Depuis deux ans, le clitoris est correctement et entièrement représenté dans un manuel scolaire de SVT à destination des collégiens. Mais dans un seul. Une initiative qui avait l'objectif de briser le tabou qui entoure l’organe du plaisir féminin.
Les Editions Magnard ont « du clito » ! a-t-on envie de clamer
comme l'avait fait Houda Benyamina, la réalisatrice, récompensée à Cannes (2016), pour son film Divines. Grâce à cet éditeur, une partie des élèves des collèges français (6ème à la 3ème, 12 ans à 16 ans) ont pu découvrir dès la rentrée 2017, en cours de SVT (Sciences de la Vie et de la Terre), une représentation correcte et complète du clitoris. On peut le voir sur le schéma ci-dessous, Magnard a redessiné entièrement l'organe génital féminin.
«
Pour y parvenir, nous sommes allés au plus près des documents scientifiques primaires, souligne Béatrice Salviat, directrice pédagogique de la collection SVT.
Il était important pour nous que les élèves aient une vision complète, scientifique et réaliste de l’organe qui est dédié au plaisir féminin. » «
Il constitue l’homologue du pénis, poursuit-elle.
Mais on le représente très souvent comme un simple repli de peau, comme s’il n’y avait rien derrière. »
Une fille de 15 ans sur quatre ne sait pas qu’elle a un clitoris.
Rapport 2017 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes
L’éditeur a donc choisi de faire figurer cette nouvelle illustration dans deux ouvrages. Le premier est un manuel complet de cycle 4 à l’usage des 5
ème, 4
ème et 3
ème et l’autre est destiné exclusivement aux classes de 4ème. Cependant, Magnard est la seule maison d’édition scolaire (sur huit) à représenter correctement et entièrement l’appareil génital féminin. Les autres éditeurs (Belin, Bordas, Didier, Hachette, Hatier, Lelivrescolaire et Nathan) ont quant à eux conservé leur dessin. «
Nous ne pensions pas être les seuls, s’est étonnée
dans les colonnes de La Parisienne Annick Ziani, directrice éditoriale pour le secondaire.
A l’origine nous ne sommes pas militants mais nous sommes contents et fiers. »
84% des filles ne savent pas représenter le clitoris
Jusqu’ici, tous les ouvrages se contentaient de représenter le clitoris par un point, un gland ou, pire, ne faisait l’objet d’aucune représentation, alors que cet organe peut mesurer jusqu’à dix centimètres. Un déficit à mettre en corrélation avec
un rapport relatif à l’éducation à la sexualité du HCEfh (Haut Conseil à l’égalité entre les les femmes et hommes) qui révélait en juin 2017 que «
les jeunes et en particulier les filles de 13 ans ne savent pas comment représenter leur sexe, alors qu’elles sont 53 % à savoir représenter le sexe masculin et, une fille de 15 ans sur quatre ne sait pas qu’elle a un clitoris. »
L’initiative des Editions Magnard a donc été saluée par le collectif SVT égalité. Constitué d’un réseau de professeurs, il a pour but «
de construire un enseignement égalitaire ». Il s’est réjouit sur les réseaux sociaux de voir «
qu’enfin, un manuel scolaire (celui des éditions Magnard) a pris en compte l'anatomie complète du clitoris dans son schéma d'appareil sexuel. »
Cette petite révolution qui se profile dans le domaine de l’éducation sexuelle, on la doit en particulier à Odile Fillod. Une chercheuse indépendante en sociologie des sciences et de la vulgarisation scientifique, spécialisée dans les questions de genre et
auteure du blog allodoxia. Dès 2014 elle tirait la sonnette d’alarme « s
ur le déficit d’informations, voire la désinformation, concernant l’anatomie génitale féminine », d’autant «
qu’il est plus difficile pour une fille de savoir à quoi son sexe ressemble».
Connaître le clitoris peut aider les femmes à se constituer comme sujets actifs de leur sexualité, plutôt que de se voir uniquement comme objet (et réceptacle) du désir masculin.
Odile Fillod, chercheuse indépendante
Le premier clitoris à imprimer en 3D
En août 2016, la chercheuse avait conçu un clitoris entier à taille réelle grâce à l’impression 3D et mis
un fichier à disposition permettant au corps enseignant de l’imprimer.
Le but est de permettre aux professeurs de parler du clitoris en classe, en montrant précisément à quoi il ressemble et faire comprendre que le plaisir féminin n’est pas plus mystérieux que celui des hommes. «
Penser que le vagin est l’homologue du pénis, et non le clitoris, c’est se tromper au point de croire que les femmes n’ont rien entre les jambes, si ce n’est un trou, déclare la chercheuse.
