"Les Américains ont une attitude plus permissive, reconnaît Vanessa Conri. La mastectomie est également proposée aux femmes qui ont des antécédents familiaux sans nécessairement présenter une mutation génétique." Une politique de santé plus agressive car sans doute moins coûteuse en examens médicaux, avec "aussi des sociétés savantes qui ne font pas exactement les mêmes recommandations qu’en France", précise la spécialiste de Bordeaux.
Ne faut-il pas alors craindre une banalisation médicale de la mastectomie ? L’exemple d’Angelina Jolie ne risque-t-il pas de faire des émules et d’encourager des patientes à recourir à la chirurgie alors qu’une surveillance accrue suffirait ?
"C’est en tout cas ce qu'il faut absolument éviter, alerte Amélie Bertin-Mourot, directrice de l'association
Etincelle qui accompagne les femmes touchées par le cancer du sein. La mastectomie reste une opération mutilante qui fait perdre à la femme une zone sexuelle et érogène. Physiquement, c'est très douloureux, en particulier la phase de reconstruction et, psychologiquement, c'est ultra violent. C’est un acte qu’il ne faut pas minimiser."
La chirurgienne le confirme : "La mastectomie, même si elle est extrêmement bien faite, fait perdre en qualité de vie. Dans les études de satisfaction, les femmes le disent. Leur qualité de vie se retrouve diminuée, et même légèrement plus que celles qui ont fait le choix de la surveillance."
Dans l’association Etincelle, sur les deux cents nouvelles femmes qui arrivent chaque année, à peine cinq traversent l’épreuve de la mastectomie prophylactique. "Le cas d'Angelina Jolie reste très atypique et n'est pas représentatif des malades du cancer du sein." Néanmoins, la directrice ne manque pas de saluer le courage de la star hollywoodienne.
La meilleure ambassadrice pour la prévention
De même, à la
Fondation Arc pour la recherche sur le cancer "on a beaucoup d'admiration pour Angelina Jolie, confie la directrice Axelle Davezac. Raconter publiquement ce qu’elle a vécu, c’est important pour toutes les femmes anonymes qui vivent la maladie. Une amie qui est exactement dans le même cas qu'Angelina Jolie m'a dit qu'elle se sentait reconnue. On ne pouvait pas espérer meilleure ambassadrice pour parler du cancer et de la mastectomie. C’est une actrice formidablement belle qui pose un regard décomplexé sur ce problème intime et douloureux."
C’est aussi, pour la directrice de l’Arc, une belle promotion du dépistage. "40% des cas de cancer en France pourraient être évités avec une meilleure prévention. C'est pour ça qu'il est important de prendre en compte très sérieusement le risque de cancer, comme l'a fait et l'a expliqué Angelina Jolie."
Profits et effets pervers
Pourtant, le 16 mai,
dans une contre tribune publiée par The Nation, hebdomadaire de gauche, Rose-Ellen Lessy, très concernée par le sujet, met en garde les femmes tentées par la démarche de Angelina Jolie. La chercheuse enseignante new-yorkaise avoue qu'elle est la seule femme de sa famille à ne pas être porteuse de la mutation du gêne BRCA2. Comme l'actrice, elle a vu sa mère mourir d'un cancer du sein à l'âge de 47 ans. Mais ce qui la rend méfiante ce sont les énormes profits en jeu autour de ces BRCA 1 et 2. "Le problème est qu'il y a beaucoup de profit à faire en attisant toutes ces inquiétudes. Le grand gagnant, mardi (15 mai, jour de l'annonce de Angelina Jolie, ndlr), n'était pas la santé des femmes, c'était Myriad Genetics, la société qui détient le brevet exclusif sur les gènes BRCA 1 et 2 à mutation depuis les années 1990." Parce que, et c'est en partie due à l'exhortation bien intentionnée, mais formulée de manière équivoque par Angelina Jolie, à "chacune" d'explorer son risque, Myriad pourrait bien voir ses affaires relancées. L'entreprise est déjà en plein essor : selon Karuna Jaggar, le directeur général d'Action cancer du sein, 'le monopole de Myriad Genetics sur ces tests génèrent environ un demi-milliard de dollars par an de recettes."
La professeure en littérature conclut ainsi son point de vue : "Le gène BRCA et son approche médicale recèle le dilemme impossible des soins de santé à but lucratif, en particulier lorsqu'ils sont pratiqués dans le cadre d'un monopole légal: quelques femmes à risque élevé seront certes sauvées, mais beaucoup plus de femmes seront ou bien inutilement alarmées, ou bien pénalisées financièrement, ou les deux. Cela ne semble pas être un bon compromis ou une bonne politique de santé publique." Dans son prochain livre, Rose-Ellen Lessy développera le thème des familles face au cancer du sein...