L'avortement hors la loi au Honduras

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Une manifestante mobilisée contre l'adoption d'un article de loi durcissant l'interdiction de l'avortement, dans un pays où elle est déjà l'une des plus strictes au monde, Tegucigalpa, 26 janvier 2021. 
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Des femmes manifestent le Jour de la Femme au Honduras, pour protester contre l'adoption d'un article de loi durcissant l'interdiction de l'avortement, dans un pays où elle est déjà l'une des plus strictes au monde, Tegucigalpa, 26 janvier 2021. 
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Le Honduras vient de durcir - un peu plus encore - sa loi interdisant l'avortement. Pour les associations de défense des droits des femmes, l'article 67 adopté fin janvier grave dans le marbre l'interdiction totale de l'IVG. Des milliers de femmes sont hospitalisées chaque année suite à des avortements clandestins effectués dans de mauvaises conditions sanitaires. Parmi elles, de très jeunes filles, entre 10 ans et 14 ans.  

Elle était déjà l'une des plus strictes au monde. La voilà désormais en tête de liste. Le parlement du Honduras, à majorité conservatrice, a approuvé une réforme constitutionnelle qui durcit encore l'interdiction de l'avortement.

L'article 67 de la Constitution révisé stipule désormais que toute interruption de grossesse "par la mère ou par un tiers" est "interdite et illégale", mais surtout que cette clause "ne pourra être réformée que par une majorité des trois quarts des membres du Parlement".

"La pratique de toute forme d’interruption de la vie de l’enfant à naître, dont il faut respecter la vie à tout moment, est considérée interdite et illégale, précise désormais l’article 67. Les dispositions légales qui seraient créées après l’entrée en vigueur du présent article et qui établiraient le contraire seront nulles et non avenues."

Ce "bouclier contre l’avortement au Honduras" avait été présenté le 11 janvier par un député du Parti national au pouvoir, Mario Pérez. Il s'était justifié par sa volonté de stopper "la vague de réformes constitutionnelles dans des pays d’Amérique latine, encouragées par des gouvernements de gauche, destinées à légaliser l’avortement, comme cela a eu lieu en Argentine récemment". 

L'avortement est interdit au Honduras par la Constitution depuis 1982. C'est l'un des rares pays au monde qui interdit l'avortement y compris en cas de viol ou d'inceste, de malformation grave du foetus ou quand la vie ou la santé de la mère sont menacées.

Notre dossier Terriennes sur l'avortement >Le droit à l'avortement dans la tourmente

IVG : une interdiction gravée dans le marbre

Selon la députée d'opposition, Doris Gutierrez, "ce qu'ils ont fait, c'est graver cet article dans le marbre parce qu'on ne pourra jamais le réformer s'il faut 96 voix", sur les 128 que compte le Parlement.

Des groupes de défense des droits des femmes se sont mobilisés ces dernières semaines pour exiger du Parlement qu'il autorise l'avortement dans certains cas, comme le viol. Les organisations féministes ont souligné que plus de 10% des grossesses en 2017 ont été constatées chez des adolescentes et que 775 adolescentes sont tombées enceintes en 2016 après un viol.

Les députés "se moquent bien de savoir si nous avons été violées, si nous mourons, ou si nous restons seules en charge d'un enfant en état végétatif ou s'il est mort-né", ont-elles dénoncé dans un communiqué de presse.

"En 2019, dix mille femmes ont dû être hospitalisées à la suite d’avortements effectués dans de mauvaises conditions sanitaires. Le pays recense une mort maternelle tous les trois jours. En 2019, 822 fillettes âgées entre 10 ans et 14 ans ont accouché", explique Merary Avila, du collectif Somos Muchas, dans Le Monde. 

Même l'ONU s'était exprimée pour dire son émotion après ce vote. Selon l’Organisation des Nations unies, un accouchement sur quatre concerne une jeune fille de moins de 19 ans. Entre 51 000 et 82 000 avortements auraient lieu chaque année, rapporte également le quotidien français. 

IVG interdit et féminicides en hausse

Des centaines de Honduriennes ont manifesté le 26 janvier à Tegucigalpa contre l'article 67. Les manifestantes ont défilé le jour de la célébration au Honduras de la Journée de la femme et de l'anniversaire du droit de vote pour les femmes dans ce pays, en 1955. Elles protestaient également contre le grand nombre de féminicides.

[Aujourd'hui, nous commémorons la journée des femmes honduriennes dans les rues, exigeant que nos droits soient respectés. Ensemble, nous renverserons le patriarcat, nous continuerons à nous battre pour toutes les femmes et les filles de ce pays parce que la révolution sera féministe, ou elle ne le sera pas, et nous continuerons jusqu'à ce que la dignité devienne une habitude.]

En 2020, la police a reçu plus de 90 000 appels au secours pour des agressions, et il y a environ 2 300 plaintes pour agressions sexuelles chaque année au Honduras, selon les organisations de défense des droits des femmes. Entre 2009 et 2020, plus de 5 406 femmes ont été assassinées, soit une moyenne de neuf femmes par semaine, ont-elle encore dénoncé.

Selon le Centre des droits des femmes (CDM), quelque 3 000 femmes – proportionnellement deux fois plus qu’en France, rapporté à la population de 9 millions d’habitants – ont porté plainte pour violences sexuelles en 2017. A peine 1,7 % ont obtenu une condamnation de leur agresseur.​ Un programme pour l’égalité des genres appelé "Ciudad Mujeres" met en place les moyens de lutte contre la violence à l’encontre des femmes dans les cinq départements les plus affectés du pays, par le biais d’un "mécanisme pour les femmes" (source ONU-femmes, ndlr). Selon un rapport de l'ONU publié en 2017, le Honduras reste l'un des pays les plus dangereux pour les femmes dans le monde. 

Le durcissement contre l'IVG était à peine voté que la mort dans des conditions suspectes d'une jeune infirmière de 26 ans à La Esperanza venait s'ajouter à la colère des associations féministes. Keyla Patricia Martinez a été interpellée par la police, en état d'ébriété selon les policiers, le 6 février dernier, alors qu'elle était en voiture en compagnie d'un ami gynécologue. Mais sa mort, visiblement par étouffement, présentée tout d'abord comme un suicide, pourrait bel et bien selon l'autopsie, constituer un nouveau féminicide, un de plus, de trop... Un vaste mouvement s'est créé sur les réseaux sociaux, honduriens et au-delà, pour réclamer #JusticiaParaKeyla.