Le chant de guerre féministe de Corinne Masiero et "Les Vaginites"

Sur scène, Corinne Masiero et ses deux acolytes Audrey et Stéphanie Chamot du groupe "Les Vaginites" balancent. Sous des allures d'opéra punk carnavalesque, le ton est sans concession, crû, radical. Elles chantent et crient les maux des violences faites aux femmes, dont elles ont été elles-mêmes victimes. Des textes regroupés au sein d'un premier album présenté à l'occasion d'un concert en banlieue parisienne. Terriennes y était. 
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vaginites #1
Audrey Chamot, Corinne Masiero et Stéphanie Chamot, le trio des "Vaginites", un groupe qui secoue sans prendre de pincettes, pour dénoncer les violences faites aux femmes. Ici lors du concert du 28 janvier 2023 sur la scène du Hangar à Ivry-sur-Seine, à l'occasion de la sortie de leur premier album. 
©IMourgère
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"Vaginite" : infection de la vulve provoquant des démangeaisons. "On a choisi ce nom parce qu'il faut que ça gratte !"  Effet garanti ce 28 janvier 2023 sur la scène du Hangar à Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne.
 
C'est bizarre, ces maladies, on les traite moins. Il y a moins de traitement quand il s'agit des femmes, on en entend moins parler. C'est comme la parole des femmes, on en entend moins parler que celle des hommes.
Corinne Masiero
"Moi, des vaginites, j'en ai eu à répétition, comme des cystites, etc... Et c'est bizarre, ces maladies, on les traite moins. Il y a moins de traitement quand il s'agit des femmes, on en entend moins parler. C'est comme la parole des femmes, on en entend moins parler que celle des hommes. Alors voilà, nous, on va vous parler d'un truc qui gratte, de la condition des femmes, et surtout des violences faites aux femmes, quelles qu'elles soient, explique Corinne Masiero. Une fois, y'a une bonne femme qui me dit 'Ah quand même parler de viol d'une enfant, c'est violent !' Ah oui, c'est violent, un enfant qui se fait violer, c'est violent. Comment voulez-vous traiter et trouver des solutions si on ne les nomme pas ?"
 
"Bon, la vraie histoire, c'est que ça nous faisait aussi rigoler !", confie-t-elle, large sourire aux lèvres. "Au début, on voulait s'appeler 'Les vagins vigilants', mais ça existait déjà. Dans le nord (de la France), il y a des badges que l'on porte avec la mention 'vagin vigilant', et ça veut dire que attention, on est là, tu fais plus ce que tu veux !", précise Audrey Chamot, l'une des chanteuses qui composent le trio avec Stéphanie, sa jumelle. 
vaginites en fourrure
Corinne Masiero et les soeurs Chamot forment "Les Vaginites", un groupe de musique punk-électro qui mettent en musique des textes dénonçant patriarcat, machisme et violences sexuelles. 
©IM

"Rage against" le patriarcat

Avec Les Vaginites, c'est au patriarcat, mais aussi à tous les agresseurs sexuels, aux violeurs, que l'on dit tout simplement "Ta gueule !" C'est comme ça que l'histoire a commencé, nous raconte Corinne Masiero, "C'est Daniel Mermet de 'Là-bas si j'y suis' (sur France Inter, ndlr) qui m'avait demandé si je voulais venir chanter pour l'anniversaire de l'émission, et j'ai choisi 'Ta gueule', des copines du groupe Chamot, et de chanter avec elles. Je n'avais jamais fait ça, mais ça m'a plu et j'ai eu envie d'y regoûter ! Et puis, on a créé quatre morceaux qui durent en moyenne 15 minutes, et souvent c'est plus."  
 
Un coup de gueule féministe qui ne fait pas dans la nuance. Néammoins, c'est sur le ton de la comédie décalée, en couleurs et le visage grimé que le trio se présente sur scène. Audrey, Stéphanie et Corinne arrivent vêtues de manteaux en (fausse) fourrure rose fushia, prune et blanc, en short en jean, en chaussettes et chaussures pailletées, perruques fluos sur la tête.
 
L'idée, c'est de prendre les gens à revers, comme nous, on nous a prises à revers parfois, sans consentement.
Corinne Masiero
"Regardez comme on est belle !", lance Stéphanie, face au miroir de la loge lors de notre rencontre quelques heures avant le concert, rouge à lèvres débordant et yeux "smocky" façon oeil au beurre noir. "Les bonnes femmes, elles ont pas à être sous telles ou telles cotes. Si t'as envie d'être refaite, c'est ok. Si t'as envie de te maquiller, c'est ok ; si t'as pas envie, c'est ok aussi. T'es grosse, t'es noire, t'es poilue, handicapée, cisgenre, transgenre, c'est ok ! Sororité !", martèle Corinne

"Regardez, moche is beautiful !, ajoute-t-elle en montrant l'inscription peinte au crayon noir sur son ventre, ça fait un peu carnaval de Dunkerque. Au début, ils se disent qu'ils vont bien rigoler, et puis très vite ils comprennent que pas trop, en fait. L'idée, c'est de prendre les gens à revers, comme nous on nous a prises à revers parfois, sans consentement".

