Sali, 50 ans, vient de recevoir son huitième titre de séjour en France, pendant quatre ans elle a été employée par une famille pour s'occuper d'une dame âgée, avec un salaire de 300 euros par mois, et privée de passeport.
Ses quatre premières années en France, Sali les a passées comme esclave domestique au sein d'une famille qui lui avait confisqué son passeport. Aujourd'hui, cette Burkinabé de 50 ans, fille de Tirailleur sénégalais, doit se battre au quotidien pour pouvoir rester dans ce pays où elle s'est mariée. Un récit de l'esclavage moderne.
Cela s’est joué à quelques jours. Sali, 50 ans, a obtenu début novembre son cinquième titre de séjour en huit ans, mais cette fois-ci, il s’en est fallu de peu pour que la date de validité du précédent ne soit dépassée avant qu’elle n’obtienne ce nouveau sursis de deux ans. Et pourtant, Sali, qui est burkinabé, a fait toutes les démarches en temps et en heure, avec l’aide son mari Daniel. Elle s’est donnée du mal pour remplir les formulaires et passer des tests, elle qui n’est jamais allée à l’école. Ses quatre premières années en France, Sali les a passées comme esclave domestique. Malgré cela, elle n’a eu droit ni à la naturalisation ni à un titre de séjour de dix ans, qui lui aurait donné un peu de répit. Alors, tous les deux ans, elle doit refaire une demande de titre de séjour, dont l’obtention se complique à chaque fois. « J’ai peur pour l’avenir », glisse Sali. Et quand on connaît son passé, ce n’est pas peu dire.
La vie de Sali pourrait être un feuilleton à rebondissements. Mariée à 16 ans, séparée ensuite de ses enfants, elle a traversé des guerres, a été exploitée et se bat aujourd’hui pour conserver son titre de séjour en France, sans jamais se plaindre ni se départir de son sourire.
Elle est née au Burkina Faso dans un petit village de l’ouest du pays. Elle en porte d’ailleurs les cicatrices significatives sur son visage. Son père est un ancien Tirailleur sénégalais. Adolescente, elle vit un mariage arrangé avec un homme de son village. Ensemble, ils partent vivre en Côte d’Ivoire. Ils auront trois enfants. Mais ils se séparent quelques années plus tard. Son ex mari rentre au Burkina-Faso avec leurs enfants.
C’est à ce moment là qu’une opportunité inattendue se présente. Son neveu, manager d’un hôtel, lui parle d’une cliente qui recherche une femme pour s’occuper d’une personne âgée dépendante en France. Après tout ce qu’elle a déjà vécu, Sali veut croire en un meilleur futur, alors, elle accepte, d’autant que la famille qui l’embauche lui promet de la régulariser et de faire venir ses enfants, dès qu’elle sera installée. « Je venais de perdre mon père, j’y ai vu un signe », se remémore Sali.
Il neigeait ! J’ai tremblé de froid pour la première fois. Et j’avais mal aux pieds, je n’avais jamais porté de chaussures fermées jusque là. Sali
C’était en 2010. Elle traverse la Côte-d’Ivoire en pleine guerre civile, pendant une semaine, en convoi, pour prendre un vol direction Paris, avec une escale en Libye. La Libye est en guerre, elle aussi, et les bombes pleuvent au dessus de l’aéroport. « Les gens pleuraient, on ne savait pas si on pourrait partir. J’ai suivi des Français qui ont trouvé un vol pour Paris qui a pu décoller. » Un visa de tourisme en poche, elle arrive finalement deux jours plus tard que prévu à Roissy, avec pour seul indice, une photo, faxée avant son départ, de la femme qui l’attend. Pour Sali, le choc est d’abord thermique. « Il neigeait ! J’ai tremblé de froid pour la première fois. Et j’avais mal aux pieds, je n’avais jamais porté de chaussures fermées jusque là. »
Elle rencontre la « mamie » - c’est comme ça qu’elle l’appelle - dont elle est chargée de s’occuper. Une femme de 88 ans, lourdement handicapée après une fracture du col du fémur. Son mari est mort, elle refuse d’aller en maison de retraite, alors ses enfants ont choisi de lui trouver une garde-malade.
