Back to top
Pour voyager à moindres frais, ou lorsqu'aucun autre moyen de transport est disponible, le covoiturage est désormais entré dans les moeurs. Le court-voiturage en est la variante urbaine, qui opère dans un rayon de 100 kilomètres autour des grandes agglomérations. Autant de solutions qui se substituent aux transports publics. Pour les femmes, cette solution présente en outre l'avantage d'éviter frotteurs, "relous" et autres indésirables dans l'inévitable promiscuité des transports en commun.
Selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, 100 % des utilisatrices de transports en commun disent avoir été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement ou d’agressions sexuelles dans les transports en 2018. L'ONDRP répertoriait au moins 267 000 personnes, "principalement des femmes", victimes d'atteintes sexuelles en 2014 et 2015 dans les transports en commun en France. Enfin, 51% des femmes avouent ne pas s'y sentir en sécurité.
Face à ces constats et ressentis, alliés à la hausse des agressions que ce soit dans les bus, métro et rer et autres, les sociétés de taxis ou de véhicules avec chauffeur, mais aussi les plates-formes de covoiturage et de court-voiturage ont tiré leurs conclusions. La plupart proposent désormais des options permettant aux femmes de se déplacer entre elles en toute confiance.
Quand on voyage entre femmes, on est totalement à l'aise, comme si on était à la maison.
Margot Bruno, utilisatrice de Women Only de Citygo
Même si elles ne sont pas victimes d'agressions à proprement parler, les femmes ont souvent une impression d'insécurité dans ces espaces de promiscuité que sont les transports en commun. Les solutions qui leur permettent de rester entre elles peuvent les rassurer. "Cela peut être un regard, un geste mal placé. On ne se sent pas à l'aise, on est tout le temps méfiante dans les transports en commun, sur la défensive," confie Margot, utilisatrice de l'option Women Only proposée par Citygo, une plateforme de court-voiturage urbain qui rassemble 14 000 conductrices. "Women Only" est un filtre que peuvent actionner les conductrices qui souhaitent ne recevoir de demandes de trajets que de la part de passagères - et inversement.
"Avec Women Only, on peut arrêter deux secondes de se poser des questions : est-ce que j'ai dit quelque chose qui pourrait laisser penser que je le drague ? Est-ce que mes propos sont mal placés ? Quand on discute avec un homme dans un espace clos, même si le trajet se passe super bien, on se met toujours des limites pour ne pas susciter l'impression qu'on tend une perche. Alors qu'entre femmes, on est totalement à l'aise, comme si on était chez soi, sans arrière-pensée." Plus de trois mois après le lancement de cette option sur son application, le nombre de conductrices qui utilisent l'application a augmenté de 30 %.
Patrick Robinson Clough, fondateur et patron de Citygo, sait que "l'un des freins au covoiturage est la crainte de tomber sur une personne désagréable" et il est convaincu, au vu des commentaires des utilisatrices, que "les conductrices redoutent d’avoir à transporter un ou plusieurs hommes dans leur véhicule et préfèrent se trouver avec des femmes qu'avec des hommes qui risqueraient ne serait-ce que faire des remarques lourdes ou désagréables. Une plate-forme comme Women Only est garante de sérénité, supprimant le risque, même s'il n'est que de 1 ou 2 % de voyager avec des hommes qui ne savent pas se tenir."
Sur certains trajets couverts par le court-voiturage, comme de banlieue à banlieue, ou en bout de ligne de train ou de RER, les femmes éprouvent encore davantage le besoin de voyager en sécurité. Sachant que le silence est très souvent la réponse aux situations de harcèlement, on comprend mieux l'augmentation de 30% en quelques mois du nombre de conductrices sur l'application. Les utilisatrices se disent elles aussi soulagées : "Certains commentaires sur le site nous disent que la plate-forme les a "sorties de prison" ou "sauvé la vie", assure Patrick Robinson Clough.
Isoler les femmes dans les transports : solution pour lutter contre le harcèlement dans les transports ou ségrégation qui ne fait que renforcer le sexisme ? Pour Héloïse Duché, fondatrice de l'association "Stop harcèlement de rue", ce genre d'initiatives isole les femmes et les met à l’écart : "Cela accentue l'idée que la femme est un être vulnérable qui a besoin d'une protection particulière. Si l'initiative vient de femmes qui s'organisent entre elles pour avoir plus d'autonomie dans leur déplacement, je comprends la démarche et la vois comme un outil. Mais lorsqu'il ne s'agit que de coups marketing qui jouent sur les stéréotypes, le remède ne fera que renforcer l'origine du problème : le sexisme," déclarait-elle à Femmes actuelles en juillet 2019.
Le débat n'est pas nouveau : acter la séparation entre hommes et femmes s'apparente à un constat d'échec et mieux vaudrait soigner la cause que pallier les symptômes. Autrement dit, il est plus urgent d'enseigner aux garçons à se comporter respectueusement avec les filles que de recourir à des solutions qui, à certain·es, évoquent la ségrégation. Comme le dit Catherine, utilisatrice des plate-formes de covoiturage, "ce genre d'initiatives me mettent mal à l'aise, j'ai l'impression d'être en Arabie saoudite."
A lire aussi dans Terriennes :
► Kolett, une compagnie de VTC par et pour les femmes : bonne ou mauvaise idée ?
► Agressions sexuelles chez Uber : des courses à risques pour les clientes
► L'épopée de Zahida, première femme chauffeure de taxi du Pakistan
► Mexique : les conductrices de bus et de taxis s'organisent au pays du volant macho
► Des wagons réservés aux femmes dans le métro de Londres ? Polémique