Almost all moches ("Presque toutes moches", trad), c'est le premier titre de la soirée. "Périnet périmé !", reprennent ensemble les trois chanteuses, puis elles enchainent sur le refrain "Saga, patriarcat, ambiance de la 'choune' "(terme en argot pour désigner le sexe féminin, ndlr), un rythme directement inspiré du populaire Saga africa de Yannick Noah. S'enchaine ensuite une longue litanie de termes argotiques désignant la vulve. Le public, appelé à répéter en choeur, rit de bon coeur. Dans ce titre, tout le monde, enfin le masculin, surtout, en prend pour son grade, Freud et autres psychanalystes conspués pour leur vision des femmes.

Donner des coups aux coups 

"Alors on peut plus draguer tranquille, se faire violer tranquille, maintenant va falloir demander la 'spermission' pour mettre la main au c.. ? Alors hommage aux hommes, dans 48h, une femme va mourir !" (Rires grinçants)
 
Il m'a juré que ça n'arriverait plus... Si je te cogne c'est pour ton bien ma puce.
Extrait du concert des Vaginites
Dans un blues qui tourne à la transe, les chanteuses dénoncent les violences domestiques et les féminicides : "Il y a des coins de porte, des coins d'évier, des coins de table, des radiateurs ; il y a cinquante nuances de bleus, de rouge. À coups de rallonge, de casserole, de bouteille, à coups de sourires, de ceinture, à coups d'assiette. Il m'a juré que ça n'arriverait plus... Si je te cogne c'est pour ton bien ma puce."  

Les "Que je t'aime" de Johnny ou "Ne me quitte pas" de Brel deviennent cris de guerre dans le titre Rage against the machist"On ne tue jamais par amour !", l'occasion pour les Vaginites de rappeller sur scène ce chiffre : en France, 146 femmes sont mortes sous les coups d'un homme l'an dernier. 
 
nous les femmes
"Nous les femmes, l'art qui répare" de Christian François (Production Nolita TV)
©capture ecran/Nous les femmes

 "Famille, je vous haine"

"Famille, je vous haine !" crie dans le micro Corinne Masiero, connue du grand public pour ses rôles au cinéma ou à la télévision. On se souvient aussi de son coup lors de la soirée des Césars 2021, où, au milieu des robes de soirées et des smockings de rigueur, elle choisit de se présenter sur scène en Peau d'Âne sanguinolente. "Qui financerait un film aujourd'hui sur un père qui veut se taper sa fille ?" puis nue avec "No culture, no futur" inscrits sur le corps, pour dénoncer le traitement des intermittents du spectacle pendant la crise du Covid. 
corinne masiero en rouge
Au micro, Corinne Masiero raconte et crie son inceste, sur la scène du Hangar, le 28 janvier 2023. 
©IM
Ce "Famille, je vous haine", il s'adresse à la sienne. Mais aussi à toutes celles qui ne protègent pas leurs enfants des monstres. Comme son parrain, ses cousins... Des criminels dont elle a subi les attouchements alors qu'elle n'avait que sept ans. "C'est bien en fait, c'est comme une formation professionnelle, on t'apprend comment faire l'amour comme ça déjà toute petite !", déclame la comédienne sur un ton acide. Le public reste sonné et saisi par l'aveu, même si quelques rares rires brefs fusent, parce que c'est soir de fête quand même. Mais les paroles ne laissent aucun doute, c'est bien d'inceste dont il s'agit. Sur fond de musique punk-électro, la chanteuse vocifère les mots de ces maux qu'elle a subis enfant. Soudain, sa gorge se noue. Elle se retourne, fait dos au public, un court instant, comme rattrapée et se retourne, des larmes s'écoulent.
 
Je me souviens notamment d'une fille qui est arrivée totalement en pleurs. Elle a tout dit, comment elle s'était fait violer par son cousin. Elle a tout balancé, là, juste en sortant du spectacle.
Audrey Chamot
Si ça voulait gratter, ça gratte. Il est question de souffrance, de parole qui se libère et qui libère, pour mieux briser l'impunité. Les trois chanteuses nous mettent face à la crue et cruelle vérité d'une réalité. En septembre 2022, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, a rendu un rapport montrant qu'une personne sur dix est victime d'inceste dans son enfance. 160.000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles. 70 % des plaintes pour violences sexuelles infligées aux enfants sont classées sans suite.
 "Ça m'a surpris au début, à la fin d'un concert lors d'une manif, des gens sont venus spontanément se confier. Ils prennent d'abord des chemins parallèles en disant 'je connais quelqu'un qui ...' et puis à la fin, ils nous disent, 'j'ai vécu ça'", raconte Audrey Chamot. 