Je parlais le dialecte de mon village et seulement quelques mots de français. Il faisait froid dehors mais l’ambiance était aussi glaciale dans la maison, car la « mamie » se méfiait de moi. Sali
Au début, entre les deux femmes, la communication est difficile. « Je parlais le dialecte de mon village et seulement quelques mots de français. Il faisait froid dehors mais l’ambiance était aussi glaciale dans la maison, car la « mamie » se méfiait de moi », se souvient Sali. Pour elle, le changement est violent. « Tout était différent de ce que je connaissais. »
Mais malgré les incompréhensions, une relation intime, complice, se noue progressivement entre les deux femmes. Sali apprend les gestes de soin auprès des aides-soignantes et des aides-ménagères de l’ADMR (association d'aide à domicile, ndlr), qui passent au début. Elle prépare à manger, fait le ménage, promène la « mamie », regarde à la télévision Joséphine, ange gardien avec elle, passe des journées entières à l’hôpital auprès d’elle. Elle ne sort jamais seule, n’a aucun contact avec personne, si ce n’est sa famille restée au Burkina, qu’elle appelle régulièrement. « Le seul moment où je me sentais bien, c’était quand j’étais au jardin. Je m’occupais des poules. Mais si les gens savaient quelle souffrance c’est quand on est loin des siens... », souffle Sali.
Les mains de Sali et Daniel, devenu son époux, qui, tous les deux ans, l'aide dans ses démarches administratives pour obtenir un titre de séjour en France.
Pendant quatre ans, Sali s’occupe de la vieille dame de jour comme de nuit, sept jours sur sept. « J’avais un téléphone dans ma chambre et je devais me lever si elle m’appelait la nuit pour aller l’aider. » Chacun des sept enfants de la « mamie » est censé lui donner 50€ par mois. Une des filles de la fratrie ne donnera jamais rien. Sali est donc payée 300€ par mois. « Je savais que ce n’était pas beaucoup, poursuit Sali, mais ils avaient promis de faire venir mes enfants, alors je ne disais rien et j’espérais. Une grosse partie de l’argent étaient envoyée à mes enfants pour qu’ils financent leurs études. Un jour, j’ai demandé plus, 500€, et j’ai réclamé mes papiers. Ils avaient gardé mon passeport. »
Ils m’ont dit : tu as trois mois pour obtenir tes papiers et te mettre en règle, sinon, on te met à la porte et tu n’auras pas intérêt à dire que tu nous connais. Sali
C’est la douche froide. Évidemment, la demande d’augmentation ne passe pas. Sali découvre aussi qu’aucune démarche n’a été entreprise pour la régulariser, ni pour faire venir ses enfants. Elle réalise alors avec effroi qu’elle est sans papier. « Je venais de passer quatre ans sans visa, sans assurance, sans sécurité sociale, c’était comme si je n’existais pas. » Pire, la réaction de la famille qui l’emploie l’enfonce un peu plus. « Ils m’ont dit : tu as trois mois pour obtenir tes papiers et te mettre en règle, sinon, on te met à la porte et tu n’auras pas intérêt à dire que tu nous connais. Si tu les obtiens, tu pourras rester. »
Isolée et sans ressource, Sali, désespérée, raconte la scène à sa « mamie ». À 92 ans, la vieille femme décide de tout faire pour aider sa « fille », comme elle la surnomme désormais. « Elle m’a dit : ils sont méchants, ce qu’ils te font, ce n’est pas correct. » Elle demande alors à partir dans sa maison secondaire, dans l’ouest de la France, pour y passer un peu de temps. Sali est évidemment du voyage. Là-bas, la « mamie » contacte un ami et lui demande d’aider Sali à se régulariser. Lui ne peut pas, mais il pense à un de ses proches, Daniel. Ancien routier, il a eu l’occasion de sillonner l’Afrique de l’Ouest. Réticent au départ, il cède face à l’insistance de son ami. « Je sortais d’un divorce difficile, mais il me répétait : vas la voir ! » Alors, sous l’œil bienveillant de « la mamie », Daniel rencontre Sali.
