"Le féminisme n'a jamais tué personne" : envisager la lutte féministe de l'après #MeToo

En ce début d'année, la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou lance un cycle de visioconférences intitulé Le féminisme n’a jamais tué personne !. Plus de trois ans après la déferlante #MeToo née de l’affaire Weinstein, les participantes aux débats - autrices, spécialistes, philosophes ou blogueuses - s'interrogent sur les moyens de, désormais, porter la parole féministe. 
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le féminisme ne tue pas
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Fin 2017, le scandale de l’affaire Weinstein provoquait une vague de révélations sur les affaires de harcèlement et de violence, qui allait rapidement s'étendre à toutes les sphères de la société, dans le monde entier. Telle une lame de fond fragilisant les fondements sexistes de notre monde, le mouvement #MeToo a fait émerger une prise de conscience des multiples aspects de la domination masculine.

Si on ne peut que constater qu'il y aura un avant et un après, tout est-il résolu pour autant ? Faut-il s'attendre à un retour en arrière, un "effet boomerang" ? Dans quel état d'esprit la nouvelle génération, celle qui a grandi avec #MeToo, aborde-t-elle les problématiques féministes ? Où et comment l’égalité entre hommes et femmes s'est-elle imposée ? Dans quelle mesure les problèmes de domination masculine ont-ils progressé pour les femmes d'origines et de parcours sociaux divers.

Autant de questions abordées dans le cadre du cycle Le féminisme n’a jamais tué personne ! animé par l'autrice et philosophe Elsa Dorlin, professeure de philosophie politique et sociale à l’Université Paris 8 et conseillère scientifique des conférences dans le cadre de ces conférences organisées par la Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou à Paris. 

Toutes les information sur les rencontres ► Le féminisme n’a jamais tué personne !
Des conférences à suivre ► en ligne et sur la page Facebook de la BPI

Le premier débat, Violences sexistes : quand les femmes prennent la parole, s'est tenu en visioconférence lundi 18 janvier avec Valérie Rey-Robert, écrivaine et créatrice du blog Crêpe Georgette, Anaïs Bourdet, fondatrice du projet PayeTa Shnek, co-animatrice du podcast Yesss, Ovidie, réalisatrice, journaliste, écrivaine et actrice. 

Violences ou "terrorisme patriarcal"?

Féminicides, viols, harcèlement : au-delà des violences physiques, les violences faites aux femmes, multiples, révèlent avant tout une organisation du monde centrée sur le pouvoir des hommes. Valérie Rey-Robert explique pourquoi elle préfère, à violence sexiste, un terme comme "terrorisme patriarcal" :"Beaucoup de victimes ne se reconnaissent pas dans le terme de 'violence sexiste'. Ce qu'elles ont vécu n'était pas, pour elles, de la violence avec des coups, du sang, des cicatricesQuand au terme sexiste, il ne permet pas de savoir qu'il s'agit de violences exercées par les hommes et subies par les femmes".

Le harcèlement n'est ni de la drague, ni de la séduction... Il comporte une volonté de terroriser les femmes dans l'espace public et virtuel.
Anaïs Bourdet, blogueuse

La blogueuse Anaïs Bourdet insiste sur le déni qui a longemps prévalu sur cette violence sexiste qu'est le harcèlement dans l'espace public. Elle-même a subi du  harcèlement en ligne parce qu'elle mettait en lumière les témoignages des victimes de harcèlement de rue : "Ce que j'ai fait n'a fait que prouver que le harcèlement n'est ni de la drague, ni de la séduction, et qu'il comporte une volonté de terroriser les femmes dans l'espace public et virtuel. Les réactions rétrogrades montrent l'énorme résistance des hommes à avancer sur ce terrain-là."

Sexe et sexisme

Pour la réalisatrice Ovidie, cette oppression sexiste est entretenue par l'ensemble de notre environnement culturel, jusque dans la chambre à coucher. "La pornographie enferme les femmes dans les injonctions sexistes et patriarcales, qui influencent nos pratiques intimes. Et c'est là qu'elle entretient la violence sexiste."

La pornographie enferme les femmes dans les injonctions sexistes et patriarcales, qui influencent nos pratiques intimes. Et c'est là qu'elle entretient la violence sexiste.
Ovidie

Edulcorées de séduction ou sous couvert de conjugalité, viols et autres violences se banalisent, conformément à cette idée que "les femmes doivent tout supporter pour garder leur homme... Il y a là encore un 'no man's land' régi par des idées patriarcales," constate Ovidie. Elle rappelle aussi que le slut shaming ( fait de considérer les femmes sexuellement actives comme des « salopes », ndlr) est une violence patriarcale qui peut mener au suicide. "Ce n'est pas un féminicide à proprement parler, mais des femmes perdent la vie à cause du harcèlement qu'elles ont subi pour ce qu'elles ont fait avec leur cul."

Après #metoo, qu'est-ce qui a changé ?