"Je me souviens notamment d'une fille qui est arrivée totalement en pleurs. Elle a tout dit, comment elle s'était fait violer par son cousin. Elle a tout balancé là juste en sortant du concert, devant sa famille. Elle nous a dit merci. Je me dis que là ça nous dépasse un peu, car c'est énorme de dire ça et qu'il faut qu'elle soit accompagnée après. Du coup, on essaie d'avoir les contacts des associations des endroits où l'on va. On se dit que c'est vraiment utile et qu'on fait ça pour ça", poursuit la chanteuse. "En même temps c'est festif, mais on aime aussi s'éclater avec tout ça. Ce qui est bien dans la musique, c'est qu'au bout d'un moment on arrête de réfléchir, on peut plus se libérer", ajoute sa soeur, Stéphanie. 

 

Rouge règles et chant des partisanes

Entre deux titres, les artistes enlèvent une à une leur short en jean pour laisser apparaitre des culottes blanches tachées de sang. "Ah ouais, fais voir toi ? Moi, c'est du faux, je suis ménopausée !!!", rigole Corinne. Le public, féminin comme masculin, s'esclaffe, se détent un peu. Une pause avant la prochaine salve... 

"Toi la mère qui sait, et toi la voisine qui entend hurler, fais quelque chose, ouvre 'ta gueule'", reprennent-elles dans un hymne effréné contre l'omerta et l'indifférence. C'est leur chant des partisanes : "Nous sommes en guerre, et le combat ne fait que commencer, alors debout ! Féministes, suffragettes, jusqu'au boutistes, debout ! Sortez les cisailles et les hastags qui mitraillent".
 
Audrey et l'album Vaginites
Audrey Chamot nous présente le premier opus des Vaginites, sorti le 28 janvier 2023 et présenté à l'occasion du concert au Hangar à Ivry-sur-Seine. 
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Pour terminer la soirée, le groupe invite le public à une séance de selfies et de dédicaces pour la sortie de leur premier album. "Si vous voulez l'acheter, hein ! En même temps on s'en fout ! Mais si vous avez des choses à dire, on est là !" invite Corine Masiero avant de quitter la scène. 
 
La mise en évidence du corps, des règles, de montrer du sang sur les culottes, c'est une manière de militer, c'est un propos très politique. C'est très salutaire y compris pour ceux que ça choque.
Bernard, un spectateur
Une femme dans le public nous confie que c'est "son homme" qui l'a emmenée au concert. Justement, Bernard, 68 ans, nous explique pourquoi il était important pour lui d'être présent ce soir avec sa compagne : "Je ne connaissais pas le groupe, mais j'ai vite compris en voyant l'affiche de quoi il retournait. Je pense qu'elles sont l'expression de ce qui doit se dire. Ça raconte bien comment le mouvement féministe est permanent, il est très très ancien et il n'en finit pas de se déployer et il est extrêmement puissant. C'est selon moi le mouvement le plus puissant du moment, dans tous ses aspects, dans toutes les strates de la société, ça vient questionner les violences". "La mise en évidence du corps, des règles, de montrer du sang sur les culottes, c'est une manière de militer, c'est un propos très politique. C'est très salutaire y compris pour ceux que ça choque.", tient-il à ajouter à notre micro. 

"C'est ce que tout le monde a envie d'entendre et dont personne ne parle ou pas bien. J'ai adoré. Il y a des hommes dans le public, et leur écoute était assez particulière, il me semble", nous dit une spectatrice. "Ce sont des choses très intimes dont elles parlent, c'est la première fois que je vois leur spectacle, et j'adore", ajoute une autre. 
 
Pour moi la violence n'est pas dans les mots qu'elles (les Vaginites) emploient parce qu'ils sont crus ou trash. La violence, elle est dans ce qu'elles rapportent. Dire la violence, c'est ne plus la subir de la même façon mais agir dessus.
Christine, militante féministe dans le public
Christine, elle, est membre de la Maison des Femmes d'Ivry-sur-Seine. Elle nous raconte avoir grandi dans le féminisme, puis l'avoir mis de côté "pensant que les choses étaient réglées". Son "réveil féministe" est revenu avec le mouvement MeToo. "Pour moi la violence n'est pas dans les mots qu'elles (les Vaginites) emploient parce qu'ils sont crus ou trash. La violence, elle est dans ce qu'elles rapportent. Dire la violence, c'est ne plus la subir de la même façon mais agir dessus. Notre émancipation, elle passe par là, témoigne la militante, Rien ne m'a choqué ce soir. Le combat contre les violences est collectif, chacun et chacune le mène avec ce qu'il ou elle est, alors je dis bravo aux Vaginites!"