Fil d'Ariane
La ligue professionnelle de hockey féminin au Canada a été créée à la fin de l’été 2023. Depuis, ce sport suscite un étonnant engouement populaire. En dépit de leur succès, pourtant, les joueuses sont encore loin de l’équité salariale avec leurs collègues masculins. Terriennes a rencontré deux hockeyeuses de l'équipe Montréal, La Victoire.
Les hockeyeuses montréalaises font des émules parmi les jeunes.
Le 1er décembre 2024, devant plus de 10 000 personnes, l’équipe de hockey féminin de Montréal, La Victoire, a gagné son premier match de la saison de la LPHF. La Victoire est l’une des six équipes de la ligue – avec celles de Toronto, Ottawa, Boston, Minnesota et New York - et elle remplit les salles à chacun de ses matchs.
Cette popularité est une source de stimulation supplémentaire pour les joueuses. "C'est remarquable, depuis l'année passée, de voir comment la première saison s'est déroulée, de voir autant de gens se déplacer, partie après partie, oui c'est surprenant mais on est très choyés ici à Montréal, d’avoir des gens qui nous encouragent, ça donne une motivation de plus," dit Marie-Philip Poulin, la capitaine de l’équipe.
C'est remarquable ce qu'il se passe dans le sport féminin en général et dans le hockey en particulier.Marie-Philip Poulin
Sa coéquipière et gardienne de l’équipe, Anne-Renée Desbiens, renchérit : "Je dirais que le sport féminin, en général, grandit assez rapidement actuellement en Amérique du nord. On savait qu'il y avait des partisans, et que la couverture médiatique est plus significative qu'auparavant. Donc les gens en entendent parler à la télévision, dans les journaux et ils veulent nous voir… Il y a aussi le bouche à oreille, les spectateurs ont des expériences incroyables dans les estrades, ils ont beaucoup de plaisir".
La popularité du hockey féminin a commencé avec les médailles de l'équipe canadienne aux Jeux Olympiques d'hiver, elles ont été plusieurs fois championnes olympiques. "Tous les quatre ans, à chaque année olympique, les gens écoutent à la télé, les gens sont là, ils sont passionnés, souligne Marie-Philip Poulin, mais entre les quatre années, il n'y avait rien. Avec cette ligue professionnelle de hockey féminin, on peut nous suivre année après année. C'est remarquable ce qu'il se passe dans le sport féminin en général et dans le hockey en particulier."
Le public enthousiaste pour soutenir les hockeyeuses de La Victoire de Montréal.
"Je m'attendais à ce qu'il y ait un bel engouement pour les équipes de la LPHF, mais pas autant que ça. C'est là que ça m'a surprise, parce que ça bat tous les records, tous les espoirs et toutes les ambitions qu'on avait pour cette ligue. Disons que le public est plus qu'au rendez-vous", ajoute Pascale Marceau, professeure au département de marketing de l’École des Sciences de la Gestion de l’Université du Québec à Montréal.
La spécialiste ajoute : "Globalement, le sport féminin connaît un engouement sans précédent sur la planète. Le basket en Amérique du Nord, par exemple, avec cette joueuse vedette, Caitlin Clark, bat tous les records, c’est du jamais vu, avec des assistances records. D'un point de vue planétaire, je pense qu’il y a un changement culturel qui s'opère, en lien avec l'équité des genres dans divers secteurs, dont le sport. Les gens veulent prendre part activement à ce retour de balancier pour ramener ou apporter un certain équilibre dans des sports qui étaient jusqu’ici surtout masculins. Et si le public est au rendez-vous, les entreprises souhaitent également se joindre à la partie. Et quand il y a de l'argent, cela fait un sport qui est encore de meilleure qualité pour les spectateurs. Je pense que ça aussi, ça contribue au succès".
Justement, parlons argent… Cette ligue professionnelle de hockey féminin permet maintenant aux joueuses de gagner leur vie avec leur sport, mais elles sont encore très loin des millions de dollars qu’empochent les joueurs de hockey masculin. Les filles qui jouent en LPHF gagnent en moyenne 55 000 dollars. Les meilleures joueuses peuvent percevoir des salaires dans les six chiffres grâce à des apports privés, alors que le salaire moyen dans la Ligue nationale de hockey était, en 2020-2021 de 935 000$ et a dépassé le million de dollars dans les années qui ont suivi. Méchante différence !
