Fil d'Ariane
Paris au 19ème siècle. La ville Lumière aime danser, s'ennivrer, s'encanailler. Elle fourmille de centaines de bals. C'est le grand défouloir, la distraction majeure. Toutes les classes sociales se pressent à ces bals masqués ou travestis, qui charment les ouvriers, ravissent les bourgeois, affolent les aristocrates. Des étudiants y oublient leurs études et les militaires leur rigidité. Dans ces tourbillons endiablés, au rythme des polkas, valses et mazurkas, on traque la bonne aventure auprès des blanchisseuses, des "gigolettes" et autres courtisanes. Le "bal des folles", attire, lui, un public trié sur le volet. Il a lieu le Mardi gras, fin février.
Dans Le Voleur, Georges Darien écrit de ce bal : "C'est le jour béni où toutes ces pauvres créatures, les vraies, cette fois, qu'un amour malheureux, le perte d'un être cher, des chagrins de famille, des revers de fortune ou d'autres causes incongrues ont fait échouer dans ce purgatoire dont la porte ne se rouvre guère".
De son côté, le journaliste Albert Wolff relate dans Le Figaro : "Le visiteur se demande si c'est la raison qui fait danser la folie, ou la démence qui reçoit la raison. Les intelligences se confondent avec les cerveaux vides. Le costume, qui est de rigueur, établit une triste égalité entre les folles et leurs gardiennes, et, au milieu de ces groupes de masques, on distingue la tenue sévère de la surveillante toute de noir habillée, qui se promène à travers ce beau bal, comme une mère en deuil qui pleure la raison absente de ses enfants".
Voulu et encouragé par le docteur Charcot, ce bal permet, le temps d'une soirée, une rencontre entre "malades" et "gens de la haute". Le neurologue est respectueux et animé d'une sincère compassion. Il ne veut pas un "zoo humain" où les nantis raillaient les pauvres malheureuses. Nulle exposition indécente, d'ailleurs, au bal des folles - il y avait aussi, à même époque, un bal des enfants épileptiques.
En 2019, Victoria Mas, fille de la chanteuse Jeanne Mas, signait son tout premier roman. Chaque page de son Bal des folles irradie une touchante compassion pour ces malheureuses enfermées à vie. En 2021, l'actrice et réalisatrice Mélanie Laurent adapte le texte de l'écrivaine dans un film diffusé à partir du 17 septembre, dont chaque instant laisse transparaître l'indignation d'une femme investie par son sujet, même si elle explique sur l'antenne de France Inter avoir eu "envie de faire un film non pas féministe, mais fait de portraits de femmes".
Le film nous fait suivre le parcours de la jeune Louise, une "aliénée" qui souffre de "crises d'hystérie" après avoir été victime d'un viol. Nous faisons aussi connaissance avec Eugénie, qui possède un don singulier, celui de communiquer avec les morts, et découvrons les méthodes strictes de l’infirmière en chef, Geneviève, incarnée dans le film par la réalisatrice elle-même, Mélanie Laurent.
Un plaisir inouï et un honneur d’assister à la première mondiale du film de Mélanie Laurent "Le bal des folles" au @TIFF_NET !
— Tudor ALEXIS (@tudoralexis1) September 13, 2021
Un casting parfait, une mise en scène puissante pour l’adaptation réussie du roman de Victoria Mas. @uniFrance @cameron_tiff @ActuML @AlbinMichel pic.twitter.com/o1KSMhtppQ
Le livre de Victoria Mas s'appuie sur des faits bien réels. "En me rendant un jour à la Salpêtrière, nous confie l'autrice, j'ai été interpellée par les lieux et je me suis intéressée à l'histoire de cet hôpital que j'ignorais complètement. Concernant ce "bal des folles", j'ai pu trouver des écrits de l'époque, des coupures de journaux. Toutes les méthodes de traitement dont je parle dans mon roman, qu'il s'agisse des pressions sur les ovaires ou d'introduction de fer chaud dans le vagin, tout cela était pratiqué à l'époque. On ne savait pas trop comment soigner ces femmes et on pensait que l'hystérie était liée à leur sexe. Tout ce qui se passe en arrière-plan, au sein de l'hôpital, est véridique."
Jusqu'à la Révolution, la Salpêtrière n'a aucune fonction médicale. Les malades parisiens sont alors envoyés à l'Hôtel-Dieu. Et puis les 3 et 4 septembre 1792, l'établissement est le théâtre de scènes sanglantes. Plusieurs centaines d'hommes armés pénètrent dans l'hospice, libèrent 186 femmes, mais en violent et massacrent une trentaine.
Aux 18ème et 19ème siècles, le lieu souffre d'une réputation effrayante. Un journaliste témoigne : "La force, la violence, la brutalité, la férocité même, y régnaient en souveraines. Les bains glacés, la flagellation, les privations absolues de nourriture étaient les moyens sans cesse employés contre les accès de la démence furieuse, moyens barbares et stupides qui, bien loin d'arrêter le mal, l'avivaient au contraire et le rendaient incurable."