Fil d'Ariane
Dans ce livre, "Enlevée par Boko Haram", à travers les yeux et les mots d'Assiatou, Mina Kaci raconte comment les terroristes ont mis la ville de Damasak (Nord Est du Nigeria) à feu et à sang, tuant les hommes et enlevant les écolières.
Les 24 et 25 novembre 2014, lorsque les soldats de l’organisation Boko Haram, reconnue comme terroriste par l'ONU dès mai 2014, font irruption dans la ville, la jeune fille est à l’école. Le père d’Assiatou a juste le temps de se sauver pour ne pas être tué.
De son côté, Assiatou fuit avec sa maman, ses frères et sœurs et une centaine d’autres mères et enfants chez leur imam, croyant y être protégés. Mais le groupe terroriste, rallié depuis à l’Etat islamique (mars 2015), et appelé « Etat islamique d’Afrique de l’Ouest » ne reconnaît pas les autorités musulmanes locales.
Descendant d’une branche salafiste de l’islam, ils attaquent toutes les religions et en particulier les musulmans, comme Assiatou le décrit dans le livre : « une cinquantaine d'hommes nous encercle. L'un dit ‘vieux marabout, on te respecte, nous sommes désolés, mais nous allons partir avec les femmes. Nous allons les marier… Sortez les filles des cachettes ! Si elles ne rappliquent pas dare-dare, nous les tuerons’. Des paroles suivies de tirs de mitraillettes ».
Mina Kaci rappelle que « toute la région du nord Est du Nigeria, massacrée par Boko Haram, est une région musulmane », et que « la famille d’Assiatou est une famille musulmane pieuse, suivant les prières du Coran », ce qui ne l’empêche pas d’être la cible du groupe islamiste.
Pour Boko Haram, les filles ne doivent avoir d’autre vocation que de se marier
Mina Kaci
Boko Haram (littéralement « livre interdit » et par extrapolation, « école occidentale interdite ») s'en prend à des jeunes filles scolarisées, parce que selon les chefs de file de ce groupe, l’enseignement qu’elles reçoivent les éloigne de la religion.
« Le but premier de Boko Haram, explique la journaliste, est de créer une société régie par la religion, fondée sur un système patriarcal dans lequel ils soumettent totalement les femmes. Pour Boko Haram, les filles ne doivent avoir d’autre vocation que de se marier. L’école, c’est la mixité, là où on apprend le darwinisme, l’apprentissage d’une liberté qu’ils rejettent. »
Assiatou est faite prisonnière avec les autres écolières de la ville, tout comme, le 14 avril 2014, les 276 lycéennes de Chibok. L’enlèvement de Chibok avait largement mobilisé la communauté internationale, à travers la campagne #bringbackourgirls (« rendez-nous nos filles »). Assiatou a vu la vidéo des lycéennes prisonnières, mais n’a pas imaginé qu’elle subirait le même sort.
Boko Haram fait son marché parmi les filles
Assiatou
Passées en revue par les soldats, les écolières de Damasak sont, une par une, enlevées à leur famille : « Boko Haram fait son marché parmi les filles, jaugées comme du bétail. La ville est méconnaissable, transformée par un déluge de violence : cadavres brûlés, bâtiments saccagés, commerces pillés », raconte Assiatou. Après avoir été mariées de force aux soldats de Boko Haram par un simulacre d’union, les jeunes filles sont transformées en esclaves sexuelles et en ménagères.
En décrivant les exactions de Boko Haram, la journaliste ne cherche pas le sensationnalisme. Son but est de dénoncer les viols comme arme de guerre, dont les femmes sont victimes : « En temps de guerre, les hommes font des femmes leur butin. Si on veut vraiment faire comprendre que le viol est quelque chose de dramatique sur la personne qui le subit, il faut montrer ce que cela fait sur l’individu. ». Avec des mots pesés, pudiques, la journaliste décrit les viols sans pourtant choquer le lecteur.
Mina Kaci expose les raisons qui l'ont conduite à écrire ce livre :
Elle poursuit : « Boko Haram utilise le viol de jeunes vierges pour jeter le déshonneur sur la jeune fille qui le subit, mais aussi sur sa famille et sur toute la société musulmane pour laquelle la virginité est une de clés de voûte ». « Le viol est destructeur » reprend la journaliste. « La jeune fille ne pourra sans doute pas se marier. Ses parents souvent la rejettent, tellement le sentiment de honte est fort », écrit-elle, pointant du doigt l'un des effets pervers de ces tragédies. En février 2016, un rapport publié par l'UNICEF et l’ONG, International Alert concluait à la double peine des jeunes filles enlevées par Boko Haram. Après avoir vécu l’enfer pendant leur captivité, une fois libérées, elles doivent faire face au rejet de leur communauté.
