Le 8 mars d'un bataillon de Françaises contre les violences conjugales
La réalisatrice française Fabienne Mahé a réuni, ce dimanche 3 mars 2013 sous le pont des Arts à Paris, une cinquantaine de personnes pour dire non aux violences conjugales. Elles ont participé au tournage d’un spot qui dénonce ce fléau, diffusé le 8 mars à la télévision française.
La comédienne Valentine Féau répète sa chute, les cascadeurs sont là pour s'assurer que personne ne soit blessé.
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Le Café le Corona sur le quai François Mitterand commence à se remplir en cette matinée de dimanche bien ensoleillée. Il n’est pas encore 8h. Au fond de la salle, une loge improvisée s’anime au rythme de la cafetière. Les comédiennes, personnalités du petit écran et actrices d’un jour s’alignent pour se faire maquiller. Sur deux tables : des petits pots et des grands, du fard, du fond de teint, des houppettes… C’est Séphora en miniature.
De l’autre côté de la rue, sous le pont des Arts, la réalisatrice et actrice Fabienne Mahé discute avec son équipe des derniers détails avant le début du tournage. La concentration est totale.
C’est la cinéaste qui a préparé le café et veille à ce que les baguettes de pain arrivent à l’heure. Car pour ce tournage d’une demi-journée il n’y a pas de loges, pas de service de restauration et encore moins de cachets. La caméra et tout le matériel ont été prêtés. Toute l’équipe est bénévole. Ce spot se fait avec zéro budget mais beaucoup de motivation.
“Il faut monter sur une grue pour être entendue“
La chroniqueuse de Canal+ Elise Chassaing se fait maquiller avant de rejoindre les autres femmes sur le bord de la Seine.
Cela faisait quatre mois que Fabienne Mahé y travaillait, une production s’y était greffée garantissant son aboutissement. Sauf qu’elle a fait marche arrière laissant la réalisatrice sans argent. Les chaînes n’avaient non plus répondu à l’appel. « Mais mes amis m’ont encouragée à aller jusqu’au bout, convaincus de la légitimité du combat. Il est vrai que la télé peut avoir plus d’impact que toutes les lettres que j’ai envoyées au gouvernement et les dossiers que j’ai montés pour dénoncer les violences faites aux femmes. Apparemment, il faut monter sur une grue pour obtenir un rendez-vous à l’Elysée. En attendant, les gens ne savent toujours pas qu’en France, une femme meurt sous les coups de son compagnon tous les trois jours », raconte-t-elle.
Ce sont ces statistiques fatidiques qui sont au cœur de son film tourné en noir et blanc. Dos à un mur, alignées comme un peloton qui s’apprête à être exécuté, des femmes tiennent des pancartes sur lesquelles est écrit un jour de la semaine. Une sur trois est par terre, symbolisant ces victimes des violences conjugales. La file de condamnées s’étend jusqu’à l’infini.
Une ambiance légère pour un sujet grave
L'équipe de tournage se prépare à faire la prise finale.
Les actrices descendent sur le bord de la Seine pour faire les premiers essais. Commencent à s’aligner Lilly-Fleur Pointeaux, Valentine Féau, Mapy du Boistesselin, Vanessa Dolmen, Elise Chassaing chroniqueuse de Canal+, Julie Ravix entre autres. Ainsi que des amies de Fabienne Mahé qui ont accepté de participer.
Toute l’équipe a été prévenue à la dernière minute. Une semaine auparavant, le tournage semblait impossible. Mais tout a fini par se débloquer et même France 5 (chaîne culturelle du groupe public français France-Télévision) a accepté de diffuser le spot le 8 mars. Malgré la précipitation, tous sont arrivés à l’heure, prêts à braver le froid. L’ambiance est légère, ça rit et ça bavarde.
C’est le moment de crier « action » et d’enlever les manteaux. Il est 10h. Les joggeurs du dimanche sont bloqués. « Silence », crie la réalisatrice. « Au top vous tombez ». Comédiennes et non comédiennes doivent chuter violemment. Par terre, deux cascadeurs - qui viennent de leur apprendre à faire ce geste comme des pros – supervisent chaque mouvement. « Boum ». Les corps s’écrasent contre les tapis.
Les badauds au rendez-vous
La réalisatrice Fabienne Mahé apparaît également dans son spot.
