"Le football, c’est pas pour les filles !" - la preuve que si par Mélissa Plaza

On lui avait pourtant bien dit "Le foot, c’est pas pour les filles !" L'ancienne footballeuse professionnelle Mélissa Plaza en a fait sa vie. Deux ans après avoir raccroché les crampons, elle continue à lutter contre le sexisme et les inégalités dans le sport. Rencontre. 

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Mélissa Plaza
© Piergab
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Violence, insécurité, promiscuité et abus en tous genres, Mélissa Plaza grandit dans une atmosphère malsaine dont elle s'échappe en jouant au foot à la moindre occasion - tout le temps, partout. Elle n'a qu'une envie : se construire en opposition à son milieu, avec le sport pour exutoire. Elle a choisi ses règles : pas de magouilles, pas de triche, pas de compromission - et une vie à la hauteur de ses efforts.

A 12 ans, elle a déjà compris que dans le foot, l'enjeu ne consiste pas seulement à gagner sur l'adversaire, mais aussi sur les préjugés et les stéréotypes sexistes. Sa première victoire féministe, elle la remporte dans la cour du collège : "Jouer au foot avec une fille ? Au début, aucun garçon n'envisage de se compromettre avec moi, mais ils se rendent à l'évidence : je joue aussi bien, voire mieux qu'eux," écrit-elle dans son livre Pas pour les filles ? (Editions Robert Laffont)

Après une section sport-études, elle fait ses débuts à l'Etoile sportive de La Roche-sur -Yon, en Vendée, avant d'intégrer le Montpellier Hérault, puis l'Olympique Lyonnais et l'EA Guingamp. Sélectionnée à trois reprises en nationale, elle raccroche définitivement les crampons en 2017 : 
 

Depuis, elle a suivi une formation d'entraîneuse sportive et se consacre à lutter contre le sexisme dans le sport, et ailleurs. Mélissa Plaza est la première footballeuse professionnelle à obtenir un doctorat en parallèle de sa carrière sportive. Entre la sortie de son livre et le début de la Coupe du monde, Terriennes l'a rencontrée. Entretien.

En quoi le sport est-il encore sexiste au 21e siècle ?

C’est un domaine qui a été conçu par et pour les hommes. Un domaine dont les femmes, dans un premier temps, sont restées totalement exclues. Puis peu à peu, dans la période de l’après-guerre, elles ont été intégrées à des pratiques dites "naturalistes et hygiénistes", comme la gymnastique, qui pouvaient favoriser la natalité et ne risquaient pas de compromettre leur féminité.

Aujourd’hui, les femmes pratiquent davantage, mais elles restent minoritaires. Pourtant, la principale cause de mortalité en France demeure les pathologies cardio-vasculaires, que l’on peut facilement prévenir par l’activité physique. Au-delà de l'enjeu de santé publique, ce que l’on tente de contrôler, c’est le corps des femmes. Aujourd’hui, très peu de pratiques sont considérées comme féminines et la majorité des sports reste associée aux hommes, mais on a de plus en plus de disciplines mixtes.

Et dans le football ?

Certaines des joueuses de l'équipe de France qui disputent la Coupe du monde en ce moment se souviennent de l'époque où les filles ne pouvaient pas être professionnelles ni gagner leur vie avec le foot. Ce n'est plus le cas, même si, dans certains clubs, certaines peinent à vivre de leur sport. Elles ont travaillé dur et savent ce que c’est de faire du foot à temps plein, juste pour la passion.

En quoi le foot féminin diffère-t-il du foot masculin ?

On entend souvent dire que les filles sont plus modestes, pas truqueuses, plus techniques, moins physiques, plus sympas… Comme si le foot n’était pas un sport universel ! Comme si le foot pratiqué par les hommes n’était pas le même que celui pratiqué par les femmes. Mais quand je joue avec mes copains, on prend plaisir aux mêmes actions, on s’extasie devant les mêmes buts. Peut-être certaines personnes éprouvent-elles le besoin de se justifier lorsqu'elles s'intéressent au foot féminin, mais cela n’a pas lieu d’être.

D'où vient le succès des Bleues ?

Sans le vouloir, l'équipe a profité du fiasco des garçons en Afrique du Sud, car c’est à ce moment- là que le public a commencé à s’intéresser aux femmes. C'est une équipe de France accrocheuse qui dispute cette Coupe du monde, une équipe qui mouille le maillot. Ce sont des filles déterminées, avec un tempérament et une force inouïs. Puis l'équipe a su conquérir le public, montrer qu'elle aussi pouvait procurer des émotions et faire le spectacle.
 

 Ce 7 juin, les Bleues ont montré un très beau football.
Mélissa Plaza invitée du JT de TV5MONDE

 

Comment est venue votre prise de conscience féministe ?

Quand on a très tôt été confronté à la violence, on est très vite en colère face à l’injustice et la discrimination. Je me bats depuis toujours, mais j’ai mis du temps à comprendre pourquoi j’étais en colère. Même mes coéquipières me reprochaient de trop râler, de n’être jamais contente, de vouloir toujours plus… Longtemps, je me suis bridée.

J’ai aussi fait des erreurs qui m’ont permis de prendre conscience du sexisme, comme cette campagne de publicité pour le Montpellier Hérault et le stade de la Mosson - un stade où nous, les filles, ne jouions jamais. L'humiliation m'a poursuivie pendant des années.

