Une neutralité contestéeAu delà de l'écriture, certaines entrées de ce dictionnaire révèlent donc des positions politiques et/ou religieuses clairement perceptibles, comme celles sur l'avortement ou la masturbation. L'auteur de l'ouvrage, Dominique-Alice Rouyer, décrite comme philosophe et journaliste, confirme les positions religieuses du livre. Elle s'explique sur les conseils donnés à la rubrique « masturbation » :
« bien sur que c'est une prise de position et j'assume tout à fait, … je dis qu'une pratique régulière et exclusive de la masturbation isole », se défend-t-elle.
Publié à partir de 2002, le Dico des Filles est une idée venue de l'éditeur Fleurus. D'inspiration catholique, autrefois proche des catholiques de gauche, selon le site Babelio, Fleurus publie de nombreux livre pour enfants, adolescents et adultes, axés autour de l'éducation, ou de la religion comme des livres liturgiques. Pour écrire ces conseils destinés aux jeunes filles de 12-16 ans, tranche d'âge où les adolescents commencent à se forger une opinion,
« Fleurus édition et l'auteur se sont basés sur une vision de l'Homme conçu par le catholicisme », concède Dominique-Alice Rouyer.
Christian Terras, rédacteur en chef de
Golias Hebdo et Magazine, revue catholique d'ouverture marquée à gauche, a lu des passages du
Dico des filles. Pour lui, cet ouvrage est
« une réponse dans le prolongement de la manif pour tous et à la théorie du genre qui fait polémique dans ce milieu-là (c'est-à-dire catholique, ndlr) ». Il s'agirait
d' « une guerre idéologique qu'est en train de livrer un certain catholicisme, minoritaire mais très active financièrement », assure-t-il.
Le livre est édité tous les ans depuis 2002. Mais les réactions se sont pour l'instant, et cette année pour la première fois, surtout exprimées sur la toile. Avant ? On ne trouve pas grand chose sur internet. Et Christian Terras impute cette polémique naissante au contexte français : l'après Manif pour tous.
« Pourquoi des réactions maintenant ? La 'Manif pour tous' a fait que les gens sont devenus plus sensibles, plus réactifs face à ces types de discours », déclare-t-il.
Or, dans l'ouvrage, qui est vendu dans les grandes surfaces et les grandes enseignes de librairie, nulle mention ne signale, aux lecteurs et aux acheteurs, le caractère religieux de l'ouvrage.
Beaucoup d'erreurs Pire encore, le contenu très marketing et le manque de sérieux du contenu, avec des informations erronées, comme celles sur les MST (maladies sexuellement transmissibles). Pour l'Hépatite B, il est indiqué que cette maladie peut être transmise par la salive. Or, il est prouvé scientifiquement que les risques de transmission de l'hépatite B par la salive sont nuls.
Des erreurs aussi se sont infiltrées dans l'ouvrage concernant le mariage des mineurs en France. Il est prétendu que les filles de moins de 18 ans peuvent se marier dans l'Hexagone mais à condition d'obtenir l'accord des parents. Or depuis 2006, le mariage des mineurs est strictement interdit en France, même avec l'autorisation parentale.
De nombreuses autres erreurs ont d'ailleurs été relevées par
le blog "Les vendredis des Intellos". Pourtant, Mme Rouyer, qui se décrit comme "la plume du livre", assure que l'ouvrage a été réalisé de manière sérieuse.
« On a écrit ce livre avec une équipe de sociologues, médecins, proviseurs, une équipe de filles entre 13 et 15 ans. Il y a eu toute une étude derrière. C'était il y a 10 ans, en 2002, et depuis, tous les ans, on le réactualise », déclare-t-elle. Pourtant, quand on lui met sous le nez et les yeux des erreurs patentes, sa réponse est «
je ne me rappelle plus, ça fait longtemps que je n'ai pas lu le dico ».
Enfin, l'aspect marketing de l'ouvrage est lui aussi très orienté. Pour 2014, la couverture du
Dico des filles est plutôt clinquante : Rose fushia, recouverte de paillettes et bordée de papillons. Les années précédentes, la présentation, toujours très 'fille', était pourtant moins aguicheuse : noire et dorée pour l'édition 2013, ou multicolore à dominance rose pour d'autres.
Les 70 premières pages sont exclusivement dédiées à la mode et à la publicité, dans lesquelles des prix exorbitants sont affichés telles qu'une ceinture à 140 euros. Si c'est un livre de conseils, pourquoi autant de pages mode et de publicités ?
Pour Dominique Alice Rouyer,
« on n'attrape pas les filles avec du vinaigre. C'est cette couverture qui fait vendre (...) Le rose clinquant, c'est une manière de faire rentrer les filles dans des choses intelligentes. Elles achètent le dico pour la couverture et le maquillage et après elles tombent sur le reste.»Un marketing bien rodé et ciblé, voilà peut-être l'une des raisons du succès de ce pseudo dictionnaire, aux multiples erreurs et aux positions conservatrices, voire rétrogrades. Placé sur les étagères dédiées aux livres pour adolescentes,
le Dico des filles fait aujourd'hui partie des meilleures ventes. Selon l'auteure, 1,5 millions d'exemplaires auraient été vendus depuis 2002. L'éditeur parle de 800 000 sur
son site internet.