Le Chili rate l'occasion d'inscrire le droit à l'avortement dans sa Constitution

Les Chiliens ont dit non au projet de nouvelle Constitution. Une victoire pour le camp conservateur et un coup dur pour les droits des femmes. Le texte envisageait d'y inscrire le droit à l'IVG. Un droit, qui, après avoir été interdit durant des décennies, est autorisé en cas de viol ou de danger pour la mère depuis 2017. Une nouvelle bataille s'annonce.
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texte projet constitution chili
Le projet de nouvelle Constitution sera soumis à un référendum le 4 septembre prochain au Chili, le droit à l'avortement s'y trouve inscrit.
©AP Photo/Esteban Felix
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C'est Non. Les Chilien-ne-s ont massivement rejeté le projet de nouvelle Constitution. Une déception pour les progressistes qui soutenaient un texte était particulièrement novateur, comprenant notamment l'inscription du droit à l'avortement. Considéré il y a encore quelques décennies comme un des pays latino-américains les plus conservateurs, le Chili a manqué l'occasion de se placer à l'avant-garde mondiale en la matière.

Le verdict de ce référendum à vote obligatoire est sans ambiguïté et dépasse toutes les prédictions des instituts de sondage. Quelque 61,9% des électeurs, soit plus de 7,8 millions de personnes, ont glissé le bulletin "je rejette", contre 4,8 millions (38,1%) favorables à la mention "j'approuve", selon les résultats définitifs.

Le président Gabriel Boric a annoncé sa volonté de relancer "un nouveau processus constitutionnel". "Je m'engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour construire un nouveau processus constitutionnel", a solennellement lancé depuis le Palais de la Moneda le président de gauche de 36 ans, élu en décembre dernier. Il a lancé "un appel à toutes les forces politiques pour qu'elles fassent passer le Chili avant toute divergence légitime, et qu'elles se mettent d'accord le plus rapidement possible sur les délais et les contours" de ce nouveau processus.

Il y a dans ce pays un grand nombre de conservateurs, dont certains nostalgiques de la dictature de Pinochet, qui ne veulent pas du tout le changement, et ne pas perdre leurs privilèges.
Paola Martinez, journaliste chilienne

Comment expliquer ce rejet ? Paola Martinez, journaliste chilienne installée en France et invitée du journal de TV5monde, tient à rappeler que "l'extrême-droite a failli passer au second tour de l'élection présidentielle. Il y a dans ce pays un grand nombre de conservateurs, dont certains nostalgiques de la dictature de Pinochet, qui ne veulent pas du tout le changement, et ne pas perdre leurs privilèges". 

Une occasion ratée pour les droits des femmes

Actuellement, l'avortement est autorisé en cas de viol, de danger pour la vie de la mère ou de malformations foetales.

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Le projet de Loi fondamentale chilienne avait fait l'objet d'un long débat, sa rédaction par une Assemblée constituante composée de citoyens a duré près d'un an. Ce texte aurait placer le Chili aux antipodes des Etats-Unis qui viennent de révoquer le droit fédéral à l'avortement.

assemblée constituante chili
Les citoyens membres de la Constituante célèbrent le vote final sur les réformes constitutionnelles, dans l'ancien siège du Congrès national, à Santiago, au Chili, le mardi 14 juin 2022.
©AP Photo/Esteban Felix

Un projet de Constitution unique au monde

L'avortement suscite toujours le débat au Chili, mais le temps où l'Eglise catholique pesait de tout son poids pour empêcher toute évolution semble désormais se conjuguer au passé. Dans un sondage datant de septembre 2021, une majorité de Chiliens (73%) se déclarent en faveur de l'IVG, sans conditions (41%) ou sous conditions (32%).

Au sein de l'Assemblée constituante, totalement paritaire, certaines avaient d'abord douté de l'opportunité de mentionner explicitement l'IVG dans la Loi fondamentale craignant de braquer la droite sur l'ensemble du texte.

