Fil d'Ariane
C’est connu, la femme vieillit quand l’homme mûrit. La ride accable la première, alors qu’elle ennoblit le second. Une injustice qui n’est pas innée mais construite par un système patriarcal inégalitaire et « une culture pédophile assimilant la jeunesse à la beauté ». Cette analyse musclée est livrée par Amanda Castillo dans Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes ?, somme édifiante sur cette différence de traitement qui veut qu’une femme de 40 ans soit déjà « un objet périmé ».
La parade proposée aux femmes par cet ouvrage qui vient de sortir aux Editions L’Iconoclaste ? Flamboyer en toute liberté et vivre comme le fit Lou Andreas-Salomé, l'une des premières femmes psychanalystes, en n’appartenant à personne et en célébrant chaque jour sa passion pour la curiosité intellectuelle et les vastes explorations. Assurer son indépendance financière aussi. Et ne jamais s’excuser d’exister, à n’importe quel âge et dans n’importe quelle situation.
« On est dans une culture saturée de stéréotypes âgistes et sexistes. On le voit au cinéma, dans les séries télévisées, dans les publicités ... À 35 ou 40 ans, elles s'entendent dire qu'elles sont périmées alors qu'elles ont toutes leur vie devant elles. », explique Amanda Castillo. « Je pense que toutes les femmes quand on évolue dans une atmosphère culturelle comme ça, on intériorise véritablement une dévalorisation constante de ce qu'on est.», ajoute l'autrice dans une vidéo publiée par les éditions L'Iconoclaste.
Le saviez-vous? Il existe une gamme de soins antioxydants et antirides, GeoGirl, destinée aux fillettes âgées de 8 à 12 ans. Le saviez-vous aussi? L’influenceuse Sarah Fraisou, 30 ans, recommande à ses followers des capsules de resserrement intime à insérer dans le vagin, notamment après l’accouchement, pour éviter «les infidélités des maris, mécontents de leur vie sexuelle du fait d’un vagin détendu par la maternité».
Le saviez-vous encore? Blachman, une émission danoise de 2013, mettait en scène deux hommes évaluant le corps d’une femme qui se présentait nue devant eux. Questionné sur la misogynie de l’émission, l’animateur s’est justifié en disant que «le corps d’une femme aspire à être commenté».
Amanda Castillo, ancienne consoeur du Temps, n’est pas journaliste pour rien. L’autrice féministe, qui refuse de dire son âge « en guise de geste politique », a bien creusé son sujet et nombre de ses informations relèvent de la pépite. A commencer par le goût des hommes pour les femmes bien plus jeunes qu’eux.
Parmi les concernés, la spécialiste distingue deux profils. Le pygmalion qui, comme Roger Vadim, aime les femmes-chenilles pour en faire des femmes-papillons (qu’ils quittent aussitôt) et l’angoissé qui, comme Frédéric Beigbeder, épouse des jeunettes à répétition, car «sinon, il voit sa propre mort dans le corps vieillissant de ses compagnes».
De fait, quand Vadim a rencontré Brigitte Bardot, Catherine Deneuve et Jane Fonda, elles avaient respectivement 18, 17 et 27 ans. Ce profil de pygmalion, que partagent le chanteur Serge Gainsbourg et le cinéaste Luc Besson, repère et révèle des jeunes pousses qu’il fait grandir à la lumière de son excellence solaire. Totalement macho et assumé. «Je suis un esthète. Une fleur qui s’ouvre, c’est plus intéressant qu’une fleur qui perd ses pétales», disait l’illustre Serge dont la dernière conquête, Constance Meyer, fréquentée en alternance avec Bambou, avait 16 ans, alors qu’il en avait 57.
Au jeu des comparaisons, François Mitterrand a fait mieux. A 72 ans, il aime Claire, 22 ans, tandis qu’à 84 ans, Silvio Berlusconi quitte Francesca, 34 ans, pour du sang plus frais… Comme Hugh Hefner, fondateur du magazine Playboy qui, à 86 ans, épouse Crystal Harris, âgée de 26 ans, ces aînés appartiennent à la deuxième catégorie identifiée par Amanda Castillo. Ce ne sont donc pas des pygmalions, mais des angoissés qui espèrent oublier leur mort prochaine au contact de ces fleurs de printemps.
Le plus fort, sourit l’autrice, c’est que ces prédateurs de chair fraîche justifient leurs liaisons en assurant que le gain est mutuel. «Les jeunes femmes sont apaisées par le calme qu’elles trouvent dans un vieil amant qui a déjà accompli sa tâche professionnelle sur terre, a déjà couché avec toutes les femmes. L’homme mûr est un sage fidèle, rassasié et rassurant», pérore Beigbeder.