Le silence matinal a été remplacé par le brouhaha de cet endroit si fréquenté par les touristes. Sur le pont des amoureux, les badauds regardent la caméra faire son travelling, ils essayent d’identifier les actrices. « C’est pas ? Si, si c’est elle ».
Du côté du tournage aussi, il y a du monde. Les figurantes sont arrivées et certaines passent par la case cascade. Elles s’échauffent, mettent des genouillères et font semblant de se faire cogner. Entre-temps, les prises pour le teaser se poursuivent. Le visage fermé, les femmes de tous les âges tiennent leur pancarte. « Lundi, mardi, mercredi, jeudi » Fabienne Mahé vient les voir une par une pour leur rappeler ce qu’elle attend. « On se concentre ! Visages graves ! »
Tabou
Jody Claudepierre, étudiante, s'entraîne à tomber avec l'aide d'un des cascadeurs.
Celles qui ne sont pas devant la caméra, qui ne s’entraînent pas à encaisser des uppercuts, ont le temps de discuter. « Les chiffres sont affligeants. Ils concernent tout le monde, par exemple les enfants qui grandissent dans ce schéma. Il faut faire un travail de fond pour éduquer les gens. On n’en parle pas assez », estime la comédienne et chroniqueuse Vanessa Dolmen.
Jody Claudepierre, elle, est étudiante. La jeune femme est venue pour soutenir Fabienne mais aussi parce que « la cause lui parle ». « Cela pourrait arriver à tout le monde », se désole-t-elle. Pour la comédienne Valentine Féau la solidarité féminine est clé dans la réussite de cette aventure : « Nous sommes tous bénévoles, les choses sont encore plus fortes et si on peut aider à ce que le sujet soit moins tabou, on aura gagné. »
Retour au café. Lilly-Fleur Pointeaux est à nouveau entre les mains d’une des maquilleuses. Avec un petit pinceau, cette dernière applique du fard noir autour de l’œil, un peu de rouge et une substance visqueuse également rouge. En quelques minutes la jeune actrice à un œil au beurre noir et la lèvre fendue. Elle sera au premier plan, couchée comme les autres actrices jouant le rôle d'une femme battue.
Amazing grace
Léa François, au premier plan, et toutes les autres actrices sont alignées pour la dernière prise pièce maîtresse du spot.
Il est midi passé. La prise finale et la plus importante se prépare. Cadrage, lumière, position de la caméra et des comédiennes. Tous les passants sont écartés. Lilly-Fleur Pointeaux est par terre tout prêt de la caméra. Du sang dégouline de son front. « Silence ». Au loin, des cornemuses jouent l’hymne « Amazing grace ». Ce n’est pas prévu mais la mélodie vient ajouter un quelque chose à ce moment solennel avec ce peloton de femmes toujours dos au mur. « Coupez ! » Explosion de joie. Le tournage s’est déroulé comme prévu et il est même fini trois minutes avant l’heure.
Fabienne Mahé rayonne. Un long chemin vient d’être parcouru. A 25 ans, elle travaillait chez SOS médecin pour payer ses études de comédienne. Une nuit, elle a reçu l’appel d’une femme en détresse. La réalisatrice a vite compris de quoi il s’agissait, mais cette femme avait peur d’en dire plus. Avant que Fabienne Mahé ne puisse envoyer quelqu’un, son interlocutrice avait raccroché. L’impuissance qu’elle a ressentie cette nuit-là l’a poussée à s’engager contre les violences domestiques.
Ce spot qui vient d’être tourné est le premier de quatre, destinés à être diffusés tous les deux mois, d’ici octobre. La comédienne a également créé une association "Elle prend un coup, je prends un coup", « qui a pour but de favoriser toutes les activités artistiques liées à la lutte contre les violences conjugales », lit-on sur le site. C’est cette structure qui est derrière ce spot et les prochains, dont le scénario reste encore secret.
« Je ne m’attendais pas à voir autant de gens, s’émerveille-t-elle. De toutes les femmes qui étaient présentes, j’en connaissais à peine dix. On a créé un rapport de confiance. Et parmi elles, il y avait des femmes anonymes qui avaient été victimes de violences. Elles m’ont dit qu’elles se sont senties moins seules. »
Le spot “Le Mur“
Campagne de ONU Femmes contre les violences faites aux femmes