L'avancée historique du mouvement féministe nous a permis de dire qu'il était absolument nécessaire d'exprimer les choses (...) pour que cela change l'histoire des filles de notre pays.
Alondra Carrillo, membre du mouvement féministe 8M

Mais le mouvement féministe a donné l'élan décisif en recueillant les 15.000 signatures nécessaires pour inscrire la proposition à l'ordre du jour. "L'avancée historique du mouvement féministe nous a permis de dire qu'il était absolument nécessaire d'exprimer les choses (...) pour que cela change l'histoire des filles de notre pays", commente Alondra Carrillo, membre du mouvement féministe 8M et membre de la Constituante.

"Un effet Cour suprême" jusqu'au Chili ? 

La décision de la Cour suprême américaine d'annuler l'arrêt qui garantissait l'accès à l'IVG aux Etats-Unis a fait l'effet d'une bombe dont les répercussions risquent de traverser les frontières. "C’est une très mauvaise nouvelle mais qui s’ancre dans un contexte plus général de polarisation. D’un côté, il y a une avancée des mouvements sociaux et des peuples dans la conquête de droits. Et d’un autre côté, il y a la droite réactionnaire avec une forte politique contre les mouvements féministes.", confie Barbara Miel Lagos, l’une des porte-parole du mouvement féministe chilien du 8 mars au correspondant de RFI à Santiago. 

"Il ne faut pas que nous ayons une Constitution qui établisse le droit à l'avortement", réclame Bernardita Silva, président de la Fondation "Chile Siempre", un des mouvements anti-IVG chilien, boosté par la décision de la Cour suprême des Etats-Unis.

L'article 16 du projet de Constitution aurait pu remplacer l'actuelle héritée de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990). Ce texte assure "l'accès à l'information, à l'éducation, à la santé et aux services et prestations nécessaires à cet effet, en assurant à toutes les femmes et aux personnes capables de porter des enfants, les conditions pour une grossesse, une interruption volontaire de grossesse, un accouchement et une maternité libres et protégés".  Aucun délai n'est précisé, ce qui a immédiatement poussé les mouvements anti-IVG à affirmer que la Constitution permettrait l'avortement "jusqu'à neuf mois".

Le délai n'est pas mentionné car ce n'est pas une donnée constitutionnelle.
Janise Meneses, membre de la Constituante

Janise Meneses, élue qui dirige la Commission des droits fondamentaux au sein de la Constituante, dément: il est "complètement faux de dire que nous avons approuvé" dans le projet un avortement "sans limite de temps" ou "jusqu'au jour avant la naissance". "Le délai n'est pas mentionné car ce n'est pas une donnée constitutionnelle. C'est la loi qui doit préciser dans quels délais il est possible d'exercer ce droit", insiste-t-elle.

En 1990, à la fin de la dictature, le Chili était particulièrement à la traîne en matière de droits civils: les relations homosexuelles n'ont été dépénalisées qu'en 1999, le divorce n'a été autorisé qu'en 2004, et des groupes ultraconservateurs comme l'Opus dei étaient influents dans la population majoritairement catholique.

manif 8 mars Chili
Rassemblement près du palais présidentiel de La Moneda lors d'une manifestation marquant la Journée internationale de la femme, à Santiago, au Chili, le dimanche 8 mars 2020.
©AP Photo/Esteban Felix

Le Chili freiné sur la voie progressiste

En 2017, sous pression du mouvement féministe et alors que l'Eglise était empêtrée dans de nombreux scandales de pédophilie, le pays de 18 millions d'habitants a finalement mis fin à l'interdiction totale de l'IVG.

Moins de deux ans après, le soulèvement social de 2019 contre les inégalités a remis la question des droits sexuels et reproductifs à l'agenda. Le mariage homosexuel a ainsi été voté en 2021 et les Chiliens ont donné une large majorité au jeune président de gauche, Gabriel Boric, qui pendant sa campagne s'est clairement dit favorable à l'IVG, contre son rival d'extrême droite.

Si la Constitution est votée en septembre, le Chili pourrait être un des tout premiers pays au monde à inscrire l'IVG dans la Constitution. Un autre pays est actuellement en discussion autour de ce sujet: la France, une proposition de loi en ce sens pourrait y être prochainement déposée.