Au début du 20ème siècle, une poignée de pionnières lancèrent cette idée alors saugrenue, voire extrême, d'une journée internationale des droits des femmes. Aujourd'hui nombre de militant-es des droits des femmes s'agacent de ce jour prétexte, objet de toutes les récupérations médiatiques et politiques.
Chaque année, c'est la même hystérie à l'approche du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, rebaptisée par beaucoup "journée de la femme" derrière lequel on entend comme un éternel féminin. Dans les boîtes mail, déferlent communiqués, sondages, études, annonces d'événements qui vous provoqueraient presque une indigestion. C'est le temps des excès, des promotions en tous genres et en n'importe quoi, qui, en France, sont pointées par l'association Osez le féminisme,
comme la participation de l'humoriste Jean-Marie Bigard, invité vedette du Festi'femmes de Marseille le 8 mars 2016 - celui-là même qui évoque un "
lâcher de salopes" dans l'un de ses sketchs.
Le temps de la consommation
Les journaux féminins vous donnent des conseils pour ce jour-là : "
Elle magazine" vous invitait, par exemple n mars 2016, à chouchouter votre corps, à prendre le pouvoir sur la télécommande ou à fleurir votre sac à mains avec les fleurs qu'on vous offrira ce jour là...
Tandis qu'une chaîne de télévision nationale et publique française suggérait la veille, dans une session d'information de grande écoute, de "
parler d'amour le 8 mars puisque c'est la journée de la femme".
Quand l'ordre est donné de s'habiller en 8 mars...
Au Burkina Faso, ce qui agace, c'est l'injonction du gouvernement faites aux Burkinabées
de porter ce jour-là, le Faso Danfani, pagne tissé au Burkina Faso, spécial journée internationale des droits des femmes… et inabordables pour la plupart d'entre elles… Il s'agit pour les autorités, en référence à l'ancien chef d'Etat assassiné Thomas Sankara, de "
valoriser la production et la transformation du coton par les acteurs de la filière notamment les tisseuses, pour une journée placée sous le thème « Entreprenariat agricole des femmes : obstacle, défis et perspectives »" - tout un programme... Un bien pour un mal donc : plus de travail aux tisseuses, une dépense de plus pour celles qui doivent l'acheter...
A Madagascar, le 8 mars est un jour férié pour toutes les travailleuses. Mais libres aux Malgaches de vaquer comme elles le veulent à cette journée. Sauf ce 8 mars 2017 où les fonctionnaires femmes ont reçu l'ordre de se joindre au carnaval ad hoc, dans le stade de Mahamasina, à Antanarivo, la capitale. Publié le 3 mars, voici un extrait du communiqué du ministère de la Justice «
toutes les femmes qui travaillent au ministère de la justice sont invités à participer au Carnaval qui aura lieu le 08 mars. A préciser que la présence au Carnaval est obligatoire… ». Comme le remarque le
Madagascar Tribune, "
le terme « obligatoire » ne sied pas forcément à l’esprit de la célébration de la journée internationale des femmes". Pas plus que le carnaval imposé, sauf à penser que le 8 mars est une farce...
Certaines savent aussi manier l'humour pour dénoncer cet événement, destiné avant tout à se donner bonne conscience, et oublier de dénoncer les discriminations, inégalités et autres violences le reste de l'année...
La journée internationale des droits des femmes,
inscrite à l'agenda des Nations unies, est pour certaines si dévoyée, qu'elles organisent des 8 mars alternatifs comme ce #8marsPourToutes, célébré à Paris deux jours avant, rassemblement hétéroclite de féministes partisanes d'un "
féminisme inclusif", qui défend les droits des migrantes, des transsexuelles, des femmes voilées par choix ou de certaines travailleuses du sexe qu'elles jugent oubliées par cet événement qui tient désormais plus du marketing que de la citoyenneté.
Et pourtant, cette journée spéciale fut conquise de haute lutte avant de devenir un produit commercial... Au début du 20ème siècle, cette date symbolique, dont l'origine est revendiquée par plusieurs groupes de féministes, par plusieurs pays, en particulier la Russie, les Etats-Unis et l'Europe, avait pour objectif de porter sur la scène internationale les revendications des militantes, en particulier des travailleuses de l'ère industrielle.
Le mythe américain
Mais pourquoi le 8 mars ? Un choix qui repose sur un mythe, selon des historiennes
comme la française Françoise Picq. La fameuse manifestation des ouvrières de New York, le 8 mars 1857, que cette date est censée commémorer, n'aurait jamais eu lieu : «
À l’époque, toute la presse militante, du PCF et de la CGT, comme celle des “groupes femmes” du Mouvement de libération des femmes, relayée par les quotidiens nationaux, écrivait que la Journée des femmes commémorait le 8 mars 1857, jour de manifestation des couturières à New York. Les journaux américains de 1857, par exemple, n’en ont jamais fait mention ».
Les suffragettes et autres féministes ne seraient donc pas à l'origine du 8 mars. C'est l'internationale socialiste, réunie en congrès à Copenhague en 1910, sous l'impulsion de la militante allemande
Clara Zetkin, qui proposera de mobiliser les femmes, partout dans le monde, à une date unique (mais sans indication de mois) pour sensibiliser le monde à la cause des travailleuses, les "
prolétaires des prolétaires" - "
Dans la famille, l'homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat" écrivaient Karl Marx et Friedrich Engels dans "
L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État".
Petite guerre froide du 8 mars
Reste le 8 mars. C'est là qu'entrent en concurrence la Russie et l'Europe. Le 19 mars 1911, pour la première fois les militantes descendent en masse dans les rues du Vieux continent, en Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suisse, où plus d’un million de femmes et d’hommes se rassemblent.
Deux ans plus tard, le dernier dimanche de février 1913 du calendrier russe, donc quasiment le 8 mars de l'Européen, c'est au tour des Russes, entraînées par
Alexandra Kollontaï, future ministre des droits des femmes du premier gouvernement soviétique de prendre la main, lors de marches marquées par le pacifisme, à la veille de la tourmente annoncée de la Première guerre mondiale. Rebelotte quatre ans plus tard en 1917. Alors que se joue le premier acte de la révolution, le 23 février du calendrier julien alors en vigueur en Russie, soit le 8 mars du grégorien, elles se mettent en grève et descendent à nouveau en masse dans les rues de Petrograd. Quatre jours plus tard, le tsar abdique, et le gouvernement provisoire socialiste-révolutionnaire leur accorde le droit de vote. La journée internationale des droits des femmes était née... Et en Russie, elle allait devenir celle du meilleur chiffre d'affaires de l'année pour les fleuristes - le 8 mars fut, là comme ailleurs, assez vite vidé de son sens dans "
la patrie de la grande révolution d'octobre"...
Il faudra attendre 60 ans pour que le 8 mars soit érigé en "Journée internationale des droits des femmes" par les Nations Unies en 1975, alors que le mouvement de libération des femmes battait son plein et que l'ONU avait décrété une année internationale des femmes. La date fut entérinée 20 ans plus tard en 1995 par 189 pays lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes. Aujourd'hui,
elle tient son rang entre celle de la vie sauvage - 3 mars, et celle du bonheur - 20 mars. N'y voir surtout aucune ironie...
En tout cas , sur
Terriennes, c'est tous les jours 8 mars !
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