Evidemment, ces vieux amants ne pourraient pas sévir si la haine de soi n’était pas inscrite dans l’image que les femmes ont intégrée. «N’importe quel connard rougi à l’alcool, chauve à gros bide et look pourri, pourra se permettre des réflexions désagréables sur le physique des filles s’il ne les trouve pas assez pimpantes. Ce sont les avantages de son sexe», pointe Virginie Despentes dans King Kong Théorie. Il s’agit là d’«objectivation sexuelle», un concept posé par la philosophe américaine Sandra Bartky qui survient «à chaque fois que le corps d’une femme, les parties de son corps, ou ses fonctions sexuelles sont séparés de sa personne».
C’est-à-dire un peu tout le temps, ironise Amanda Castillo. Vu que, du cinéma à la télé, en passant par les arts plastiques mais aussi la littérature, sans oublier l’humour, les médias et les réseaux sociaux, le male gaze non seulement nourrit la culture du viol, mais découpe également les femmes en morceaux.
En témoigne le nombre de chirurgies plastiques qui bondit, une pratique qui sévit dès le plus jeune âge. « C’est que la femme-bibelot obéit aux lois de la société de consommation: quand elle ne sera plus consommable, elle sait que l’homme la jettera », résume la journaliste qui égraine les chiffres, en renfort, des statistiques éloquentes. « En Finlande, quel que soit son âge, un homme considère que l’âge idéal d’une femme est de 22 ans. A Séoul, les interviewés le situent entre 17 et 25 ans. Une étude du Monde montre que, sur les sites de rencontre, le pic d’attractivité des femmes avoisine les 18 ans, celui des hommes, les 50 ans. » Etc., etc.
Et, comble du malaise, poursuit Amanda Castillo, si les hommes peuvent avoir des compagnes de soixante ans plus jeunes qu’eux sans être traités de noms d’oiseaux, on appelle une femme « cougar » dès qu’elle a une ou deux années de plus que son compagnon… Bref, comme dit Alice Coffin, « il faut guérir d’être une femme». «Non pas d’être née femme, mais d’avoir été élevée femme dans un monde pensé par et pour les hommes. »
D’où les derniers chapitres dans lesquels Amanda Castillo rend hommage aux figures hors normes qui, comme George Sand, Dominique Rolin ou Benoîte Groult, ont su s’affranchir de ces injonctions.
Car il y a deux options, résume la journaliste. Soit les femmes essaient de déconstruire la masculinité toxique et tentent de changer la société, mais ce combat, épuisant, rend souvent ses soldates amères et, paradoxalement, obsédées par la figure de l’oppresseur qu’elles cherchent à éradiquer. Soit elles se galvanisent, rayonnent dans leur solitude choisie quand solitude il y a, s’aiment elles-mêmes avant de se soucier du regard des autres et parviendront à modifier les relations hommes-femmes à travers leur autonomie réjouie.
« Ce qu'elles nous disent très clairement, c'est que le meilleur antidote à l'érosion du désir, c'est pas un corps éternellement jeune, ni une personnalité au service des autres mais c'est la capacité à vivre sa vie à la première personne. », estime l'autrice.
La journaliste en veut pour preuve le succès renversant de Lou Andreas-Salomé qui a fasciné des monstres comme Nietzsche, Rilke et Freud par sa vivacité d’esprit et son indépendance farouche. Elle n’était pas spécialement belle, dit l’autrice, mais, « grâce à une vie intellectuelle riche, elle a toujours attisé son feu intérieur ».
Ainsi, à 50 ans passés, Lou s’offrait encore de nombreux « festins d’amour », car, « elle ne s’est jamais dit: « il faut que je sois brillante et magnétique », mais s’est toujours laissé exister, tout simplement. C’est ce trait de caractère, combiné à une dévorante faculté de penser, qui a tant séduit les hommes. »
Le programme est clair. À l’image de Caroline Ida Ours, modèle de 61 ans qui en 2021 a dévoilé son corps taille 44 avec sa cellulite dans une publicité pour la marque de lingerie Darjeeling ou de Sophie Fontanel qui, à 59 ans, a posé nue pour la couverture du magazine Elle, les femmes doivent se montrer telles qu’elles sont avec fierté et, surtout, cultiver ce qui les grandit, non ce qui les humilie.
Il faut non seulement, comme dit Gloria Steinem, «érotiser l’égalité», mais, plus encore, exploser avec superbe la tyrannie du jeunisme. La résistance, assure Amanda Castillo, passe par la flamboyance. « La première chose à entreprendre, c'est la reconquête de soi », conclut-elle dans son intervention vidéo.