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C’est en faisant ma thèse que j’ai pris conscience des enjeux et des mécanismes de domination sexiste, avec des dominées qui contribuent à alimenter le système, un peu comme dans le syndrome de Stockholm - certaines en viennent à apprécier leurs bourreaux tels qu’ils sont, à se plier à leurs attentes et à se contenter de ce qui leur est accordé. Il est vrai que quand on a grandi dans un monde patriarcal et évolué dans un contexte masculin, on met en place ce genre de mécanismes de défense. De l'autre côté, les dominants se gardent bien de partager le pouvoir.

Peu à peu, j'ai pris du recul et regardé les choses plus objectivement. J'ai commencé à comprendre d'où venait ma colère. J'ai appris à décrypter les mécanismes du sexisme et à m’approprier les outils pour le contrer. Et puis via ma thèse, je suis entrée dans les réseaux féministes. J’ai rencontré des femmes convaincues qui avaient des raisonnements à toute épreuve. J’ai acquis les bonnes pratiques, acquis de la sérénité et des arguments qui ne souffrent pas la contradiction. 

Comment arrive le progrès ?

A force d’insistance. Les pionnières, dont ma génération, ont beaucoup combattu, prouvé, réclamé, quitte à avoir l’affreuse impression de quémander, parfois… C’est ainsi que les femmes s’imposent. C’est toujours au prix de davantage d’efforts que les hommes. C’est un travail de longue haleine. 

D'où viennent les résistances ?

De partout, parfois aussi des joueuses elles mêmes qui, de façon inconsciente, se sentent toujours obligées de s’excuser pour ce qu’elles sont en se surféminisant : cheveux longs et lissés, jupe, maquillage... Etre féminine, c'est très bien, mais pour jouer au football, ça n'a pas de sens ! Et puis il faudrait que ce soit un vrai choix et pas une réaction aux injonctions contraires auxquelles nous sommes en permanence soumises. Des injonctions contraires qui peuvent provoquer des dégâts psychologiques importants.

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Donnez aux  filles les outils pour comprendre les mécanismes ce système de domination et elles finiront par se rendre compte de tout ce qu’elles méritent, mais qu’elles n’ont pas. Donnez-leur les bonnes pratiques pour qu'elles puissent se serrer les coudes et ne plus rien laisser passer. Pour qu'elles fassent passer le message auprès du public, des médias, mais aussi de ceux qui tiennent les rênes. L'égalité est encore loin, et pas seulement dans le sport.

Je veux une trêve de 24 heures sans viol, parce que la seule guerre qui ne connaît jamais de trêve, c’est celle des hommes contre les femmes.
Andrea Dworkin

En France, il n’y a pas de culture de l’égalité ou de la liberté, contrairement à la devise républicaine. Aujourd’hui, six femmes par heure sont violées par des hommes. Elle est où l’égalité ? Depuis janvier 52 femmes tuées par leur conjoint, encore plus que les 10 années précédentes. Comment peut-on parler de liberté en France aujourd’hui ! "Je veux une trêve de 24 heures sans viol, parce que la seule guerre qui ne connaît jamais de trêve, c’est celle des hommes contre les femmes," écrivait la féministe Andrea Dworkin en 1984. Malheureusement, ce discours n’a pas pris une ride !

Que faire ?

Le gouvernement, les instances éducatives et institutionnelles doivent mettre en place des modules d’égalité pour sensibiliser les filles et les garçons. A commencer par les milieux sportifs : il faudrait un module d’égalité dans tous les diplômes d’Etat de toutes les fédérations sportives.

Récemment, pendant ma formation d'entraineuse, j’ai entendu ces mots : "Les filles sont naturellement techniques, mais dès qu’on les met en mouvement, c’est une catastrophe." Or ce formateur a entraîné des joueuses en première division féminine et dirigé une section sport-études féminine. Il donne maintenant des cours aux stagiaires majoritairement mâles, qui boivent ses paroles, comment voulez-vous que ça change ? 

Il faut d’une part former ceux et celles qui dispensent diplômes et formations, et d'autre part instituer, pour valider chaque diplôme, des unités d’enseignements d’égalité obligatoires qui soient dispensées par de vrais professionnels.
Aujourd’hui, tout le monde trouve que c’est important, mais personne ne veut investir les moyens, alors qu'il faudrait prendre le taureau par les cornes.

J’espère que dans 200 ans, il y a aura des musées commémoratifs du sexisme témoignant de l’époque où les femmes étaient violées et tuées par leurs maris. Les générations futures se moqueront bien de nous !

couv pas pour les filles


J’adore les mots, que ce soit à l’oral, à l’écrit, en les chantant…. J’ai toujours eu envie d’écrire mon histoire, qu’elle soit publiée ou non. Et puis un jour, après une petite intervention auprès d'entrepreneuses, une femme est venue me dire : "Votre histoire est incroyable, appelez-moi la semaine prochaine. Trois semaines plus tard, je signais le contrat - je n’en avais pas écrit la première ligne."

L’objectif, c’était que chacun puisse se reconnaître dans certains passages de ma vie, hommes et femmes. C’est ce qui s’est produit. Bien sûr, beaucoup de femmes se reconnaissent dans les troubles de la conduite alimentaire, le sexisme, la misogynie, les complexes identitaires… Mais beaucoup d’hommes, aussi.

 Je voulais délivrer un message d’espoir et de liberté à tous les gamins. Je veux leur dire que tout est possible pour qui sait saisir les mains tendues. L'essentiel est de rester ouvert et modeste. Seul.e, on n'arrive à rien.

Mélissa Plaza