L'enveloppe budgétaire d'une équipe de la ligue de hockey féminin avoisine le salaire minimum d'un seul joueur de la LNH masculine. Pascale Marceau
"On est très, très loin de l’équité salariale, s’exclame Pascale Marceau, et il va falloir plusieurs années pour qu’on s’en approche. L'enveloppe budgétaire d'une équipe de la ligue de hockey féminin avoisine le salaire minimum d'un seul joueur de la LNH masculine". Marie-Philip Poulin et Ann-Renée Desbiens sourient quand on leur pose la question si elles espèrent un jour gagner autant d’argent que leurs collègues masculins, bien sûr que c’est ce qu’elles espèrent mais elles savent très bien que l’écart est tellement grand que ça va prendre du temps pour le combler un jour.
Anne-Renée Desbiens, gardienne de La Victoire, et Marie-Philip Poulin(portant casquette), capitaine de l'équipe.
"Oui, on veut continuer de grandir, on veut augmenter les salaires, on veut augmenter le nombre de partisans, les ventes et tout ça, on veut être un modèle d'affaires qui connait du succès à long terme," précise Anne-Renée Desbiens. "Le fait d'avoir le public derrière soi, finalement, pour ces joueuses, c'est un argument de négociation supplémentaire pour réclamer plus, croit Pascale Marceau. Vous savez, le combat vient tout juste de débuter dans l'univers du sport. Mais j'ai l'impression que ça va prendre de nombreuses années, parce que dans différents domaines, dans le reste de la société, on n’a pas encore atteint cette équité salariale. Et pour les entreprises, c’est une opportunité en or à saisir en s’associant avec ces femmes athlètes : il y a un engouement sans précédent pour le sport féminin. Et en les commanditant, ça va nettement améliorer leur situation financière, c'est sûr".
La spécialiste fait remarquer qu’actuellement, en moyenne, l’enveloppe budgétaire des entreprises consacrée à la commandite sportive est à 90% en faveur du sport masculin et 10% pour le sport féminin. "Déjà, poursuit Pascale Marceau, si on réussit à équilibrer cette enveloppe avec une équité 50% sport masculin, 50% sport féminin, ce serait un gros pas en avant et c’est aussi, pour les entreprises, une très belle visibilité, elles pourraient grandement bénéficier de cette image-là".
Elle croit aussi que les médias ont un rôle à jouer en couvrant autant les équipes féminines que les équipes masculines dans les compétitions de hockey sur glace, mais aussi dans les autres sports, car une visibilité médiatique va aussi attirer les fonds d’entreprises. Les matchs de la LPHF sont diffusés par un réseau de sport canadien et la Société Radio-Canada en diffuse également plusieurs au cours de la saison.
En attendant de devenir millionnaires un jour, ces joueuses sont des modèles à suivre pour les petites filles qui rêvent de suivre leurs traces et qui s’entraînent sur les patinoires du Canada pour devenir des championnes, elles aussi, un jour. "Les petites filles, les frères qui croient en leurs soeurs capables de faire partie de la ligue professionnelle, pour nous, c'est remarquable… Tu vas dans les estrades et tu vois les petites avec des étincelles dans les yeux, et qui se disent 'je veux faire partie de cette équipe', pour nous, c'est fou... On est très contentes d'entendre qu'on peut faire la différence dans la vie des petites filles", se réjouit Marie-Philip Poulin.
Le succès des hockeyeuses de Montréal inspire les jeunes filles.
"Quand on pense aux jeunes garçons qui ont grandi en voulant devenir Sydney Crosby, c’est une belle opportunité maintenant pour les jeunes filles de grandir en se disant qu’elles veulent devenir un jour Marie-Philip Poulin, abonde Pascale Marceau. C’est beau d’avoir des modèles comme ça. On sait qu’il y a encore des stéréotypes de genre qui sont associés à la pratique du sport, donc si on peut diminuer ces barrières-là et faire en sorte que nos jeunes filles ont maintenant des modèles, ça va les motiver davantage et c’est bénéfique pour toute la société, parce que ça aide à combattre les problèmes de sédentarité chez les jeunes".
Et la spécialiste de conclure : "C’est beau de voir cet engouement, et en ce moment, alors que je vous parle, j'ai le sourire aux lèvres parce que oui, on est sur la bonne voie, même s’il y a encore beaucoup, beaucoup d'inégalités dans l’univers du sport. C’est très positif de voir ça, c’est probablement un gros changement culturel qui s'opère, et c'est formidable d'être aux premières loges pour y assister."
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