A l’heure des prises de position conservatrices de Benoît XVI, le mouvement religieux gay continue de faire des émules. En Argentine, Roberto González, est un pasteur culte et rebelle. Grand militant des droits homosexuels -comme celui du mariage légalisé en 2010 en Argentine- il célèbre depuis plus de dix ans dans son petit appartement de Buenos Aires, des messes pour les fidèles gays, rejetés par l’Eglise.
Les théâtres de la fameuse avenue Corrientes de Buenos Aires assistent à un incessant va-et-vient de la foule en recherche de divertissements en ce début de soirée dominicale. Quelques centaines de mètres plus loin, une femme enceinte, une travesti, et un pasteur d'origine indienne timbués se rassemblent dans un vieil appartement. Enveloppé dans un nuage de fumée de cigarette se trouve le pasteur. Il s'appelle Roberto Oscar González. Ses mots ont ouvert le chemin de la résistance face à la discrimination homophobe en Argentine et en Amérique du Sud. Les cheveux hirsutes poivre et sel, en tongs et chaussettes Roberto González prépare la liturgie avant l’arrivée de ses fidèles dans sa maison. Une maison qui est son temple. Sa vie, elle, est digne d'un scénario de film: le rejet, les souffrances et la détermination teignent les principaux chapitres de son existence. Le pasteur-fanatique de vêtements gothiques- est né dans la ville de Rosario (province de Santa Fe, Argentine); la comparaison avec l’un de ses illustres compatriotes, le "Che" Guevara (né dans la même ville) ne parait pas tellement exagérée, si on pense que leurs combats avaient pour ligne de mire la justice sociale. Roberto s'efforce quotidiennement pour que justice soit faite au sein de sa communauté.
LA MESSE DE LA COMMMUNAUTE GAY Bercé par un doux tango d'Astor Piazzolla, la porte principale de la maison de Roberto s'ouvre et laisse passer plusieurs couples d'hommes mûrs, une travesti avec son ami, la famille du pasteur et Gabriel: le fidèle le plus assidu. Maria Isabel est la fille de Roberto; avec le ventre arrondi par la grossesse, elle pose avec l’aide de son mari les hosties sur la table basse du salon pendant que son père au fond de l'appartement revêt son col blanc. Dans cette cérémonie il n'y a pas de vin. "Plusieurs fidèles ont vécu des problèmes d'alcoolisme dans le passé-explique Roberto- et nous avons décidé de les aider à suivre le bon chemin." C'est pourquoi le sang de Dieu en cette messe est remplacé par du jus de raisin. Le pasteur s’assoit entre sa fille enceinte et son gendre, et invite les personnes présentes à se recueillir dans l'intimité à travers la lecture biblique qu'il vient de leur donner. Le paquet semi-ouvert de biscuits à côté des hosties- que Roberto touche de la pointe des doigts- symbolise la nourriture quotidienne des Argentins vivant dans les bidonvilles du pays, là où les gays souffrent doublement la discrimination. "Je veux diriger mes prières vers les membres de notre communauté qui vivent dans la pauvreté et sont exclus de l’église parce qu'ils sont homosexuels".
UNE PORTE OUVERTE Depuis 1998 Roberto accueille autour de sa table basse les âmes blessées par l'église traditionnelle. Il leur offre un espace libre dans lequel il jure qu'il n'y a pas de droit d'admission dans le royaume de Dieu. Il prêche en ce lieu qu'il a fondé et baptisé: Centre Chrétien de la Communauté Gay, Lesbienne, Travesti, Transsexuel et Bisexuel (GLTTB). Par leur simplicité, les messes de Roberto sont aux antipodes de celles de l'Eglise américaine de la Communauté Métropolitaine. Lors des cérémonies, par exemple, ils bénissent l'union de plus de 6000 couples homosexuels par an, et militent pour la légalisation du mariage entre personnes du même sexe. LA REBELLION Choqué par les propos de l’archevêque de Buenos Aires qui déclarait que “l'homosexualité allait à l'encontre de la nature et que les gays et lesbiennes devaient déménager sur une île pour vivre avec leurs propres lois“, le pasteur Roberto entre dans le militantisme en 1988 avec l’aide de son compagnon, Norberto. "Je me rappelle que Norberto après avoir écouté ces déclarations s'est levé furieux et a dit: "Comment ce curé de merde peut dire ce qu'il veut en toute impunité sans que personne nous défende?! «Le commentaire m'a bouleversé et je me suis rendu compte qu'il était temps d'agir", crie Roberto entre deux bouffées de cigarettes. -"Roberto a ouvert une brèche que personne ne peut fermer", relate l’homme qui partage la vie du pasteur. Face à l'ampleur des diatribes homophobes de l'église catholique en Argentine, le pasteur aux cheveux gris n'a pas hésité -sans trembler devant les caméras de télé- à rappeler à l'église sa complicité de génocide lors de la dernière dictature militaire. De manière plus discrète, Roberto accompagné d'activistes pro gay comme Carlos Jáuregui a été le premier à se rassembler, et à manifester en pleine nuit devant les bars de Buenos Aires qui interdisaient l'entrée aux homosexuels.