Rares sont les enquêtes et les chiffres sur le sujet, mais celles et ceux qui existent montrent que les idées reçues persistent, même si la culture du viol a beaucoup évolué ces dernières années : "Au fil de mes lectures, j'ai pu constater que, dans les années 2000, la parole des victimes de viols n'étaient pas entendues. Aujourd'hui, les victimes sont entendues, crues, mais... et alors ?" constate Valérie Rey-Robert. Anaïs Bourdet, si elle admet que les choses ont évolué pour les victimes, déplore que la fréquence des cas de harcèlement ne baisse pas, voire que les réactions se radicalisent : "En pratique, les femmes se font toujours autant harceler, surtout avec le confinement qui a rendu l'espace public aux hommes."

Ovidie, de son côté, insiste aussi sur l'évolution des mentalités face aux violences sexistes que sont les violences gynécologiques et obstétricales, qui ont donné lieu à des témoignages massifs sur les réseaux sociaux et dans la presse : "Au début, le déni était total : les femmes qui les dénonçaient étaient folles ou ignares. La réflexion sur la notion de consentement a réellement fait avancer les choses sur ce plan-là".
 

Racisme et féminisme

Anaïs Bourdet est concernée de près par la liaison dangereuse qui peut être faite entre racisme et féminisme : "Cela fait partie des techniques des hommes pour détourner la remise en question - le harceleur, c'est l'autre, un musulman, un homme issu de l'immigration." Valérie Rey-Robert, elle, s'interroge sur l'action de la justice et sur ce que le féminisme a à gagner à voir de plus en plus d'hommes pauvres et racisés en prison, car "c'est cela la réalité, ce sont eux que l'on retrouve devant les tribunaux, alors que les viols et les violences patriarcales, par exemple, touchent toutes les classes de la société". Ovidie se souvient de l'été du burkini, en 2016, et rappelle que les femmes ont toujours été soit trop couvertes, soit pas assez : "Les hommes revendiquaient pour les femmes le droit de se déshabiller sur une plage. Comme toujours, ils défendent les droits des femmes, mais seulement quand cela sert leur agenda politique.

De l'éducation ... 

Pour Anaïs Bourdet, on éduque encore davantage à l'inégalité qu'à l'égalité : "Les cours de récréation sont monopolisées par les garçons qui jouent au foot, et les séries télé et les livres de classe véhiculent une image patriarcale". Quant à l'éducation au consentement, si elle commence par forcer les enfants à faire des "bisous" pour saluer des gens qu'ils n'ont pas envie d'embrasser, elle porte en elle la contradiction. "C'est anodin, mais on commence l'éducation par forcer les enfants à faire quelque chose de leur corps qu'ils n'ont pas envie de faire." Mère d'une adolescente, Ovidie le souligne : "Autant il est important pour une mère de faire de sa fille une guerrière, autant il est trop facile de se défausser sur les mères pour que leurs fils ne deviennent pas des violeurs." 

La violence au féminin ?

Pour les intervenantes du débat, la violence individuelle ne sert à rien face au backlash (contrecoup, ndlr) qu'elle suscite. Le refus et la renonciation, en revanche, peuvent devenir un outil de négociation intéressant, comme la chanteuse Lio, une femme qui a renoncé à une vie sexuelle déterminée par le désir des hommes, comme la grève du sexe en Colombie ou au Libéria, et comme toutes ces femmes, de plus en plus nombreuses, qui choisissent de faire une "pause" de plusieurs mois dans leur sexualité pour s'interroger sur la vraie source de leurs désirs et fantasmes.
 
Retrouvez l'intégralité du débat Violences sexistes : quand les femmes prennent la parole entre Valérie Rey-Robert, Anaïs Bourdet, et Ovidie, animé sur Facebook par Elsa Dorlin : 

Suite du programme à la BPI...

Lundi 22 février à 19 heures : le féminisme en 13 minutes

Cinq intervenantes disposent chacune de 13 minutes pour traiter le sujet du féminisme en fonction de son expérience professionnelle, son domaine de recherche ou son parcours personnel. Des regards croisés pour une approche plurielle du féminisme, pour prendre de la hauteur et lancer des pistes de réflexion.
Avec Camille Froidevaux-Metterie, philosophe, professeure de sciences politiques, autrice ; Noémie de Lattre, actrice et metteuse en scène ; l'écrivaine Geneviève Brisac ; Iris Brey, journaliste, critique de cinéma, autrice ; Mounia El Kotni, chercheuse en anthropologie du genre et de la santé, chercheuse associée à l’Université de l’Etat de New-York.

Lundi 8 mars à 19 heures : quand imaginaires et plaisirs féministes se libèrent

Depuis une dizaine d'années, les réseaux sociaux dénoncent la domination masculine dans des domaines jusque-là restés tabous : les règles, le clitoris, la masturbation,... Comment ces prises de paroles et actions peuvent-elles se transformer en véritable empouvoirement ?
Avec Fania Noël, essayiste, militante afro-féministe, doctorante en sociologie ; Elvire Duvelle-Charles, journaliste, réalisatrice et militante féministe, co-autrice du compte Instagram ClitRévolution ; Élise Thiébaut, autrice ; Charlotte Bienaimé, productrice.

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