encore la publicité qui est un monde ouvertement sexiste », dénonce Isabelle Hayeur.
Mais depuis la création du collectif, l'équité n'a-t-elle pas gagné du terrain ? « Pas vraiment, s'attriste Nicole Giguère. La dernière étude que nous avons publiée en 2012 l'atteste. Les réalisatrices restent minoritaires et marginales. » Il faut dire que la période n'est pas la plus faste pour le cinéma québécois. « Le système de distribution est en crise et les aides à la production se réduisent comme une peau de chagrin à cause des coupes budgétaires orchestrées par notre gouvernement conservateur », précise Isabelle Hayeur.
En revanche, le collectif s'est étoffé comptant désormais 150 membres et plus de 500 sympathisants. Il a gagné en crédibilité et en reconnaissance. « Nous avons d'excellents soutiens auprès des journalistes, nous sommes reçues par la plupart des institutions et nous travaillons désormais en étroite collaboration avec la ministre de la Culture », se réjouit la présidente.
Pour une mixité égalitaire
Dans ce travail de lobbying, les Réalisatrices équitables plaident pour des mesures incitatives imposées par le politique. « Une charte de l'équité, comme cela a pu se faire en France, ce n'est pas suffisant. Nous voulons populariser le modèle suédois appelé "mixité égalitaire" qui recommande la pratique de quotas entre 60 et 40 % d'un même sexe. Ce qui offre une certaine souplesse tout en assurant une mixité réelle. » Une méthode qui est en outre compatible avec la culture québécoise. « Dans le cinéma, nous avons déjà des programmes spécifiques pour les autochtones et les anglo-saxons. Alors pourquoi pas pour les femmes ? », interroge Nicole Giguère.
Les réalisatrice équitables aident aussi en direct les réalisatrices. Compilation de 20 courts-métrages réalisés par des femmes, envoyée aux producteurs. Edition du livre « 40 ans de vues rêvées » racontant le parcours des réalisatrices québecoises depuis 1972 . Mise en place de collaborations avec des festivals internationaux comme
celui de Créteil où les Réalisatrices équitables ont pu présenter différents documentaires québecois dont
le surprenant
Film de chasse de femmes de Julie Lambert qui montre comment des femmes prennent plaisir à tirer le gibier pour se nourrir.
« Ce genre de festival international qui valorise les réalisatrices, ça reste très utile. Ce n'est pas un ghetto pour réalisatrices. On découvre des films ouverts sur la diversité du monde et des sociétés. Nous sommes ravies d'être là. »