Fil d'Ariane
C'est Non. Les Chilien-ne-s ont massivement rejeté le projet de nouvelle Constitution. Une déception pour les progressistes qui soutenaient un texte était particulièrement novateur, comprenant notamment l'inscription du droit à l'avortement. Considéré il y a encore quelques décennies comme un des pays latino-américains les plus conservateurs, le Chili a manqué l'occasion de se placer à l'avant-garde mondiale en la matière.
Grosse déception des partisans du oui #apruebo réunis place de la dignité à Santiago, là où a commencé le mouvement social en 2019. Le non au référendum l’emporte largement avec 62% des voix. #chili pic.twitter.com/JRaeQtAYhN
— Benjamin Mathieu (@BenjMathieu) September 5, 2022
Le verdict de ce référendum à vote obligatoire est sans ambiguïté et dépasse toutes les prédictions des instituts de sondage. Quelque 61,9% des électeurs, soit plus de 7,8 millions de personnes, ont glissé le bulletin "je rejette", contre 4,8 millions (38,1%) favorables à la mention "j'approuve", selon les résultats définitifs.
Le président Gabriel Boric a annoncé sa volonté de relancer "un nouveau processus constitutionnel". "Je m'engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour construire un nouveau processus constitutionnel", a solennellement lancé depuis le Palais de la Moneda le président de gauche de 36 ans, élu en décembre dernier. Il a lancé "un appel à toutes les forces politiques pour qu'elles fassent passer le Chili avant toute divergence légitime, et qu'elles se mettent d'accord le plus rapidement possible sur les délais et les contours" de ce nouveau processus.
Quelques centaines de mètres plus loin, les partisans du #rechazo fêtent leur victoire. Le non est référendum est largement en tête. « On fête notre liberté, le Chili ne sera pas aux mains des communistes, c’est bon pour l’économie » me dit un père de famille en sautant de joie. pic.twitter.com/gwt0fazwTB
— Benjamin Mathieu (@BenjMathieu) September 5, 2022
Comment expliquer ce rejet ? Paola Martinez, journaliste chilienne installée en France et invitée du journal de TV5monde, tient à rappeler que "l'extrême-droite a failli passer au second tour de l'élection présidentielle. Il y a dans ce pays un grand nombre de conservateurs, dont certains nostalgiques de la dictature de Pinochet, qui ne veulent pas du tout le changement, et ne pas perdre leurs privilèges".
De nombreux partisans du changement de constitution s'apprêtent à voter contre le texte soumis à référendum au #Chili. Comment l'expliquer ? Paolo Martinez Infante, journaliste. pic.twitter.com/9EmzdL4fCb
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) September 4, 2022
Actuellement, l'avortement est autorisé en cas de viol, de danger pour la vie de la mère ou de malformations foetales.
Le projet de Loi fondamentale chilienne avait fait l'objet d'un long débat, sa rédaction par une Assemblée constituante composée de citoyens a duré près d'un an. Ce texte aurait placer le Chili aux antipodes des Etats-Unis qui viennent de révoquer le droit fédéral à l'avortement.
L'avortement suscite toujours le débat au Chili, mais le temps où l'Eglise catholique pesait de tout son poids pour empêcher toute évolution semble désormais se conjuguer au passé. Dans un sondage datant de septembre 2021, une majorité de Chiliens (73%) se déclarent en faveur de l'IVG, sans conditions (41%) ou sous conditions (32%).
Au sein de l'Assemblée constituante, totalement paritaire, certaines avaient d'abord douté de l'opportunité de mentionner explicitement l'IVG dans la Loi fondamentale craignant de braquer la droite sur l'ensemble du texte.
Mais le mouvement féministe a donné l'élan décisif en recueillant les 15.000 signatures nécessaires pour inscrire la proposition à l'ordre du jour. "L'avancée historique du mouvement féministe nous a permis de dire qu'il était absolument nécessaire d'exprimer les choses (...) pour que cela change l'histoire des filles de notre pays", commente Alondra Carrillo, membre du mouvement féministe 8M et membre de la Constituante.
