L’avortement, un droit qui fait consensus au Japon

« Ma décision était sans appel, il fallait avorter. J'ai su que j'étais enceinte de 9 semaines alors que je commence tout juste ma carrière dans le marketing ». C’est le témoignage teinté de fatalisme de Mariko, jeune tokyoïte de 24 ans qui, fraichement diplômée de son université, se retrouvait enceinte cinq mois auparavant. Alors que le débat sur l'avortement a ressurgi en France, l’opinion des Japonais semble dénuée de jugement moral. 
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L’avortement, un droit qui fait consensus au Japon
Des statues de Jizo, dans le temple Zojoji à Tokyo, Entité de culte bouddhique, le Jizo est considéré au Japon comme une divinité protectrice des enfants. Il est notamment celui qui accompagne les enfants morts. (Photo de François HORNOY/blogtokyo).
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Option choisie par près de 200 000 Japonaises chaque année (soit autant que les Françaises), l’avortement est considéré comme un processus raisonnable, où l’existence des ligues anti-avortement elle-même serait incomprise par les citoyens. Au Planning familial de Tokyo, les seules menaces reçues proviennent en effet des « associations pro-life situées aux Etats-Unis et non au Japon », déclare un des membres du centre témoignant anonymement par peur de ces attaques étrangères. L’acte n’étant pas spécialement teinté de culpabilité ou de honte et pour cette raison, les entretiens qui précédent généralement les avortements en Europe sont inexistants. « Ici, on ne considère pas le soutien psychologique nécessaire, avant ou après l’intervention », explique Mariko.

Si, au Japon, on n’associe pas de débat moral à l’avortement, une des raisons pourrait se situer dans l’esprit bouddhiste et la croyance en la réincarnation : « l’enfant avorté aura la possibilité de se réincarner », espère la jeune femme. Le contexte historique a aussi largement contribué à la légalisation de ce droit : après la Seconde Guerre mondiale, le Japon se trouvait face à une vraie crise sociale: 10 millions  de personnes souffrent de la faim et la population croît, entre 1945 et 1950, de 11 millions de personnes. Le Japon est ainsi devenu un des premiers pays à légaliser l’avortement en 1948. 
 
L’avortement, un droit qui fait consensus au Japon
Seiko Noda, femme politique japonaise, a demandé l'interdiction de l'avortement il y a un an.
La dénatalité japonaise va-t-elle lancer le débat ?

Aujourd’hui, le baby-boom parait très lointain. Le faible taux de natalité constitue un problème essentiel dans la société japonaise et la diminution du nombre de contribuables pour payer les retraites et de la population active a un effet délétère sur l'économie nationale. En 2025, il y aura 10 % de Japonais en moins, sur un total de 127 millions aujourd'hui. Ainsi, pour la première fois depuis la légalisation de l'avortement, quelques rares voix se sont élevées ces derniers mois pour remettre en cause ce droit. C’est le cas de Seiko Noda, législatrice à la Chambre des représentants japonaise depuis 1993, qui travaille sur le dossier épineux de la natalité dans l’Archipel. Ainsi, dans une interview au journal le plus lu du Japon, l’Asahi Shimbun, elle a déclaré en mars 2013 : « Si on veut que les gens fassent plus d'enfants, il faut interdire l'avortement.» 
 
L’avortement, un droit qui fait consensus au Japon
Une femme souhaitant recourir a l'avortement: Cette femme n'est pas certaine de vouloir avorter. Elle s'est donc rendue au centre pro-vie Life Hope Network, Nagoya, pour obtenir de l'information sur les alternatives qui s'offrent a elle. 
Carrière + vie de famille = mission impossible

De manière générale, la pratique de l’avortement au Japon est motivée par le manque de moyens d’un couple. « Cette composante est essentielle dans la société nippone ou chinoise : on ne conçoit pas l’avenir d’une famille avec des revenus instables », explique Claudine Bliah.

C’était le cas de Sayaka (nom d'emprunt, NDLR, une trentenaire résidant en banlieue de Tokyo et dont les revenus précaires de son mari ne suffisaient pas pour « envisager de prendre soin d’un enfant et de lui payer ses futures études ». « Construire une famille maintenant me semblait complètement hors de propos : j’ai des ambitions de carrière que je n’avais pas envie d’interrompre », témoigne Mariko. Dans la société nippone conformiste, il est en effet mission quasi impossible de concilier carrière et famille. Après un mariage, trois Japonaises sur cinq abandonnent donc leur gagne-pain dès leur première grossesse. Mariko a donc choisi de privilégier sa carrière : « la société et même l’entreprise verraient d’un mauvais œil une femme enceinte qui continuer de travailler », déplore-t-elle.

Au final, conclut le docteur Bliah, « ces motifs pour un recours à l’avortement ne diffèrent pas vraiment de ceux des femmes occidentales. Dans un cas comme dans l’autre, leur laisser le choix reste primordial ».