Connaître le clitoris (…) peut aider les femmes à se constituer comme sujets actifs de leur sexualité, plutôt que de se voir uniquement comme objet (et réceptacle) du désir masculin. »
Le collectif SVT-égalité abonde dans ce sens sur
son blog : «
Présenter de bons schémas en classe est particulièrement important. Parce qu’ils permettent d’éviter des cours androcentrés, ne parlant dans le détail que des organes dits masculins. Et parce que nos cours doivent s'inscrire dans une éducation à la sexualité, et qu'on ne peut participer à la construction d'une sexualité épanouie chez les élèves sans évoquer la notion de plaisir, et donc du clitoris, le seul organe humain uniquement dédié à cela. Parce qu'on lutte ainsi contre les stéréotypes de genre : donner des informations anatomiques justes permet de rompre avec l'image d'une sexualité dite féminine qui serait « complexe », « mystérieuse », « cérébrale».
L’évolution de la représentation du clitoris
Dans l’Histoire, cette représentation du clitoris n’est pas nouvelle. Comme on peut le lire dans une synthèse très riche sur le clitoris rédigée par Alexandre Magot , « dans l’Antiquité, on le mentionnait en Égypte, en Grèce et chez les Romains. Quant à son anatomie et ses homologies avec le pénis, elles apparaissent sur certaines planches médicales au moins depuis le XVII e siècle avec les gravures de Casseri. »
En 1850, l’Allemand Georg Ludwig Kobelt conduit des travaux, traduits en français, qui font état de grandes découvertes. Il a compris notamment «
en suivant les nerfs que le clitoris regroupait une très grande terminaison nerveuse », rapporte au
site Francetvinfo.fr Claude Piquard, sexologue, auteur de
La fabuleuse histoire du Clitoris.
On pensait alors que l’orgasme féminin était nécessaire à la fécondation, le clitoris faisait donc encore l’objet de représentations. Mais à la fin du 19 ème siècle lorsqu’on s’est aperçu qu’il n’y avait pas de lien, le clitoris est devenu dangereux, la masturbation en couple étant à l’époque perçue comme un moyen de contraception.
Dans le même temps, Sigmund Freud enfonçait le clou. «
Le clitoris serait pour lui un pénis en miniature, un sexe tronqué que la petite fille investit en compensation, en attendant un jour de découvrir sa vraie sexualité, révélée par la pénétration masculine et le phallus tout puissant, écrit
la Fédération française de sexologie et de santé sexuelle. Ce n’est donc que tardivement, d’après Freud, avec le renoncement à son orgasme clitoridien, infantile et immature, que la femme peut accéder à sa sexualité d’adulte, en obtenant enfin un orgasme vaginal. »
Il faut attendre 1998 pour que le clitoris réapparaisse enfin grâce à l'urologue australienne Helen O'Connell qui a reproduit un schéma détaillé de l’organe du plaisir. Et en 2017, il est reproduit intégralement dans un manuel scolaire, celui des Editions Magnard.
Sans oublier la norme "blanche"
Le manuel des éditions Magnard se retrouve en tête des ventes, en deuxième position juste derrière son concurrent Belin. Selon Adrien Fuchs, responsable Sciences secondaire, 20 % des élèves ayant accès à un nouvel ouvrage cette année auront entre les mains celui des Editions Magnard. Des résultats que l’on peut «
en partie seulement - attribuer à cette représentation du clitoris .
Cela a pu avoir un impact positif. Mais le choix d’un manuel est plus complexe.», tempère-t-il. «
Notre démarche s’inscrit dans une volonté générale de rigueur scientifique qui ne concerne pas seulement le chapitre de la reproduction et la sexualité, renchérit Béatrice Salviat, directrice pédagogique de la collection SVT,
mais aussi toutes les questions sociétales vives tels que le développement durable ou encore l’environnement.»
Une chose est sûre, cet ouvrage fait figure de pionnier sur le marché des manuels scolaires français. L’accueil qui lui a été réservé incitera, peut-être, d’autres éditeurs à l’imiter. En tenant compte d’une autre observation émise par le collectif qui déplore, en outre, que tous les schémas du sexe féminin, dans l’ensemble des manuels, «
témoignent d'une norme blanche.»
Autre première : l’écriture inclusive dans un manuel des éditions Hatier
Les éditions Hatier ont publié en mars 2017 un manuel scolaire destiné aux élèves de CM2 qui emploie « l’écriture inclusive ». Au lieu de respecter la règle grammaticale qui veut que le masculin l’emporte sur le féminin et qui invisibilise les femmes, il s’agit d’écrire par exemple « artisan.e.s » ou encore « professeur.e.s ». Comme l’explique l’éditeur en ouverture de cet ouvrage « Questionner le Monde » de la collection Magellan et Galilée, il a décidé de suivre les recommandations de 2015 du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes. Et il a essayé « de respecter autant que possible le nombre de femmes et d’homme présentés. » Suivez Lynda Zerouk sur Twitter :
@lylyzerouk