« J’avais un peu peur au début », concède Sali, alors jeune quarantenaire. Mais entre les deux, le courant passe. Sali rougit en avouant à Daniel que s’il veut la contacter, il faudra l’appeler car elle ne sait pas lire ni écrire des messages. Lui en rigole et décide de l’aider. Il se démène pour elle dans les démarches administratives. Elle passe deux week-ends chez lui pendant les trois mois qui lui ont été laissés. Avant d'emménager définitivement en 2015, après avoir quitté la famille qui l’embauchait. La voir partir arrange bien les sept enfants de la vieille femme, qui décède quelques mois plus tard. « Elle avait dit que personne ne pouvait s’occuper d’elle comme moi », se souvient Sali. C’était sans doute vrai.
Sali, 50 ans, née au Burkina Faso, s'est mariée avec Daniel, français, mais n'a pas obtenu de papiers français pour autant.
De son côté, Daniel décroche le précieux titre de séjour pour Sali, qui refuse d’attaquer la famille en justice pour esclavage moderne, comme le lui conseille une avocate spécialisée. « Si elle l’avait fait, elle aurait sans doute pu obtenir un dédommagement et cela aurait facilité nos démarches », estime Daniel.
Mais à 42 ans, l’heure n’est pas aux règlements de comptes. Elle repart à zéro et retrouve le sourire. Elle épouse Daniel quelques mois après son déménagement. Mais n’obtient pas la nationalité française pour autant. Au fil du temps, elle apprend à lire et à écrire. Trouve un travail en 2/8, en CDI, dans une usine. S’investit dans plusieurs associations de sa commune où elle est appréciée. Passe son permis et l’obtient du premier coup. Elle part même quelques semaines au Burkina-Faso avec Daniel pour revoir, enfin, ses trois enfants qui lui ont tant manqué, et rencontrer ses petits-enfants. Mais comme un couperet qui tombe, tous les deux ans, il lui faut refaire les lourdes démarches administratives pour régulariser sa situation. « Ça nous prend de l’énergie et c’est un gouffre financier », s’agace Daniel. Depuis la dématérialisation des démarches, c’est « encore pire » et la proposition de loi immigration, déposée par Gérald Darmanin et actuellement étudiée au parlement suscite chez lui de l'inquiétude.
Je ne demande pas de passe-droit, juste un titre de séjour de dix ans qui nous permettrait de vivre sereins. Daniel, mari de Sali
Pour offrir une solution pérenne à son épouse, Daniel a tout essayé. Il a rencontré des élus, le député et la sénatrice de sa région pour leur raconter son histoire. Il a même écrit au préfet et à Emmanuel Macron. En vain. La réponse qu’il a reçue disait que « nul ne peut déroger à la loi ».
« Je ne demande pas de passe-droit, plaide Daniel, juste un titre de séjour de dix ans qui nous permettrait de vivre sereins. » Sali vient tout juste d’obtenir son cinquième titre de séjour. Comme les précédents, il ne lui octroie que deux ans. Ses enfants ne parviennent pas non plus à décrocher un visa de tourisme pour venir la voir. La situation semble bloquée, au point que le couple commence à songer à partir vivre au Burkina Faso. « J’ai fait ma vie ici, je travaille pour mes enfants. Je suis heureuse avec Daniel, mais mon bonheur n’est pas complet sans eux », conclut Sali.
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