Aurore et Marine reviennent de six mois de mission en Afghanistan. Avant leur retour en France, elles font escale à Chypre dans un "sas de décompression" de trois jours. Pendant ce séjour, grand écart entre deux mondes, elles vont être confrontées à leurs traumatismes et à leurs collègues masculins, tous à fleur de peau.
"Passer de la burka au string, faudra m'expliquer le principe du sas", lance l'un des soldats lors qu'ils arrivent dans l'hôtel 5 étoiles à Chypre. C'est là, entre baignades, sorties en boîte et consultations chez le psychologue que les soldats français de retour d'Afghanistan se retrouvent avant leur retour en France. Un passage obligé pour tous depuis 2008.
Chacun essaye et apprend à se libérer du syndrome de stress post-traumatique qui ne laisse pas de blessures apparentes. Au retour de la guerre, beaucoup se terrent dans le silence parce que la peur, la mort, la violence et la colère sont imprimés en eux.
C'est ce que raconte le nouveau film des réalisatrices Muriel et Delphine Coulin. Les deux soeurs cinéastes avaient tourné une première oeuvre remarquable, "17 filles", inspirée d'un fait divers survenu en 2008 aux États-Unis, dans la ville de Gloucester, où dix-sept adolescentes avaient décidé d'être toutes enceintes pour échapper à leur condition sociale et familiale. Cette fois, elles se sont intéressées au corps militaire, au traumatisme de ces individus de retour de guerre, et encore une fois à la volonté de jeunes femmes de s'échapper des rôles de genre assignés.
Mais difficile d'oublier la guerre en trois jours :
Dans cet univers militaire très masculin, le film "Voir du pays" se concentre sur deux femmes soldates. "Ces deux filles étaient copines depuis l'enfance, et le film raconte comment elles s'en sortent", souligne Delphine Coulin.
"On voulait aller sur ce terrain mais proposer comme sur '17 filles', un angle de vue différent (sur les femmes) ", explique Muriel Coulin. Dans leur film précédent adapté d'une histoire vraie, 17 adolescents avaient décidé de tomber enceintes en même temps pour écrire leur vie. Comme Marine et Aurore à leur manière en intégrant l'armée française.
"Elles voulaient échapper à leur milieu, se donner un destin (...). Ces filles-là ont décidé de partir à la guerre", résume Delphine Coulin.
"On essaye de briser des tabous, de poser des questions, de faire réfléchir tout en s'amusant", raconte Muriel Coulin sur le plateau de "64 minutes". Et pour les deux soeurs réalisatrices, la question des femmes dans leurs films reste centrale comme elle nous le confient en interview.
On voulait faire un film de filles dans le monde d’aujourd’hui
Votre film procède-t-il d’une démarche militante ?
Delphine Coulin : C’est clair, mais ce n’est pas affiché comme tel. Aujourd’hui, toutes les filles se considèrent les égales des hommes. De la même manière, dans notre film, il n’y a aucun problème, les deux soldates sont des militaires au milieu d'autres militaires, comme nous quand on entre dans une entreprise et que l’on est salariée au milieu d’autres salariées.
Sauf que pour nous, comme pour elles dans le film, il y a toujours un moment, on se retrouve face à l'un d'entre eux qui pense que l'on est inférieure en tant que femme. Et là, c’est compliqué parce que l’égalité on ne la décrète pas toute seule. Et c’est ce qui se passe pour nos deux héroïnes.
Pendant une grande partie du film la question du sexe des héroïnes n’est pas abordé du tout parce que pour elles ce n’est pas un problème mais petit à petit ça va devenir un enjeu majeur. Dans le fond, on voulait faire un film de filles dans le monde d’aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous interpelle plus particulièrement chez ces femmes soldates qui évoluent dans un monde très dure avec les femmes ?
Delphine Coulin : Pour moi, ça se voit juste plus dans cet environnement parce que l’armée est un milieu foncièrement masculin dans lequel la virilité est vraiment la valeur suprême. Donc tout ressort plus. Mais pour moi le propos de notre film est beaucoup plus large que dans le seul milieu de l’armée.
Comment ont été formées les deux actrices principales pour leur rôle ?
Muriel Coulin : On a eu une coach ancienne militaire qui avait fait beaucoup de sas de décompression. Elle a fait un entraînement physique pour les comédiens, pour les former en tant que soldats en leur apprenant à marcher au pas, en leur donnant beaucoup d’indications sur comment cela se passait dans à Chypre.
Le retour de femmes militaires est-il justement différent ? Vous a-t-elle indiqué que les femmes étaient affectées différemment ?
Muriel Coulin : Les retours que l’on a eus nous disent qu’il n’y a pas eu vraiment de différences notoires. Il y a aura peut être des témoignages d’harcèlement mais sur le trauma on n’a pas eu de tels retours. Hommes ou femmes, nous sommes égaux devant ces traumatismes de l’armée.
Delphine Coulin : Justement, le cerveau n’a pas de genre.
Comment vous êtes-vous documentées sur la vie de ces femmes sur l’armée ?
Muriel Coulin : On a rencontré plein d’anciens militaires aussi bien des hauts gradés, que des reporters de guerre, hommes et femmes.
Et puis la psychologie des personnages, on peut très bien l’imaginer parce que l’on passe du corps militaire à l’individu dans ce sas. Ils arrivent le matin en treillis de Kaboul, et le soir ils ont en maillots de bain à Chypre. La psychologie du personnage n’a plus rien à voir ensuite avec le militaire. C’est plutôt quelles ont les rancoeurs, l’amitié féminine entre ces deux filles, les jalousies et les craintes. Et ça c’est purement fictif.
Votre prochain projet reposera-t-il encore sur des femmes ?
Muriel Coulin : Pour l’instant, on n’a rien en cours mais ce sera sûrement avec des femmes. On ne se verraient pas faire un film que d’hommes. Là il y en avait beaucoup mais il y avait trois filles et pas des moindre. Faire un film qu’avec des hommes non. Mais il ne faut jamais dire jamais.
...Parce que les femmes représentent un peu plus de la moitié de l’humanité ?
Muriel Coulin : Et parce qu'on est bien placées pour en parler !