Ce 8 mars 2013, Kinshasa n'a pas retenti de l'ambiance joyeuse et colorée du traditionnel défilé des femmes en pagnes. Les autorités en ont décidé autrement, qui ont choisi de recentrer cette journée sur la lutte contre les violences faites aux femmes. Dans les rues de la capitale congolaise, Didier Kebongo a rencontré les petits commerçants et les autres désenchantés de cette décision.
La capitale congolaise Kinshasa n’a pas vibré comme d’habitude. L’ambiance y était celle d’un jour normal, ordinaire. Le traditionnel joyeux et coloré défilé des femmes le 8 mars pour la journée internationale de la femme n’a pas eu lieu. Geneviève Inagosi, la ministre du Genre, de la Famille et de l’Enfant l’avait interdit. "Il ne faut pas réduire cette journée au port du pagne et à la réjouissance. Il est temps d’encourager les femmes à réfléchir au-delà du paraître. Le plus important est de consacrer ce temps à une réflexion sur les conditions de la femme…", avait-elle déclaré. Et puis le ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel avait emboîté le pas à sa collègue, et interdit le port du pagne ce jour-là aux élèves.
Pour le gouvernement congolais, il s’agit d’éviter la routine et de donner un nouveau sens à cette célébration, en visant un changement de comportement chez la femme. En remplacement des festivités traditionnelles du 8 mars, la ministre a demandé à la société civile et aux entreprises de consacrer leur budget à la sensibilisation et de débattre sur les thèmes de l’année : "Une promesse est une promesse : il est temps de passer à l’action pour mettre fin aux violences envers les femmes", est le thème choisi au niveau international. "Ensemble contre la guerre et les violences à l’égard des femmes et des filles en consolidant la paix et la justice en RDC", est celui que la RDC a voulu décliner cette année.
Mauvaise affaire pour les commerçants
Depuis 2004, cette journée de la Femme était essentiellement festive. Après le défilé, les femmes prenaient d’assaut les terrasses des bars de la capitale pour y partager un verre et s’amuser. Certaines regrettent cette occasion qu’elles avaient de se retrouver ensemble, sans contraintes.
Mais ce sont les commerçants les plus malheureux. Ils n’ont pu écouler ce qu’ils avaient commandé en prévision de la fête. "La ministre nous a rendu un mauvais service. Mes pagnes ne se sont pas vendus. Pourtant c’est la période où nous réalisons beaucoup de bénéfices. Avec des entrées dans quelques ministères, j’écoulais jusqu’à 250 pièces. Mais là je n’ai pas vendu plus de 10 pagnes", déplore Marthe Malu, vendeuse au marché central de Kinshasa. A quelques mètres de là, elle montre une boutique où bijoux, pagnes, babouches, défrisants, mèches et autres articles n’ont pas trouvé preneur. Habituellement très fréquentés à cette période, les salons de coiffure et les ateliers de couture, cette année, ne l’ont pas été. "Je n’ai reçu aucun pagne ni autre vêtement de femmes à coudre pour cette fête", dit le couturier Mbali. Autour, les tenanciers des bars et les petits commerçants n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. "La veille des défilés, les entreprises ou les ministères réservaient des places pour se rafraîchir après. Nous prévoyions même des congélateurs en plus pour faire face aux demandes de la clientèle. La ministre a tout foiré…", constate l’un des gérants des bars le long du boulevard Triomphal, où se tient en général le défilé. Ce 8 mars, il a dû se contenter de sa clientèle habituelle. Les vendeurs de viande de chèvres, eux aussi, se disent déçus. "Chaque fois qu’il y a défilé, les bars sont bondés et les plats au cabri partent comme des petits pains. Et ce jour-là, je vendais jusqu’à 35 poulets braisés," témoigne Maestro.
C’est le pagne qui fait le 8 mars !
Si les écolières restent en uniforme – chemise blanche et jupe bleue – des femmes en pagne du 8 mars et fières de l’être se promènent dans les rues de Kinshasa. On les voit par grappe entière çà et là. Et ce malgré l’interdiction par le gouvernement d’imprimer un pagne spécifique pour cette fête mythique, cette année. "C’est le pagne qui fait le 8 mars, pas la femme", souligne à l’ombre d’un arbre Eric, un vendeur ambulant de 26 ans. "Hé ! Vous là, les femmes en pantalon, je suis déçu ! Pas de pantalon aujourd’hui !" lance-t-il à deux passantes.
Ce chômeur qui "se débrouille" pour vivre s’explique : "Quand les femmes s’habillent en pagne, ça leur donne du poids, de la valeur…" Le 8 mars, il se trouve des hommes qui désapprouvent du regard de simples robes ou jupes, ou encore les pantalons. Les filles en pantalons ont parfois droit à des regards sévères, des invectives, des blagues de mauvais goût de la part des jeunes gens. Certains vont parfois plus loin. Brunel, un jeune conducteur de taxi raconte qu’à Matonge, ce cœur toujours animé de la capitale, une de ses clientes a été attaquée par des Shegues, dangereux enfants de la rue, mués en gardiens des mœurs pour un jour. Ils lui ont reproché de porter un pantalon, avant de la mettre à terre et de voler son sac. "Pour eux si tu ne portes pas de pagne, c’est que tu n’es pas solidaire des femmes, comme si tu ne les soutenais pas", analyse Brunel. Les années précédentes, ils en faisaient voir de toutes les couleurs aux femmes qui ne se mettaient pas au pas. "C’est anormal. Toutes les femmes n’ont pas les moyens de s’acheter un pagne. Et puis les couturiers coûtent cher. Il faut compter entre 10 et 20 dollars la confection. S’ils connaissaient les prix, ils seraient plus tolérants", explique une cliente, elle-même en pantalon. Selon les sources, le pagne spécifique 8 mars est vendu en moyenne 25 dollars, trop onéreux pour la majeure partie de la population qui vit avec 1,25 dollar par jour.
Une fête qui coûte cher
Beaucoup de Kinoises, pourtant, sont déçues de ne pas faire la fête. "La ministre n’a pas bien réfléchi. Les femmes auraient pu profiter du défilé pour dénoncer les violences dont elles sont victimes", peste Françoise, responsable d’une ONG de défense des droits de la femme. Cependant, toutes ne sont pas de son avis. "Le défilé occasionnait beaucoup de dépenses pour rien. Nous portons le pagne tous les jours. Les femmes doivent réfléchir à leurs conditions et trouver des solutions. Bravo à la ministre !" s’exclame Tina. Certains hommes, eux, se frottent les mains, soulagés. "L’année passée, j’avais dépensé 250 dollars. Il fallait habiller mon épouse et mes filles de pied en cap ! " se souvient Dieumerci Itongua. Et puis la pluie qui s’est abattue sur la ville en cette fin d’après-midi a renvoyé tout le monde chez soi, et les projecteurs braqués sur les femmes se sont éteints.
Campagne de ONU Femmes contre les violences faites aux femmes