"La unidad se construye y eso fuimos haciendo durante todo este año (...) es una supramayoría la que construyó el borrador de la nueva Constitución, que superó con creces los 2/3 que se impusieron al quehacer de la Convención Constitucional" #ElPaisQueQueremos pic.twitter.com/gCLesyqvVa
— Alondra Carrillo Vidal (@AlondraCVidal) June 26, 2022
La décision de la Cour suprême américaine d'annuler l'arrêt qui garantissait l'accès à l'IVG aux Etats-Unis a fait l'effet d'une bombe dont les répercussions risquent de traverser les frontières. "C’est une très mauvaise nouvelle mais qui s’ancre dans un contexte plus général de polarisation. D’un côté, il y a une avancée des mouvements sociaux et des peuples dans la conquête de droits. Et d’un autre côté, il y a la droite réactionnaire avec une forte politique contre les mouvements féministes.", confie Barbara Miel Lagos, l’une des porte-parole du mouvement féministe chilien du 8 mars au correspondant de RFI à Santiago.
"Il ne faut pas que nous ayons une Constitution qui établisse le droit à l'avortement", réclame Bernardita Silva, président de la Fondation "Chile Siempre", un des mouvements anti-IVG chilien, boosté par la décision de la Cour suprême des Etats-Unis.
L'article 16 du projet de Constitution aurait pu remplacer l'actuelle héritée de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990). Ce texte assure "l'accès à l'information, à l'éducation, à la santé et aux services et prestations nécessaires à cet effet, en assurant à toutes les femmes et aux personnes capables de porter des enfants, les conditions pour une grossesse, une interruption volontaire de grossesse, un accouchement et une maternité libres et protégés". Aucun délai n'est précisé, ce qui a immédiatement poussé les mouvements anti-IVG à affirmer que la Constitution permettrait l'avortement "jusqu'à neuf mois".
Janise Meneses, élue qui dirige la Commission des droits fondamentaux au sein de la Constituante, dément: il est "complètement faux de dire que nous avons approuvé" dans le projet un avortement "sans limite de temps" ou "jusqu'au jour avant la naissance". "Le délai n'est pas mentionné car ce n'est pas une donnée constitutionnelle. C'est la loi qui doit préciser dans quels délais il est possible d'exercer ce droit", insiste-t-elle.
Fuimos trabajadores y profesionales haciendo política y no políticos profesionales. Extracto de mi última intervención.#AprueboSinMiedo #Apruebo4deSeptiembre #aprueboEl4deSeptiembre #Apruebo #AprueboNuevaConstitucion pic.twitter.com/EHpjIiJsEW
— Janis Meneses Palma (@JanisMeneses_D6) June 26, 2022
En 1990, à la fin de la dictature, le Chili était particulièrement à la traîne en matière de droits civils: les relations homosexuelles n'ont été dépénalisées qu'en 1999, le divorce n'a été autorisé qu'en 2004, et des groupes ultraconservateurs comme l'Opus dei étaient influents dans la population majoritairement catholique.
En 2017, sous pression du mouvement féministe et alors que l'Eglise était empêtrée dans de nombreux scandales de pédophilie, le pays de 18 millions d'habitants a finalement mis fin à l'interdiction totale de l'IVG.
Moins de deux ans après, le soulèvement social de 2019 contre les inégalités a remis la question des droits sexuels et reproductifs à l'agenda. Le mariage homosexuel a ainsi été voté en 2021 et les Chiliens ont donné une large majorité au jeune président de gauche, Gabriel Boric, qui pendant sa campagne s'est clairement dit favorable à l'IVG, contre son rival d'extrême droite.
Si la Constitution est votée en septembre, le Chili pourrait être un des tout premiers pays au monde à inscrire l'IVG dans la Constitution. Un autre pays est actuellement en discussion autour de ce sujet: la France, une proposition de loi en ce sens pourrait y être prochainement déposée.