"Dieu sait que c’est Boko Haram qui t’a fait cela"
Assiatou a eu la chance de ne pas être rejetée par sa famille. Comme le relate la journaliste, « sa mère lui a dit "Dieu sait que c’est Boko Haram qui t’a fait cela" ». Mais les parents de la jeune fille sont incapables d’entendre les détails du viol. « Sa mère lui a simplement demandé si son bourreau l’avait touchée. Elle l’a ensuite amenée chez un médecin pour s’assurer qu’elle n’était pas enceinte ».
Assiatou a reçu l'aide de l’association nigérienne ‘SOS femmes et enfants victimes de violences’ qui lui a offert un suivi psychologique. La journaliste est convaincue de l’importance de ce suivi, pour la reconstruction des filles.
Comme le dit Assiatou à la fin du livre : « Je crie ma colère, mon indignation, ma fureur. J’écris et mon esprit torturé se libère, ma résistance se déploie. J’écris et j’ai la certitude que tout ira pour le mieux demain ».
Depuis le début des attaques de Boko Haram au Nigeria, il y 7 ans (2009), 20 000 victimes ont été comptabilisées. En plus de massacres, viols de fillettes, troubles physiques et psychologiques chez les survivants, ce conflit transfrontalier est la cause du déplacement de la population nigériane du Nord-Est du pays vers le Niger, l'un des pays les plus pauvres du monde.
Mina Kaci remarque sobrement : "Avant, Assiatou et ses parents avaient de quoi vivre, à Damasak. Maintenant au Niger, ils sont pauvres parmi les pauvres."
Le 14 avril 2016, deux ans jour pour jour après l'enlèvement de 276 lycéennes dans la ville de Chibok par le groupe terroriste Boko Haram, seulement 57 d'entre elles ont été retrouvées, soit parce qu'elles s'étaient enfuies des mains de leurs ravisseurs, soit après l'intervention de l'armée nigériane.
A la veille de ce triste anniversaire, Boko Haram a envoyé une « preuve de vie », sous la forme d'une vidéo, que s’est procurée la chaîne américaine d’information CNN, et qui montre une quinzaine de jeunes filles recouvertes d’un hijab noir, qui donnent leur nom, assurent avoir été enlevées à Chibok et précisent la date de l’enregistrement, le 25 décembre. Selon CNN les 15 adolescentes ont été identifiées par des proches, des parents ou des camarades de classe.
Il s’agit de la première vidéo permettant d’établir que certaines des jeunes filles enlevées sont toujours en vie, depuis celle diffusée par Boko Haram en mai 2014. Selon les informations de l’Agence France-Presse (AFP), des membres de Boko Haram auraient pris contact mi-janvier avec le gouvernement, réclamant des discussions sur un possible échange de prisonniers. Le gouvernement ayant demandé une « preuve de vie », il aurait d’abord reçu cinq photos de certaines des otages, puis cette vidéo.
En dépit des manifestations hebdomadaires à Abuja d'une poignée de militantes, à la manière des mères de disparues en Argentine, malgré l'écho très médiatique donné à ce rapt collectif par l'intermédiaire des réseaux sociaux, autour du mot dièse #BringBackOurGirls, affiché par des personnalités du monde entier jusqu'à Michelle Obama, les dizaines de jeunes filles, celles de Chibok et les autres, toujours aux mains de leurs ravisseurs, restent comme oubliées du monde, et ne semblent plus une priorité des organisations internationales.
Dans leur pays même, l'affaire ne fait plus recette. Le sujet est à peine effleuré durant la campagne présidentielle de mars 2015 au Nigeria. Loin de la capitale nigériane, les militant-es pensent même que leurs dirigeants préfèreraient voir disparaître celles et ceux qui continuent à rappeler le sort des lycéennes.
Les proches des lycéennes se rassembleront ce jeudi 14 avril 2016, à Chibok, pour commémorer la disparition des jeunes filles. Ils demandent aussi à l'Etat nigérian de reconstruire le lycée. Nombre d'habitants pensent que l'Etat les a abandonnés. Le lycée est resté détruit depuis le passage de Boko Haram. Depuis, les élèves de Chibok n'ont plus d'école.
D'autres rassemblements sont prévus un peu partout dans le monde. En France, la coordination "Je suis Chibok" (référence à "Je suis Charlie") appelle à un rassemblement à Paris, Place de la République à 18h30, le mercredi 13 avril 2016.
"Boko Haram a gagné" - Un instituteur à Chibok, privée d'école depuis 2 ans https://t.co/mnq1l7gLAA #AFP #Nigeria pic.twitter.com/v4NxAUYU9D
— Making-of AFP (@AFPMakingof) 8 avril 2016