PENDANT SES ETUDES Roberto Oscar González a étudié pendant 5 ans la théologie pour être pasteur."Quand les gens de mon centre d'étude ont appris que j'étais gay, ils m'ont obligé à avoir mes propres couverts, personne ne voulait boire le maté avec moi (ndlr : infusion de plante d'Amérique du sud)", détaille-t-il. C'était les années 80, l’explosion du Sida entraînait avec lui préjugés et désinformations. Son directeur l’incite à terminer au plus vite ses études et l’informe qu’il ne trouvera aucune place au sein de l’Eglise. Quelques confrères le soutiennent pourtant et lui offrent un bouquet de fleurs multicolores le jour de la cérémonie des diplômes. L'église ne pu faire autrement que de reconnaître sa nomination en tant que pasteur. Sa ferveur de soutenir la communauté gay atteignit son paroxysme quand il fut choisi pour fonder une filiale de l'Eglise américaine de la Communauté Métropolitaine en Argentine (connue pour avoir célébré le premier mariage gay en 1969 en Californie). UN MARIAGE ET DEUX ENFANTS Avant cela, Roberto a été marié pendant plus de 16 ans et a eu deux enfants. (Il a connu sa femme quand tous deux travaillaient pour l'Armée du Salut). Son épouse soupçonna son homosexualité avant même que Roberto ne lui révèle. "Elle n'a pas été surprise, elle se doutait, et mes enfants m'ont accepté comme j'étais", dit-il avec soulagement. Confession faite, le pasteur sort du closet et pour la première fois tombe amoureux d’un autre homme. "Il était beau, nous nous sommes regardés pendant une éternité sans parler, sans nous donner aucun baiser. On a été simplement les meilleurs amis du monde", se souvient Roberto comme si c’était hier. Cette histoire est commune à celle de nombreux hommes et femmes qui se sentent coupables de vivre leur sexualité en liberté de peur d'être rejeté par leur famille, amis et... "puni" par Dieu. Gabriel, un travailleur social, acquiesce avec les poings crispés : "Quand tu reçois une éducation religieuse et que tu lis dans la bible le mot "homosexuel" dans la liste des criminels qui peupleront l’enfer, c’est difficile à supporter". Adepte des messes de Roberto, il fait maintenant de la prévention sida en distribuant dans la rue des préservatifs. Avant d'assumer sa sexualité, la consommation de drogues et les amours cachés étaient son quotidien; et c'est la mort de son père, qui l'avait chassé de sa maison, qui lui a permis de respirer avec plus de liberté. -"Que tu sois gay, travesti ou hétéro le pasteur va t'aider. Lui qui avait des préjugés sur les travestis il y a quelques années de cela a réussi à nous accepter dans son Centre", me dit Norma, grande, épaules carrés et coquette. Elle, qui est travesti, m'explique pourquoi : "Il combat afin d'aider n'importe qui, le pasteur Roberto est très spécial, il te remplit le cœur de joie chaque fois qu'il prêche la bonne parole".
LE VATICAN ATTAQUE Le chemin vers la tolérance et plus précisément, vers la vraie acceptation de la diversité sexuelle se dessine lentement à travers le globe, à plus de 30 ans de la fameuse révolte de Stonewall à New York, qui a débouché sur la création de la Gay Pride et des premières associations gays. Les obstacles de la part des mouvements conservateurs freinant l'évolution des droits de la communauté gay sont-ils si importants? Le Vatican, par exemple, a pris la décision de fermer la porte du sacerdoce des personnes aux tendances homosexuelles. Et il y a deux ans,en plein scandale des enfants abusés sexuellement par des curés, le cardinal Tarcisio Bertone a déclaré, toujours depuis le Vatican, que les gays étaient considérés par la science comme étant des pédophiles. Un amalgame qui, de l’autre côté de l’océan, a outragé le pasteur Roberto González, lui même père de famille et grand-père de trois petits enfants. Alors que les diatribes de l’Eglise catholique continuent de créer la polémique, la tempête anti-homo semble se dégager en Argentine. Après plusieurs mois de délibérations et cinq unions entre personnes du même sexe, le Sénat a légalisé le 15 juillet 2010 le mariage homosexuel. Une grande victoire dans l’histoire de l’Argentine devenu le premier pays latino-américain à autoriser le mariage gay. DE RETOUR A L'APPARTEMENT DU PASTEUR Les fidèles chantent en chœur la dernière litanie avant la fin de la messe. Dans les volutes des fumées d’encens le groupe se lève pour se donner une dernière accolade. L’énorme croix en bois et les icônes des saints gays- comme celles de Félicité et Perpétue mortes dans l'arène romaine en raison de leur foi en Dieu- ont disparu. Un choix que le pasteur a pris afin de ne pas avoir l’impression de vivre dans une église. Seule une statue -étrangement blanche- de la vierge Marie, posée au dessus de la bibliothèque, veille sur les derniers instants de la messe."Dieu nous donne des ailes et la religion nous met en cage" cite Roberto ému,au bord des larmes, sous les forts applaudissements de ses fidèles.